Talmine. Ce bourg de la région des Zenata (tribu berbère de l'Ouest), situé à près de 240 km au nord-ouest d'Adrar, aurait pu rester dans l'anonymat n'était la récente saisie... d'opium. Adrar. De notre envoyé spécial Située dans le fin fond de l'erg occidental, cette localité, parsemée de paisibles oasis, a été rendue célèbre grâce à la découverte du plus gros lot de plantations de cet opiacé par les services de sécurité. Pas moins de 66 000 plants d'opium et 540 autres de cannabis, cultivés dans trois champs de 7 ha à ksar Bahmou, ont été saisis le 27 avril dernier dans cette région. Les propriétaires de cette parcelle qui ont incinéré 10 autres hectares de plants de même nature sont toujours en fuite. Le mois d'avril a été marqué par la découverte de plants de même nature dans d'autres localités de la wilaya d'Adrar. Le 24 avril, c'est un imam qui a été arrêté à Ksar Lichta. Il a été découvert dans le petit jardin de cet enseignant du Coran, qui a été déféré devant la justice puis relâché, deux plants d'opium. La veille, le 23 du même mois, 8317 plants d'opium, 6274 pieds de cannabis et 180 kg d'opium en graines ont été découverts à Ksar Yahia Oudris. « Une dizaine de personnes a été arrêtée dans le cadre de cette affaire », révèle le chef de brigade de la Gendarmerie nationale de Cherouine, localité distante de près de 150 km au nord-ouest d'Adrar. La première découverte de plants de pavot remonte au 7 avril 2007. Agissant sur renseignements selon lesquels « la région est connue pour sa culture d'opium », les éléments de la brigade de Cherouine ont découvert, lors de leur première opération à Aougrout, 2060 plants de cannabis, cultivés par un vieux de 72 ans dans son champ de 5 ha. Les plants de cette drogue étaient camouflés par des épis de blé. Le propriétaire de cette parcelle dans le domicile duquel il a été retrouvé également 110 autres plants de même nature, déclarera aux gendarmes qu'il l'utilise à des fins personnelles. « Hadi wa ya rebi (cette quantité me suffit à peine) », dira-t-il lors de l'enquête judiciaire. Il a été mis sous mandat de dépôt. « Ce cultivateur a bénéficié de 180 millions de centimes dans le cadre du Fonds national de développement rural agricole (FNDRA). Il risque une condamnation à perpétuité », soutient le chef de la compagnie de Timimoun. La plus grosse affaire dans laquelle a été arrêté un grand nombre de personnes pour leur implication dans la culture de cannabis et de l'opium a eu lieu à Tinerkouk : 20 personnes de Ksar Fatis ont été déférées devant la justice et une seule a été maintenue sous mandat de dépôt. Lors de cette affaire, 4086 plants d'opium, cultivés sur une superficie de 2 ha, ont été découverts dans le jardin d'un homme âgé de 65 ans. Au total, une quarantaine de personnes ont été déférées devant la justice et une dizaine placée sous mandat de dépôt. L'enquête suit toujours son cours à l'effet de traquer d'autres narcotrafiquants. C'est dire que l'opium et le cannabis ne transitent pas uniquement par les frontières ouest du pays mais sont cultivés sur le sol algérien même. Des champs à perte de vue, comme ceux de Talmine, Aougrout ou Tinerkouk, ont vu le jour. « Les narcotrafiquants profitent de l'éloignement de certaines oasis par rapport aux services de sécurité pour s'adonner à la culture de cet opiacé », affirmera le chef de la brigade de gendarmerie de Cherouine. Celui-ci nous invite à l'accompagner à bord de son véhicule de service pour aller visiter un des lieux où ont été découverts les plants de cette drogue. Zones inaccessibles par engins Ksar Yahia Oudris. Samedi, 15 h passées. Après avoir parcouru une centaine de kilomètres le long d'une route très dégradée, dont une dizaine de kilomètres vient d'être ouverte, les 4x4 de la Gendarmerie nationale de Cherouine s'arrêteront devant une bâtisse qui fait office d'école. La poursuite de notre chemin à bord de ces véhicules semble impossible. « La zone où a été découverte la drogue qui se trouve à l'intérieur de l'erg occidental est inaccessible avec nos engins roulants », nous expliquera le chef de la brigade de Cherouine qui nous fait signe de le suivre à pied. Il nous semblait errer avec lui sous un soleil de plomb sur près de 3 km. Rien n'apparaît à vue d'œil que d'immenses dunes. On est pris par des débuts de vertige alors qu'aucun repère n'est possible. Les dunes nous empêchent de voir loin. C'est le néant. Nous marquons une halte. Notre guide, le chef de brigade de Cherouine, semble lui-même avoir perdu ses repères. Plus aucun indice ne semble l'aider à reconnaître le lieu où il a découvert avec ses éléments la culture de l'opium et du cannabis. Il escalade une dune avec peine. C'est alors qu'il redécouvre le « pot aux roses ». De belles oasis apparaissent. C'est dans ces jardins de légumes entourés par des palmiers et de roseaux qu'ont été plantés l'opium et le cannabis. Tout y est cultivé à l'intérieur : piment, tomate, haricot vert, concombre... mais aussi la