L'auteur de L'Attentat donnait, mercredi dernier, une conférence à l'occasion du Festival international de la littérature, Pen World Voices qui se tient à New York City. Il était invité à faire un exercice difficile : parler de lui-même et se dévoiler en répondant aux questions d'Emmanuelle Ertel, professeur à l'Université de New York. New York : De notre envoyée spéciale Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, soutient d'emblée que l'amour de la plume est presque héréditaire dans sa famille. Mais sa vocation d'écrivain était freinée par sa carrière militaire. Etant officier dans la grande muette, il ne pouvait donner libre cours à son talent, même s'il était plus prompt à manier le verbe que les armes. Il affirme cependant qu'il ne pouvait pas rester indiffèrent à ce qu'il a qualifié d'aberration et ce que certains milieux appellent le choc des civilisations. L'hôte de la mythique New York, la ville qui ne dort jamais, a fait lui-même les frais de ce qu'il considère être plutôt « un choc de l'inculture et de l'incivisme ». Il raconte que, lors de ses nombreux périples vers différentes capitales du monde, « une fois sur trois, j'ai des problèmes dans les aéroports occidentaux. Malgré mes papiers en règle, on voit en moi un homme susceptible de porter une bombe ». La confession n'est pas celle d'un harraga, mais d'un romancier dont les livres ont été traduits dans 32 langues. Il a confié à l'audience, venue nombreuse l'écouter, qu'il craignait d'être refoulé à l'aéroport en venant aux Etats-Unis. Pour lui, cette méfiance quasi maladive nourrit inexorablement les préjugés. Il n'a pas manqué d'accuser un certain discours politique relayé par les médias d'être à l'origine de cette situation. « On nous raconte le monde non pas comme il est véritablement, mais comme on veut le voir. On nous abrutit », déplore-t-il. Yasmina Khadra dénonce la faillite des intellectuels se complaisant dans un silence qui a laissé la place à « une cheptelisation des masses ». L'auteur du best-seller Les Hirondelles de Kaboul estime que l'humanité est otage d'enjeux géostratégiques. Il en veut pour preuve la guerre en Irak qui n'est, selon lui, que le résultat d'une quête démoniaque de l'argent et du pouvoir et non un processus de démocratisation, comme on veut nous le faire croire. La plume algérienne souligne que c'est aux intellectuels que revient la responsabilité de sensibiliser les populations pour qu'elles sortent de sa léthargie face à ces desseins inavoués. C'est ce qu'il a essayé de faire lui-même à travers ses œuvres dont le très controversé L'Attentat. « Ecrire ce livre a été une entreprise périlleuse », reconnaît-il. « Il me fallait éviter les stéréotypes, ne pas confronter l'Arabe au juif », dit-il à ce propos. « Le message de L'Attentat est bien plus profond qu'un roman de fiction sur le conflit israélo-palestinien », a-t-il précisé. « J'attaque les problèmes de racisme et d'intégration. On pense souvent qu'il faut renier ses origines pour être admis dans une société », fera-t-il remarquer. « Dans cette histoire, le kamikaze Sihem est une femme admirable, civilisée », relèvera-t-il. En somme, rien de comparable avec le profil des auteurs d'attentats suicide qui, malheureusement, font souvent la une des médias. Yasmina Khadra a avoué que quand il a vu l'accueil qui a été fait à L'Attentat et la polémique qui s'ensuivit, il avait décidé d'arrêter d'écrire. Il se défend d'avoir servi comme instrument à la propagande israélienne comme l'accusent certains cercles. Aussi, il refuse qu'on analyse son livre comme on le ferait avec un verre à moitié vide... ou à moitié plein. « C'est un livre qui est foncièrement pour la cause palestinienne et celui qui dit le contraire est de mauvaise foi du moment que même des associations palestiniennes ont exprimé leur soutien à mon action », a-t-il assuré. Il est cependant conscient que son statut d'ancien officier de l'armée fera que sa crédibilité sera toujours mise à rude épreuve. « L'image qu'on a de l'armée m'a pénalisé. C'est un handicap, j'ai été toute ma vie exclu, à l'armée, en Algérie, car j'étais un écrivain ; et j'étais exclu à Paris car j'étais militaire », a-t-il regretté. Elle donne de l'eau au moulin de ses détracteurs. D'ailleurs, il fera l'objet d'un boycott sournois de la part des médias français pendant 4 ans après avoir révélé sa véritable identité. « Les chapelles bien pensantes parisiennes ne voulaient pas me reconnaître. J'étais devenu l'homme du régime. Y en a qui me considèrent jusqu'à présent comme étant un spécimen botanique venimeux », fera-t-il remarquer. Mohammed Moulessehoul en profite pour rendre un hommage appuyé à sa femme qui lui a donné son nom pour exprimer la force de ses convictions. « Elle m'a dit : ‘'Tu m'as donné ton nom pour l'éternité, je te donne le mien pour la postérité'' », a-t-il raconté sous les applaudissements nourris de l'assistance. En 2000, il est arrivé à la croisée des chemins. Il devait, en effet, choisir entre continuer une carrière militaire ou se libérer pour se consacrer entièrement à l'écriture. La fin de sa carrière militaire ne l'a pas empêché toutefois de réagir vivement aux attaques des initiateurs de la campagne du « Qui tue qui ». « Je ne pouvais pas me taire devant ceux qui déculpabilisaient les islamistes et accusaient ouvertement l'armée d'être derrière les massacres d'enfants. J'ai passé 8 ans à la tête d'un commandement chargé de la lutte antiterroriste dans douze régions et je sais ce qu'il en est », a-t-il témoigné. La tragédie algérienne lui a inspiré plusieurs œuvres dont Morituri qui est une suite à une expérience fort traumatisante. « J'ai écrit ce livre suite à un attentat qui a visé des enfants qui participaient aux célébrations du 1er Novembre dans un cimetière des martyrs. Je ne me rappelle pas comment j'ai écrit ce livre », a-t-il encore confié non sans une pointe d'émotion. Si les créations littéraires de Yasmina Khadra s'adressent à un large lectorat, il y a toujours des piques lancées en filigrane aux faiseurs d'opinions. Il en est ainsi de son best-seller Les hirondelles de Kaboul à travers lequel l'auteur affirme avoir voulu montrer « aux intellectuels parisiens ce qu'aurait été Alger si les islamistes avaient obtenu le pouvoir ». Yasmina Khadra, qui ne voulait tout de même pas finir sa conférence sur une note pessimiste, a indiqué que sa prochaine œuvre littéraire sera une histoire d'amour. Il affirme vouloir sortir des sentiers battus de la violence. « C'est un défi, c'est une gageure », a-t-il conclu avant d'être assailli par les présents qui voulaient se faire dédicacer son livre, Les Sirènes de Baghdad, dont des exemplaires ont été gracieusement offerts par une maison d'édition américaine.