Ramdane Amazigh, Haïfi de son nom patronymique, est l'un de ces grands militants dont la mort ne peut et ne doit occulter la vie. Les balles d'un vieux lâche assassin, connu pour être le pervers du coin, ne peuvent effacer le parcours du militant de toutes les causes : amazighe, droits de l'homme, code algérien de la famille, printemps noir et dernièrement de l'autonomie des régions à commencer par la Kabylie... Le Mentor Intellectuels, taxis, militants de tous bords savent où se ressourcer quand l'exil étouffe. Au cœur du 20e arrondissement de Paris, en sortant de la station de métro Buzenval, il faut prendre « le chemin qui monte » comme pour se rendre à Ifnayen, le village qui l'a vu naître en février 1949 dans la région de Larbaâ Nath Irathen. Tout au long de la rue, des restaurants et brasseries tenus également par des Kabyles. Mais c'est là-haut au numéro 85 que les rendez-vous se prennent. D'assez loin, on décrypte l'écriture tifinagh que seul Ramdane a osé graver sur le fronton de son café fin des années 1970 à la réouverture de l'établissement. Un commerce tenu jusque-là par un autre grand militant, ami de Ramdane, Mohand Amokrane Khelifati. Doublé en lettres latines, l'écriteau au dessus de la porte est un espace graphique qui annonce un lieu mémoriel et de savoir bichonné par Ramdane, l'infatigable militant. En franchissant la porte, on découvre des murs tapissés de figures emblématiques du monde berbère : Massinissa, Abane Ramdane, M.A. Bessaoud, Farid Ali, Fadhma n'Soumer, Laïmèche Ali, Slimane Azem, Matoub Lounès et tant d'autres... Un véritable musée Grévin par l'image ! Des coupures de journaux sont également là pour rappeler des moments forts de l'histoire tumultueuse de sa terre natale, Tamazgha. Au milieu de toutes ces « archives », trône une carte de géographie de la Kabylie entièrement annotée en tifmagh comme pour réhabiliter les racines d'une région meurtrie par la souffrance de tous les colonialismes. Dans l'arrière-salle de l'établissement où est servi un succulent couscous traditionnel, des groupes se forment et les débats vont bon train, tous orientés sur le politique, le culturel ou, sujet préféré de Ramdane, l'histoire. Particulièrement l'histoire du mouvement culturel berbère dont il connaît le cheminement depuis les années 1920. Autodidacte, il est le dépositaire incontesté de tous les détails qui ont marqué cette période dans laquelle il a lui-même joué un rôle de premier plan ces trois dernières décennies. C'est pourquoi, il est le mentor de nombreux jeunes Kabyles happés aussi par l'exil et avides de connaître le passé de leurs parents et de leurs aînés. Le militant et mécène Début des années 1970, Ramdane rejoint la célèbre Académie berbère de Paris devenue Agraw Imazighen. Très vite devenu lieutenant de M.A. Bessaoud, fondateur et tête pensante de l'organisation, Ramdane était à l'époque un radical. A la recherche de l'absolu, il avait un désir forcené de créer une onde de choc en mesure de secouer toutes les consciences berbères ! Face à un pouvoir despotique, il fallait, disait-il, se débarrasser de la pensée molle, de l'action timorée ou de tout angélisme. A l'obscurantisme du FLN et du Boumédiénisme, il fallait opposer une intransigeance de liberté démocratique et culturelle et montrer une farouche détermination. Ramdane allait dans les cafés avec ses compagnons toujours armé d'une sacoche de tracts où on lisait toute la soif de reconnaissance de l'Agraw imazighen et de l'Afrique du Nord, réceptacle de leurs idéaux et lieu de leur utopie unificatrice. Croire en la victoire, gagner le cœur des Berbères était son credo même contre toute évidence. Au soir des batailles perdues, des manifs éphémères, il se retrouvait avec une poignée d'irréductibles pour reparler des luttes à reprendre le lendemain. Une étroite camaraderie le lie à tous ces militants faits de silex comme lui. Alors quand explose la Kabylie en 1980 