El Anka débuta sa scolarisation à l'école coranique (medersa), rue Gariba, puis à l'école primaire en langue française, où il eut comme maître Brahim Fattah, que Dieu ait son âme, décédé en 1928 à Alger, comme camarade de classe, El Hadj Mohamed Tahar Bouchouchi, le père de Mimouni, et El Hadj Yacef, père de notre héros national qui n'est autre que Yacef Saâdi qui n'est plus à présenter. En 1915, Mohand Ouidhir réussit son entrée à l'Ecole normale de Bouzaréah. Dans cet établissement et parmi tous les professeurs, un seul attirait son attention : M. Lebon, professeur de musique qui jouait de la mandoline. L'élève Mohand Ouidhir n'avait d'yeux que pour ce professeur, il l'attendait toujours avec impatience. Mais hélas ! comme il était issu d'une famille pauvre, il ne pouvait continuer ses études qui nécessitaient de gros moyens financiers, et les circonstances de l'époque l'ont obligé à quitter en 1918 les bancs de l'école, la mort dans l'âme, pour aider sa famille. Il n'avait que onze ans. Comme le hasard fait parfois bien les choses ! Dieu en a voulu ainsi. Il avait un oncle maternel qui travaillait dans une société de gardiennage. Pendant le mois de Ramadhan, il ne pouvait quitter son lieu de travail pour aller rompre son jeûne à la maison. Il était obligé de manger sur son lieu de travail. C'est le petit Mohand Ouidhir qui était chargé de lui amener son ftour. C'était aux environs de 1917-1919. Son itinéraire l'obligeait à passer à l'aller et au retour devant le café de la Gare tenu à l'époque par Rabah Charbonnier. Dans ce café pendant tout le mois de Ramadhan, Echeikh Mustapha Nador, que Dieu ait son âme, animait des soirées. Mohand Ouidhir fût attiré par la musique qui sortait de ce lieu, cette musique qu'il a tant adorée pendant sa scolarité. Il s'asseyait à une table à l'extérieur et, au fur et à mesure que le cheikh chantait, Mohand Ouidhir tambourinait la mesure sur la table, jusqu'au jour où il fut surpris par le tenancier. Gêné, il ne savait que faire, mais le patron le fit entrer dans la salle et lui servit une limonade. Depuis, il ne rata aucune soirée jusqu'au jour où il devint un élément de cet orchestre. Au cours d'une soirée, Echeikh Nador le surnomma El Anka à cause de la pomme d'Adam qu'il avait au cou, et non El Eulka comme le prétendent certains. Ce témoignage, je l'ai reçu de Omar Bibiou, que Dieu ait son âme, en présence de mon ami Mohamed Rachid qui détient, à lui seul, tout le patrimoine du chaâbi. Donc, à partir de cet épisode, Mohand Ouidhir s'appellera désormais M'hamed El Anka. Un nom qui grandira avec lui et qu'il portera jusqu'à la fin. A la mort de son maître Echeikh Nador en 1926, M'hamed El Anka prend le relais. Une soirée chez la famille Bouhraoua, rue des Abderrames, pour la circoncision de leur fils Omar Bibiou, marqua cette période. Après cette soirée, M'hamed El Anka fut très sollicité. En 1927, il commence les enregistrements de disques, 27 rien que pour cette année-là, que je détiens actuellement. En décembre 1936, c'était le grand départ pour une magnifique destination, La Mecque, où il accomplit le pèlerinage aux Lieux Saints de l'Islam. Il embarqua ainsi sur le Mendoza, bateau au nom d'une ville d'Argentine, et revint en février 1937. Durant son séjour à La Mecque, il reçut une invitation personnelle de Sa Majesté le roi Ibn Saoud. M'hamed El Anka fait son entrée dans les cours royales sous le nom d'El Hadj M'hamed El Anka. Pour l'anniversaire du trône du royaume chérifien, il reçut également l'invitation de sa Majesté le roi Mohammed V pour animer les soirées à Rabat, Casablanca et Fès. Ce témoignage m'a été confirmé par Mohamed El Alaoui durant mon séjour en 1973 à Casablanca, et par mon oncle maternel qui avait vécu pendant 17 ans dans cette ville. En 1937, il fait un voyage en France et plus exactement à Paris. Il était accompagné par son orchestre Ahmed Boukema, Chaâbane Chaouche et Rachid. Etait du voyage également, Echeikh El Hadj Hamada. Là, il fait la rencontre de Mohamed Abdelwahab chez Polyphone. Dans les années 1940, il rencontre Edith