Après avoir passé près de dix ans au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en France, Monique Dagnaud se consacrera à ses recherches dans le domaine des médias. En 2006, elle réalise une enquête sur les producteurs des programmes de télévision en France et la publie sous le titre de Les artisans de l'imaginaire. Comment la télévision fabrique-t-elle la culture de masse? Venue en Algérie pour animer une conférence autour de ce thème au CCF, cette sociologue et enseignante à l'Ecole des Hautes études en sciences sociales, reviendra, au cours de cet entretien, sur la grande influence qu'exerce, aujourd'hui encore, la télévision. L'Expression: Comment évaluez-vous l'impact des médias et plus précisément celui de la télévision sur le public? Monique Dagnaud: La télévision a une très grande influence sur le public. Cet instrument demeure la première source d'information en France. D'ailleurs, les chiffres sont les mêmes aux Etats-Unis. Pour voir les scores des candidats au moment des élections par exemple, les gens se tournent vers la télévision. La radio vient en deuxième position. Et puis, Internet et la presse quotidienne. La télévision est très présente, et ce pour deux raisons. La première est la puissance et la pédagogie de l'image. Elle est, pour ainsi dire, irremplaçable et n'a jamais été égalée. La deuxième est ce côté de confort qu'on confère à la télévision. Les budgets faramineux dont disposent ces grands médias jouent également un très grand rôle dans ce processus. TF1, à titre d'exemple et LCI leur chaîne d'information, ont un budget de près de 150 millions par an. Donc, ces derniers ont les moyens nécessaires pour chercher de l'information. Concernant la crédibilité des médias, il y a des études qui sont faites en France autour de ce sujet. Le média qui a le plus de crédibilité pour la population est la radio, ensuite la presse. La télévision en troisième position. Quant à Internet, ce sont les jeunes qui ont tendance à lui faire de plus en plus confiance. Peut-on dire que la télévision bénéficie d'une grande puissance d'écoute alors que le public s'est exprimé à plusieurs reprises contre ce que lui suggéraient les médias, l'exemple du référendum sur la Constitution européenne est révélateur? Les gens ne sont pas passifs intellectuellement, complètement «amortis» ou encore «décérébrés» devant les médias. Toutes les études sociologiques qui ont été élaborées depuis les années cinquante, montrent que le spectateur garde une certaine distance par rapport à cet outil. L'individu réinterprète chaque information qu'il reçoit en fonction de sa propre expérience, sociale, culturelle, politique, à travers son identité. Tout cela diminue la capacité d'influence de la télévision. Concernant le référendum de 2005, c'est sur Internet, que s'est développé un certain mouvement contre la Constitution européenne, il y a eu des sites anticonstitution qui ont été créés. Mais je pense que c'est infiniment plus compliqué. Une partie de la population est très réticente à l'Europe. C'est une réalité, on le savait. Internet n'a fait qu'amplifier cela. La société française n'est pas si européenne, par contre, les élites françaises le sont. Est-ce que Internet en tant que média pourrait, dans les années à venir, détrôner la télévision? Je ne suis pas aussi sûre. Internet est un média d'individus. Chacun peut exprimer ses émotions, ses pensées, ses pulsions. Mais l'individu est avant tout un être social. Il aime bien se sentir rattaché à une communauté sociale, à une communauté nationale. France 2, bien qu'elle soit diffusée en Algérie, est d'abord un instrument diffusé dans un cadre national. Et puis, il y a l'image produite par la télévision. Sur Internet, on peut faire de petites fictions. Les budgets sont généralement ridicules. Les vraies raisons pour lesquelles les gens voient la télé, c'est qu'il y a du fric! En Algérie, l'audioviuel demeure toujours sous la tutelle de l'Etat, quels effets pourrait avoir une éventuelle privatisation sur la fabrication de la culture de masse en Algérie? Vous avez des chaînes étatiques mais vous écoutez et vous regardez autre chose. Vous recevez des chaînes françaises, et maintenant arabes et donc vous avez plusieurs points de vue. Ce qui pourrait changer si toutefois, il y aura une certaine privatisation, le paysage serait plus équilibré, il y aura de la concurrence. Ça peut être une concurrence vers le haut, comme elle peut être vers le bas. La télé-réalité est un pur produit de la concurrence accéléré, et plutôt une concurrence vers le bas. Les chaînes publiques en France offrent des programmes bien meilleurs que les chaînes privées.