Avec un bassin versant escarpé entre les montagnes du Dahra, la vallée du Kramis n'avait à aucun moment attirer l'attention des colons qui se seront spécialisés dans la viticulture au détriment du maraîchage. Pourtant, la région ne manque pas d'atouts. Avec des terres légères que la brise marine caresse tout au long de l'année, leur assurant des températures douces dignes d'un été indien perpétuel, la région s'étale entre le Cap Ivi et l'embouchure du Kramis, en contrebas de Sidi Abdelkader, sur une distance de 45 km. Les champs où poussent allègrement, dans une harmonieuse succession, orges, fèves, petits pois, haricots, courgettes, melons et pastèques, sont parfois jalonnés de fiers figuiers et autres amandiers, faisant de la région l'une des rares à l'ouest du pays où les cultures sont menées en sec. Pourtant, la région dispose d'un réseau hydrographique des plus enviables. En effet, la bande côtière est régulièrement accoudée aux collines et montagnes qui annoncent les monts du Dahra. Qui sont essentiellement composés de marnes et d'argiles encore plus fines sur lesquelles de vastes crevasses assurent un rapide dévalement des eaux de pluie. Ici plus que partout ailleurs, les oueds auront véritablement acquis leur titre. L'absence d'une végétation facilite l'érosion dont les stigmates rappellent les espaces lunaires. Avec plusieurs couches qui se superposent jusque dans les profondeurs de la terre, l'eau de ruissellement cherchera vainement une faille pour aller former une nappe. C'est certainement cette géomorphologie qui aura dissuadé les colons qui viendront s'accaparer de ces terres. Dans son livre « Le royaume Arabe », Annie Rey-Goldezeiguer, citant le général Deligny, fort connu pour son agressivité envers les indigènes, souligne son acharnement à vouloir à tout prix disposer de 300 000 hectares à prélever sur les terres des tribus de la division de Mostaganem. Malgré les dénégations des colonistes, l'agriculture algérienne suffisait aux besoins de ses habitants tout en dégageant une bonne partie des produits vers l'exportation. C'est la déstructuration de la paysannerie qui allait entraîner pour plus d'un demi siècle le recours à l'importation de denrées alimentaires. La sécheresse et les famines ainsi que les maladies viendront assombrir le tableau. Avec leur arrogance séculaire, les occupants, au lieu de s'inspirer des techniques culturales indigènes, s'en iront expérimenter de nouvelles. Ils se détourneront de cette agriculture traditionnelle pour en introduire une autre qu'ils mettront du temps à maîtriser. Entre 1880 et 1890, le phylloxéra entraînera la quasi-destruction du vignoble français. Donnant à l'agriculture coloniale l'occasion de prendre un essor que rien n'arrêtera. En quelques années, les alignements impeccables de ceps finiront par épouser le paysage. Au point de se confondre totalement avec lui, donnant aux dunes de Sidi Lakhdar et de Hadjadj ces zébrures verdoyantes. Pays viticole Après un siècle de frustrations et de vexations, toute l'Algérie littorale et intérieure offrira l'image d'un pays viticole. En 1930, la part des vins dans l'exportation dépassait les 50%. Cette culture qui nécessitait beaucoup de main d'œuvre, trouvera dans la région les ouvriers qui feront son exubérance et sa vitalité. Car sur leurs lopins de terre épargnés par les lois d'expropriation aussi injustes que scélérates, les indigènes n'avaient rien perdu de leur savoir faire ancestral. Quelques cépages locaux, parfaitement adaptés à la région, produisaient raisins de table et raisins secs sans lesquels le fameux couscous n'avait aucune saveur. Des cépages probablement sélectionnés sur ces terres, comme le Aadari aux grains craquants ou la Farranah qui se conjugue en noir et blanc et qui produit des raisins secs aux multiples saveurs. Ce sont probablement ces vignes indigènes qui allaient inciter les nouveaux occupants à s'y intéresser de plus près. Car dans leur entreprise, les nouveaux terriens, notamment ceux arrivés sur les traces du tristement célèbre Pélissier et du non moins sinistre St Arnaud, s'échineront à essayer n'importe quelle culture. Une des plus grande méprise des géographes et des architectes de la colonisation aura été d'avoir considéré l'Algérie comme un pays tropical. D'où une multitude d'expériences aussi malheureuses les unes que les autres, qui finiront par des faillites en série. Sans l'apport de l'agriculture traditionnelle des habitants autochtones, beaucoup de familles de colons auraient certainement été décimées par les famines. C'est ainsi qu'après plusieurs années de tergiversations et de déboires, nombreux sont les colons qui se résigneront à ne cultiver que du vignoble. Ils prendront seulement le soin d'importer depuis la métropole des cépages à cuve. C'est alors que le Grenache, l'Aramon, le Cinsault, le Pinot, le Mourvèdre, le Morastel, le Carignan, l'Alicante, la Clairette pointue ou égreneuse, le Maccabéo, le Merséguéra et le Sémillon feront leur apparition sur les coteaux du Dahra. La réussite sera fulgurante. Par pans entiers, l'agriculture vivrière cédait la place à une monoculture aux multiples aléas. C'est ainsi qu'après l'indépendance, l'ancienne puissance coloniale refusera sous différents subterfuges de recevoir les vins d'Algérie. Après quelques années de déboires multiples suite à une drastique mévente, l'arrachage du vignoble s'imposera de lui-même. Le recours à des cultures de subsistances ne se fera pas sans accrocs. Les rendements ne seront jamais au rendez-vous. Ce n'est que durant l'année 96 qu'un retour vers les cépages à cuve sera encouragés et soutenu par l'Etat. Mais avec l'arrivée des vins d'Australie et du nouveau monde, c'est tout le négoce vinicole qui sera fortement perturbé. La région du Dahra qui avait planté plus de 7 000 hectares en l'espace de 5 années, commençait à avoir des difficultés à trouver preneur. S'en suivra une révision des prix qui portera sur de vieux cépages. Révision qui depuis 2 années aura été généralisée à l'ensemble des raisins. Même les plus nobles comme l'Alicante ou la Syra rejoindront les moins prisés. D'où une grande désillusion de la part des viticulteurs dont certains n'hésiteront pas à arracher des vignes d'à peine 7 ans d'âge. Un vrai sacrilège pour une région dont la vocation première demeure la viticulture. Cette coûteuse révision pourrait sonner le glas de cette pratique culturale doublement millénaire.