et en 2001, Ramdane ne se laissait pas aller au sentiment d'impuissance qui gagnait certains. Il met toute son énergie et ses moyens logistiques pour faire connaître le drame kabyle à l'échelle de la France et de l'Europe. Il participe, souvent comme locomotive, à toutes les manifestations, les meetings et finance généreusement les associations allant dans le même sens comme il abrite la radio berbère Tiwizi, héberge et nourrit des chanteurs et prend en charge des blessés du printemps noir. Soutien inconditionnel de M. A. Bessaoud, il se méfiait peu ou prou des partis politiques dont les positions sur le registre culturel berbère lui paraissaient trop timorées. En 1985, quand est réprimée la Ligue algérienne des droits de l'homme, il était présent dans les luttes pour la libération des prisonniers. Ramdane n'acceptait pas que les Berbères soient des victimes sacrificielles. Il voulait rendre coup pour coup même s'il ne disposait que de l'arme politique, culturelle et d'un stock inépuisable d'énergie et de conviction. Il rêvait de voir Lounis Aït Menguellet et Idir durcir encore plus le ton à l'instar de Matoub et de Ferbat pour secouer tout le cocotier. Sa soif de liberté ne connaissait pas de limites. De nombreuses réunions se tenaient chez lui et il ne s'embarrassait pas des clients qui se contentaient d'un bon couscous nostalgique. L'exil et son engagement berbériste ont fait de lui un homme allergique aux attitudes d'indifférence ou de soumission. Avec l'âge, cet athlète charismatique aux yeux rieurs reste extraordinairement éveillé malgré la maladie de Parkinson qui menaçait son ardeur. Converti à la lutte des archs et à l'autonomie, il rêvait de voir Salem Chaker et Mokrane Aït Larbi prendre la tête d'un nouveau parti. Il s'employait à rassembler et, début septembre 2005, il a pu réunir chez lui, au village, une centaine de personnes de toutes tendances politiques (RCD, FFS, archs, MAK, artistes et autres personnalités) pour réfléchir à une nouvelle voie. Il voulait à tout prix concilier comme si le temps était compté ! Alerte et naïf à la fois, Ramdane était l'homme de tous les combats susceptibles de mener à la reconnaissance de Tamazight. Incapable de s'arrêter, de lever le pied, cet homme affable était impatient et faisait confiance à l'intelligence collective des siens. Il l'a tué ! Ramdane dérangeait. Il contrariait des forces antiberbères multiples. C'est pourquoi, beaucoup de ses amis ont du mal à conclure à un « banal » assassinat. Le tueur octogénaire décrit comme pervers à tendance pédophile par H. Mohand Saïd, I. Belkacem et par Mohand qui le connaissent bien pouvait servir de bras armé à quelques obscurs manipulateurs. Allez savoir ?! Tout se brouille d'autant qu'une certaine presse française a vite fait de présenter l'assassin comme « un chibani victime d'un logeur cupide » ou comme « un paisible retraité ». Quel scandale ! Un racisme à peine voilé que rien ne peut justifier. Un militant abattu de sang-froid dans son propre restaurant, son serveur Tahar, toujours plein d'humour, abattu à son tour, la femme de Ramdane contrainte de prendre la fuite par les toits, un bébé dans les bras, pour échapper au tueur menaçant, tous ces faisceaux convergents d'un acte visiblement planifié n'ont pas suffi à empêcher certains journalistes de jouer au juge et au procureur au mépris de toute déontologie ! Mais peu importe en fin de compte, car eux resteront avec l'assassin dans le box des accusateurs tandis que Ramdane aura son dernier mot. Sa mémoire restera vivante et son souvenir incarnera l'expression d'un mouvement berbère sûr de sa légitimité, porteur de dignité et gardien d'une éthique. Merci Ramdane, tu n'es pas mort ! Les auteurs sont : Ancien membre de l'ALN, militant des droits de l'homme Enseignant de langue et civilisation berbères, université de Paris 8 Artiste militant kabyle Hacène Hirèche, Mouhoub Naït Maouche, Tayeb Iqoubach