Quand Jean Daniel parle de la presse, il faut l'écouter. Bien l'écouter. Cet illustre personnage médiatique, sans doute l'un des plus brillants journalistes de sa génération en France et en Algérie — c'est un digne fils de Blida — a échangé hier avec ses jeunes confrères algériens des mots simples mais très pertinents à propos du métier qu'il chérit par dessus tout, le journalisme. Monument de la profession ? Véritable institution ? Du haut de sa stature intellectuelle, le grand Jean Daniel — Ben Saïd pour les intimes — était hier très incommodé d'entendre ce chapelet de superlatifs lancés par Amine Zaoui, directeur de la Bibliothèque nationale, qui voulait restituer l'immense talent de cet illustre invité. « C'est une présentation trop élogieuse », répliquera Jean Daniel modestement. Fidèle à son métier de journaliste dont il en a fait un sacerdoce depuis plus d'un demi-siècle, le directeur du Nouvel Observateur n'en dit pas moins son aversion pour le mot « institution ». « Cela fait vieillir », dit-il, le sourire en coin. Et en parlant de fidélité, Jean Daniel rend un hommage appuyé à ses instituteurs du collège colonial de Blida qui ont précocement décelé en lui la graine du journaliste. « On m'a poussé à écrire, c'est ce que la France a fait de bien dans ce pays… » Et entre deux réminiscences de son enfance en Algérie, le patron du Nouvel Obs glisse subtilement une belle formule pour rapprocher cette lointaine Algérie française des années 1950 de l'actuelle guerre des mémoires. « La création de ces collèges est la seule excuse pour le colonialisme ! », assène-t-il. Il dira cependant ne pas saisir le lien entre un pacte d'amitié et la repentance. « Pour moi, c'est un conflit artificiel, et le président Bouteflika, qui m'a reçu il y a deux jours, est d'accord avec moi. Il va peut-être falloir que l'Algérie redevienne un peu française et la France redevienne un peu algérienne également », plaisante le grand journaliste. Lui plaide plutôt pour une relation « apaisée » entre les deux pays sans toutefois vouloir manifestement s'engouffrer dans la polémique sur la repentance. Et l'OAS que Sarkozy voudrait réhabiliter ? « L'OAS, c'est le mal lui-même », lâche le journaliste, sentencieux. La presse aujourd'hui ? Jean Daniel éprouve un brin de nostalgie à ce que fut le métier d'écrire d'il y a des dizaines d'années. Le journalisme version Camus, privilégiant la réflexion, voire élitiste aux entournures, semble manquer à Jean Daniel qui dit avoir du mal à accepter « la mode des encadrés et des textes courts » des journaux d'aujourd'hui. Pas plus qu'il en éprouve un certain dédain à l'égard de la presse dite people « qui fait vendre malheureusement ». Mais le journalisme garde la même mission aux yeux de ce vieux routier des rédactions. « Nous avons un pouvoir extraordinaire quand la presse est libre. Mais il y a également un risque systématique de dénigrement… » Voilà comment Jean Daniel résume la difficile équation entre la liberté de la presse et ces dérives. « Il faut libérer la presse là où elle est bâillonnée, mais il faut aussi la responsabiliser. » Quid de la presse algérienne ? « Je ne peux pas porter de jugements, mais je n'oserai pas la comparer à la presse tunisienne qui met systématiquement les photos du président Ben Ali sur ses unes ! », enchaîne-t-il. Plus généralement, Jean Daniel suggère que tous les chefs d'Etat ne portent pas la presse dans leur cœur. « Vous savez tous la relation qu'entretiennent les hommes au pouvoir avec la presse… » La preuve ? « Sarkozy est un homme qui n'hésite pas à téléphoner aux patrons de presse dès qu'il y a un papier qu'il n'apprécie pas », affirme le directeur du Nouvel Obs qui ne pense pas pour autant que Nicolas Sarkozy, qui prend ses nouvelles fonctions aujourd'hui même, soit une « menace » pour la liberté de la presse en France. Enfin, et à ceux qui accusaient ce grand journaliste d'avoir été parfois complaisant à l'égard de ses confrères algériens, Omar Belhouchet, directeur d'El Watan, est intervenu pour défendre « celui dont l'engagement avec les journalistes algériens durant les années de braise ne s'est jamais démenti. Jean Daniel est trop modeste pour parler de lui-même, mais nous devons reconnaître qu'il a beaucoup fait pour les journalistes algériens ».