Piaf. Elle l'avait surnommé l'oiseau rare quand elle a su qu'El Anka signifiait le phénix, oiseau de la mythologie qui renaît de ses cendres, et également un être supérieur et unique en son genre. Il avait enregistré et chanté 10 chansons en kabyle, 4 disques en 1932, 1 en 1937, 2 en 1958, et 3 au cours des émissions radiophoniques ainsi que 5 ouvertures musicales. De 1930 à 1949, aucune trace du maestro El Hadj M'hamed, hormis les soirées familiales. En 1945, El Hadj M'hamed El Anka a remodelé et façonné le chaâbi et, de là, le prestige et la notoriété du maître vont en croissant avec un Mekraza à la percussion. L'amiral Auboyneau, un orientaliste qui parlait l'arabe couramment, avait passé à plusieurs reprises des journées entières avec El Hadj M'hamed et Sid Ahmed Ibnou Zekri dans une villa au chemin Poirson, à El Biar, pour écouter El Anka chanter car il adorait la musique algérienne. El Anka était aussi un nationaliste avéré. Au cours d'une soirée à Saint-Eugène (aujourd'hui Bologhine), Raymond Laquière était invité. Quand El Anka sut qu'il devait arriver, il s'était juré de le mettre au « garde-à-vous ». Dès l'arrivée de celui-ci, au milieu des convives, El Anka s'arrêta de chanter. Il entama La Marseillaise et Laquière se mit au garde-à-vous malgré lui, pari tenu et gagné de fort belle manière. Depuis qu'El Hadj M'hamed El Anka prit l'étendard de ce noble genre musical, celui-ci ne fit que monter toujours plus haut et ce, malgré la rude concurrence de l'époque : Hadj M'rizek, Hadj Menouar, Khelifa Belkacem et tant d'autres maîtres. Il avait un génie qui sommeillait en lui et qui se réveillait sur scène. Dieu en a voulu ainsi, en chantant, il pleurait, riait, grondait… Quand El Anka chantait, c'était magique, car chanter ne veut pas dire braire, comme il le disait souvent. Il avait un auditoire au Maghreb et en Europe. Pas élitiste, il était d'abord la propriété, le patrimoine culturel et la mémoire de tout un peuple. Durant la guerre d'Algérie, il échappa miraculeusement aux tirs de l'OAS devant l'entrée de la Radio d'Alger, rue Berthezene, l'actuelle rue Docteur Saâdane. Car il était dans le collimateur de l'OAS ainsi que Mohamed Ouaniche, ils eurent la vie sauve grâce à l'intervention de Ortiz, témoignage que je détiens de Mohamed Ouaniche en personne, que Dieu ait son âme. Un autre témoignage que je gardais jalousement depuis 1975 : El Hadj M'hamed El Anka et moi-même sommes allés rendre visite à un ami que je ne connaissais pas auparavant, il s'est avéré par la suite que c'était un ancien de l'Armée de libération nationale (ALN). Après plusieurs sujets de conversation, notre ami posa une question indiscrète à El Anka : « Si El Hadj ! Est-ce que tu te souviens du lot de pataugas que tu nous a remis par l'intermédiaire du frère X en 1959 ? » Je compris alors qu'El Anka était aussi nationaliste. Il répondit : « Oh ! Mon fils ce n'est qu'un devoir. » En 1963, quand Sa Majesté le roi Hassen II, lors de son invitation en Algérie, fit l'offre alléchante à El Anka de prendre la direction de la station radio de Rabat et créer un conservatoire du chant populaire au Maroc, El Anka déclina l'offre. Tout le le peuple algérien connaît El Hadj M'hamed El Anka à travers ses chansons telles que El H'mam li rabitou (Ce pigeon que j'ai élevé), El Meknassia (La Meknessienne), et, surtout Sabhan Allah Yaltif… El Anka était une encyclopédie, il était, comme l'avait surnommé Kateb Yacine, l'Himalaya. Il faut avoir du souffle pour atteindre son sommet, il était une pyramide, visible de l'extérieur, mais dont le génie et le secret se trouvent au fond des entrailles, à jamais inviolés. Cher ami et maître, repose en paix et que Dieu t'accorde Sa Sainte Miséricorde et t'accueille dans Son Vaste Paradis, pour les louanges que tu lui avais fait ainsi qu'à notre Prophète Mohammed, que le Salut soit sur Lui, durant plus de cinquante années, à travers El Feradjia, Chafi, Etaousouf, El Khazna Sallah Alik. Mon cher maître, Edaouam Errabi Sebhane Khalek Rouh. Sid Ali Saâd Membre fondateur de la Fondation El Anka