drogue. « Les fellahs cultivent des plants d'opium car cet opiacé aime beaucoup l'eau qui se trouve à la surface dans ces oasis », selon le chef de la compagnie de Timimoun. Et puis, pour écarter toute ombre de doute, les cultivateurs font travailler des femmes… et même leurs enfants. Ce faisant, les quantités saisies – plus de 100 000 plants d'opium au total – démontrent que l'Algérie, du moins dans sa partie sud-ouest, tend à devenir une plaque tournante de culture, de commercialisation et de consommation de drogue douce. Etant déjà un pays de transit, puis consommateur, l'Algérie devient désormais un pays producteur. Vue cette situation, la main des réseaux marocains n'est pas étrangère. Cela, d'autant plus que les plants sont faciles à acquérir dans le marché marocain et d'où peut-être sont originaires ceux utilisés dans les terres du Sud algérien. « Le granulat vient du Maroc », confirme le chef de sûreté de wilaya d'Adrar. Car, historiquement, l'Algérie n'est pas connue comme étant un pays producteur, mais plutôt consommateur. Les rares cultures sont pour la consommation personnelle. On savait que la culture de l'opium et du cannabis dans la région d'Adrar faisait partie des traditions de la région avant que ce phénomène ne prenne de l'ampleur avec sa culture à grande échelle. « La culture et la consommation de cette drogue sont dans les us des gens du Sud », reconnaît-on à Adrar. Même les religieux de la région en consomment. Le recours à l'échelle productive de l'opium et du cannabis ne remonte pas donc à une période lointaine. Même si l'enquête est toujours en cours, les services de sécurité de la wilaya d'Adrar n'hésitent pas à lier cette situation à la pression exercée par leurs corps aux frontières qui ont resserré l'étau sur les réseaux de trafic et d'acheminement de la drogue vers l'Algérie. Pour ne pas dépendre de la production marocaine, ces réseaux se sont rabattus sur la production locale. Cela d'autant plus que les paysans sont une proie facile lorsqu'ils sont incités par les trafiquants de drogue à coups de profits importants, à changer de vocation agricole. L'argent du FNDRA détourné vers la culture de drogue Pour cette entreprise, tous les coups sont permis, au point même de sacrifier l'argent de l'Etat. La preuve : le propriétaire des champs d'Aougrout, un vieux de 72 ans, a bénéficié de 180 millions de centimes dans le cadre du Fonds national du développement rural et agricole (FNDRA) ; celui de Talmine, de 42 millions de centimes. Il est vrai que le marché de la drogue rapporte gros. Un kilogramme d'opium coûterait jusqu'à 30 millions de centimes, selon des estimations. Ce pavot est commercialisé sous forme de boules. On dit aussi qu' Adrar a créé des passerelles avec d'autres formes de trafics. Avec la Mauritanie (100 km de frontière), il s'agit de la contrebande de cigarette et avec le Mali (environ 1000 km de frontière), particulièrement le trafic d'armes. Le chef de sûreté de wilaya d'Adrar n'écarte pas d'ailleurs que l'argent de cette drogue est destiné directement au financement du terrorisme. Car la frontière entre le nord du Mali et Adrar est un passage obligé, sinon le seul, des armes qui alimentent les maquis terroristes du pays. « Mokhtar Belmokhtar, est le ravitailleurs n°1 des terroristes algériens », selon le chef du groupement régional de la Gendarmerie nationale d'Adrar. Ce dernier reconnaît la difficulté de mettre fin à l'entrée des armes en raison de l'étendue de la région. La superficie de la wilaya d'Adrar fait 20% du territoire national et les 4/5e de la France. Certains reliefs de la région sont d'accès impossible. C'est pourquoi la lutte contre la culture de drogue douce est devenue une priorité des services de sécurité d'Adrar en raison de son interconnexion avec le terrorisme, le blanchiment d'argent et le trafic de stupéfiants. « 2007, la lutte contre le trafic de drogue est mon cheval de bataille, car la région est la plaque tournante de ce trafic », confiera le chef de sûreté de wilaya. Ce dernier n'écarte pas l'existence de laboratoires de traitement de l'opium et de cannabis dans d'autres wilayas du pays. Des instruments traditionnels du traitement du cannabis ont été trouvés dans la région. En attendant, les services de sécurité de la région poursuivent leur lutte sans merci pour traquer les narcotrafiquants. Des patrouilles pédestres circulent quotidiennement spécialement pour d'éventuelles découvertes de la drogue. Près de 200 gendarmes ont participé aux récentes opérations. « Si on ne commence pas à traquer ces cultivateurs, on deviendra la Colombie », reconnaît un cadre de Timimoun. Pour l'anecdote, les trafiquants de la région disaient, selon ce cadre, « si l'Etat ferme ses yeux, nous parviendrons au bout de cinq ans à régler la dette algérienne ». Mais les pouvoirs publics semblent décidés à en découdre avec ce phénomène, d'où la création prochaine d'une brigade spéciale de lutte contre la culture et le trafic de drogue.