40% du PIB national vont à «l'économie souterraine». Manufactures «au noir», contrefaçon, vente «aux cabas», à la sauvette, contrebande de l'habillement et de l'alimentation Alger-Marseille et autres entourloupes, le commerce informel devient une véritable économie parallèle et constitue bon an, mal an, près de 20% de la production nationale. Ni la régulation des marchés populaires, quotidiens ou hebdomadaires, ni les sanctions prises par les directions des fraudes installées au niveau des wilayas, ni le Centre national du registre du commerce qui a balisé le commerce local, n'ont réussi à endiguer un marché informel florissant qui croît en parallèle avec le dépérissement du marché légal et étatique. Des secteurs aussi protégés que l'éducation, l'agriculture ou le marché du livre ont été complètement phagocytés par l'informel. Selon une étude du ministère de l'Education, 25.000 enfants suivent leur cursus scolaire dans un cadre informel, «dans des institutions pédagogiques non reconnues par l'Etat», selon les propos d'un cadre de l'éducation. Les forages au niveau des vastes plaines des Hauts Plateaux (Sétif, Djelfa, El Bayadh, etc.) sont le fait de ressortissants étrangers dans une très large mesure et le livre d'importation, pour les élèves du primaire et du secondaire, noit sous le poids de la présentation et de la disponibilité, le livre scolaire, complètement absent dès le début de l'année. En fin 2003, on comptait 380 établissements informels, plusieurs dizaines d'importateurs de livres jugés non conformes aux cursus suivis et plus de 100 étrangers, dont une quasi-totalité de Syriens, arrêtés dans le cadre d'un forage illicite. Depuis sa mise en place à la tête du ministère du Commerce, Noureddine Boukrouh a essayé en vain de contrôler le registre du commerce et le marché parallèle. Le nouveau wali d'Alger a instauré de nouvelles règles en matière d'espaces commerciaux qui ont proliféré à travers la capitale, avec le peu de réussite que l'on sait. La grande manifestation de la place des Martyrs d'avant-hier, qui a regroupé les commerçants informels des quartiers environnants, a donné un aperçu de bras de fer qui s'engage en ce moment, car toutes les APC ne disposent pas de lieux propices à la vente ou d'espaces couverts à offrir aux itinérants de la cité. Une mégaplace commerciale comme El Hamiz en est l'exemple type. Concentration par excellence du commerce «flou», place forte s'il en est de l'informel, ce quartier sorti de l'anonymat grâce à un commerce qui attire les Algériens de toutes les régions fait entrer et sortir une moyenne de 5 à 6 milliards de dinars par jour, sans factures, sans contrôle, ni rien qui puisse donner un profil clair à ces transactions. Si le Cnrc peut se targuer d'avoir affaire à quelque 450.000 à 500.000 commerçants bénéficiant d'un registre du commerce légal et dûment certifié, le commerce parallèle peut brandir un simple échantillon de sa vigueur : il existe près de 300.000 tables de jeunes vendeurs ambulants en Algérie et quelque 800.000 vendeurs itinérants. Mais le péril ne vient pas de ces jeunes apprentis vendeurs occasionnels improvisés en commerçants, et qui font de la survie plus que du gain, mais bien des réseaux de gros commerçants, contrefacteurs, nababs de l'import et autres contrebandiers de l'habillement, de l'alimentation et du conteneur. Les bilans annuels commentés de la Gendarmerie nationale sont édifiants au sujet de la prolifération de la contrefaçon. Tout peut être «copié»: marque de vêtements (Lacoste, Kappa, Nike, etc.), de parfums ou de pièces détachées. Le concessionnaire ou le propriétaire perd au change, mais fait profiter une faune de jeunes contrefacteurs, qui ont réussi à fabriquer des milliards en faux billets, et ne s'encombrent plus de «bagatelles». Les dates de péremption peuvent être «rallongées» à souhait. Des dateurs imprimables sur boîtes, paquets et même sur aluminium et acier sont fabriqués et utilisés. Les produits dont la date de péremption est imminente sont achetés au rabais, refaits et vendus au prix normal. Un vrai pactole pour ces trafiquants qui ne trouvent pas encore contrôle à leur mesure pour leur faire cesser ce jeu dangereux pour la santé et le bien-être des consommateurs. Selon un spécialiste de l'économie, les Occidentaux désignent par «économie non observée», sont subdivisées en trois catégories. La première est celle de «l'économie illégale», qui regroupe deux sortes d'activités illicites : la fabrication de produits interdits, comme les drogues par exemple, et la fabrication de produits illicites, mais par des individus non autorisés. La seconde est appelée «économie souterraine» et est constituée par toutes les activités dont l'opacité économique est entretenue ou qui restent clandestines (évasion fiscale, non-paiement des cotisations sociales, etc.) et celles aussi dont la sous-visibilité statistique est avérée. Cette dernière partie n'est pas réellement illicite en elle-même puisque le producteur existe et la réglementation n'est pas enfreinte, mais l'activité, pour des raisons de limites du système national d'information statistique et son incapacité d'observer de telles activités. La troisième catégorie est appelée simplement «économie informelle». En réalité, cette formule renvoie chez les économistes européens à des activités très précises. Ce sont généralement des unités qui ne tiennent pas de comptabilité complète et ne font pas l'objet d'inscription administrative au niveau du registre du commerce ou de la sécurité sociale. Certains économistes estiment que l'économie informelle représente en Algérie 40% du PIB national, mais le chiffre est par trop exagéré, et un éminent spécialiste, consultant auprès de la Banque mondiale, évalue les activités du secteur informel à 24% du PIB, mais pense que le poids de l'économie non observée est plus important. Les sociologues estiment souvent que le vrai pouvoir réside en fait dans le pouvoir informel, grâce à la masse ébouriffante d'argent qu'il charrie sur son passage et l'influence des millions de dinars qui passent de main en main au gré des intérêts, des alliances et des transactions. Ce n'est pas pour rien que vous verrez encore et encore dans le premier cercle des responsables politiques, ces commerçants qui peuvent alors manoeuvrer de loin, diriger sans en donner l'air et influer sur les grandes décisions prises dans la cité.