C'est évidemment l'élection présidentielle, avec ses moments forts de débats politiques, qui a tenu le haut de l'affiche sur pratiquement toutes les chaînes de télévision françaises. Jamais peut-être une élection du genre n'a été pour les Français, toutes tendances confondues, aussi intense, aussi prenante, aussi “mobilisatrice” comme le prouve le taux de participation exceptionnel qui a sanctionné la première manche. Après donc une campagne menée pendant des semaines à un rythme infernal par les douze candidats en lice, les résultats du premier tour sont tombés, cependant, sans grosse surprise. Les deux qualifiés au second tour, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, n'ont pas démenti les projections des instituts de sondage. Mieux, le fameux troisième homme sur lequel devrait reposer un éventuel arbitrage, a lui aussi correspondu aux prévisions, puisque François Bayrou, le centriste qui a fait une montée fulgurante, a réussi à barrer le chemin au leader du Front national qui espérait pourtant fermement refaire le coup de 2002. Dans cette épreuve ouverte à tous les risques que les Français redoutaient, on peut dire que c'est déjà une véritable note de satisfaction que s'est partagée la grande majorité des électeurs pour qui une autre promotion de Le Pen au second tour aurait été vécue comme un désastre républicain. L'idée du changement qui a été dans tous les discours des candidats, portée notamment avec plus de conviction dans le camp de la gauche, c'était d'abord éviter que le courant fasciste et xénophobe incarné par l'extrême droite soit potentiellement éligible à la présidence de la République. En réléguant les lepenistes à une proportion beaucoup moins arrogante, les Français ont montré qu'ils n'avaient pas oublié les grandes frayeurs provoquées par le passage au second tour de l'ex-tortionnaire de la guerre d'Algérie. Mais en plaçant Sarkozy en tête, tout près du but, ont-ils pour autant la certitude de vouloir mettre les destinées du pays entre de bonnes mains ? C'est la grande question qui est aujourd'hui posée à ceux et celles qui ont été séduits, certes, par le programme de l'homme qui leur a tout promis, mais qui restent malgré tout tourmentés par un certain sentiment de flottement qui leur rappelle qu'entre Sarkozy et Le Pen il n'y a finalement pas une trop grande différence. Pourquoi le chef de file de la droite traditionnelle fait-il aussi peur aux Français et pas seulement ? La réponse, c'est la gauche qui se charge de la donner : en reprenant à son compte tous les thèmes de l'extrême droite, Sarkozy a montré qu'en dehors d'une simple opération électoraliste, il affiche sa vraie vision pour la France qu'il veut construire demain. Une France ultra libérale pour qui politiquement le gaullisme restera un simple souvenir, une France qui s'alliera sans aucun scrupule au patronat, qui rompra sans la moindre hésitation avec tous les acquis sociaux arrachés de haute lutte par les couches les plus défavorisées de la population et qui faisaient jusque-là sa grandeur, une France qui parlera désormais le langage de l'identité nationale, de la sécurité, de l'ordre, de la préférence nationale... On évoque certes dans cette France qui s'apprête à élire le successeur de Chirac l'affrontement de deux projets de société portés par les représentants des nouvelles générations de politiques qui promettent de donner à leur pays un visage et une dimension plus contemporains que leurs aînés. Mais à voir le confortable score réalisé par Sarkozy au premier tour qui lui ouvre toutes les chances de la victoire finale, on est tenté de croire que les Français demeurent en fin de compte profondément enracinés dans leur conservatisme, plus proches des idées sectaires et libérales qui feront par exemple mal aux populations immigrées. En quoi l'élection présidentielle française intéresse-t-elle les Algériens ? Sûrement par l'impact qu'elle aura sur son potentiel immigration, sur les échanges économiques, sur les rapports politiques sensibles qui lient les deux pays et qui renvoient toujours à la période de la colonisation. Sur ce registre, le leader de l'UMP a déjà annoncé la couleur : la France ne fera pas repentance pour les crimes qu'elle a commis dans notre pays et de surcroît, personnellement, il ne voit aucun intérêt à signer un traité d'amitié avec l'Algérie. Si on ajoute le fait qu'il n'a pas hésité un seul instant à réhabiliter les criminels de l'OAS “morts pour la France” à ses yeux, on est, côté algérien, en droit d'attendre vis-à-vis de lui une relation difficile et mouvementée, en tout cas diamétralement opposée à celle développée avec Jacques Chirac. Mais les Français ont l'esprit ailleurs. Avec cette campagne dans laquelle ils se sont impliqués pour changer la société, les nouvelles élites politiques ont fait sensation par leur haut niveau de maturité. Elles ont défendu leurs idées sur la manière de combattre les grands maux qui minent la société française, sur la démocratie, sur l'Europe. Les débats à la télé sur ces sujets et beaucoup d'autres ont été passionnants. Ils ont révélé que pour construire un pays, il faut impérativement que le citoyen ait droit à la parole, soit associé réellement à la vie politique. Du coup, on se met à rêver à la veille de nos législatives...