Ces législatives ne ressemblent pas du tout aux précédentes ! » C'est incontestablement là le seul point de convergence autour duquel pourraient « faire alliance » les 20 partis qui se disputent les quatre sièges de députés pour la wilaya de Tindouf. Dans cette région pourtant marquée par l'appartenance tribale, de fausses notes sont venues cette fois chahuter l'harmonie séculaire. A Tindouf, comme dans certaines régions du pays, la chose publique a toujours été gérée par les patriarches – chefs des grandes familles ou des branches composant la tribu. Leur décision s'apparente à un mot d'ordre autour duquel toute la tribu se rangeait. Aujourd'hui même les partisans des grandes formations que sont le FLN, le RND et le MSP pour qui les jeux étaient, auparavant, faits à l'avance, reconnaissent que le flou est de mise. Un flou consécutif, en grande partie justement, à une certaine « faiblesse » de l'autorité patriarcale qui leur assurait une garantie lors de tous les précédents scrutins. Les deux tribus et les autres Dans cette région du Sud-Ouest algérien cohabitent depuis des lustres deux tribus : la plus grande, celle des Reguibate, suivie des Jakana, et puis, les « autres », c'est-à-dire celles qui n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre, regroupées sous l'appellation des Cheraga. Les Cheraga, en fait, se composent de plusieurs petites tribus dont les plus reconnues sont les Chaânba, les Ghnanma et les Doui Menaï. Pour les Tindoufis, la carte géopolitique de la wilaya a été, depuis l'instauration du multipartisme, le reflet de l'ethnisme qui caractérise la région. « Avant, explique un des anciens des Reguibate, nous, c'était le Front (le FLN) et un peu le RND et eux (les Jakana) c'était Hamas (l'actuel MSP) et chaque tribu essayait de rallier le plus grand nombre des Cheraga de son côté. » Les choses étaient claires. « Aujourd'hui, ajoute-t-il, il y a trop de partis et on ne comprend plus rien. On trouve les fils d'un même arch dans des partis différents. » A Tindouf, il est aussi question de petits groupes de Touareg et de Azawed installés tout récemment. Par contre les « gens du Tell », venus des wilayas du Nord et devenus électeurs par la force des choses, ne semblent, apparemment, pas être pris en considération. Une petite fausse note qui échappe aux chefs des « grands partis » que seule la dispersion des enfants de la tribu des Reguibate préoccupe à un très haut point. Ce qui semble faire l'affaire des autres formations politiques, dont le RCD et l'Infitah qui tablent, en plus des fractions de tribus laissées-pour-compte, sur cette tranche oubliée. « Personne ne pense à cette catégorie, dira un partisan d'une de ces formations. Nous, nous leur avons ouvert les portes. » Par ailleurs, un citoyen lâche ceci : « Je n'appartiens à aucune tribu et si je vote, je donnerai ma voix à un des autres partis. » La dispersion des représentants de la tribu des Reguibate est, selon tous les Tindoufis interrogés, une première. Elle est venue fausser toutes les prévisions. « Si la situation était comme les dernières consultations eléctorales, nous vous dirons dès maintenant quels partis obtiendront des sièges et même le nombre de sièges pour chaque parti », répondent de nombreux électeurs. En fait, six issus de cette grande tribu se présentent comme candidats à la députation en tête de listes d'autant de formations politiques. Quelques-uns d'entre eux n'appartiennent pas seulement au même arch mais, plus encore, à la même famille. Pour qui voter ? Si la tendance partisane ne l'emporte pas – ce qui n'est pas une certitude –, c'est la personnalité en tête de liste et des autres membres qui auront le dernier mot, selon certains. Les raisons d'une dispersion La première explication qu'on avance est le fait que les temps ont changé et que l'appartenance tribale qui octroyait le pouvoir de décision au « conseil des sages » commence à s'effilocher. Cette autorité semble relativement entamée même si elle n'est pas encore vivement contestée par les les générations ayant une toute autre mentalité. Si certains regrettent le bon vieux temps où toute la tribu s'alignait derrière un seul parti, ou à la rigueur deux, depuis l'instauration du multipartisme, d'autres encore pensnent qu'il est temps peut-être « d'en finir avec cette appartenance tribale qui, non seulement est en décalage avec l'évolution des mentalités mais qui a, aussi, durant de longues années, marginalisé les jeunes ». Ce qui n'est pas du tout de l'avis des plus âgés. « Avant, déclarent ces derniers nostalgiques, jamais des enfants de la même tribu ne se sont opposés, les vieux désignaient, d'autorité celui qui devait représenter la tribu et personne ne trouvait à redire. » Le FLN et le RND mis en cause Cependant, il semble qu'il y a une autre explication conjoncturelle à cette course à plusieurs. Beaucoup pensent que le retard accusé par le parti FLN dans la confection des listes de ses candidats, gardées secrètes jusqu'au dernier délai pour le dépôt des dossiers, a fait craindre le pire à la tribu des Reguibate. « Les chefs des grandes familles de la tribu ont craint de n'avoir personne pour les représenter à la tête du Front et ils ont, en quelque sorte, "permis" à leurs descendants de se présenter comme candidats – tête de listes, bien sûr ! – dans d'autres partis pour éviter toute mauvaise surprise », explique-t-on. D'un autre côté, ces descendants – les nouvelles générations – avancent le fait que les grosses cylindrées (FLN et RND) que la tribu a toujours portées à bout de bras, ont maintenu une sorte de blocus empêchant l'émergence de nouvelles figures et reconduisant, à chaque élection, toujours les mêmes têtes. « C'était devenu un cercle fermé dans lequel on n'avait aucune chance d'y accéder », dit-on. Un ras-le-bol qui pourrait coûter des plumes à ces deux formations, notamment le FLN. Selon un de ses candidats, ce parti a présenté en effet une liste d'union où toutes les tendances sont représentées. Cependant, il semble qu'une branche importante des Reguibate, celle d'Ahl Brahim oua Daoud, et une autre, les Sellame, ont été marginalisées par le vieux parti, selon les dires de ceux pour qui les arcanes des composantes ethniques n'ont aucun secret. Pour le MSP, ce sont là autant de voix à récupérer. Le Mouvement de la société pour la paix qui a mis la main sur l'unique siège du Sénat pour la wilaya, en décembre 2006, est un parti avec lequel il va falloir compter. Dans l'esprit de la plupart des citoyens, c'est le parti politique des Jakana. « Ce n'est pas vrai », rétorque un de ses membres. « Certes, les membres fondateurs du MSP à Tindouf appartiennent à la tribu des Jakana, c'est la raison pour laquelle on lui colle cette étiquette, mais vous n'avez qu'à voir l'origine des candidats proposés à la députation pour vous rendre compte que le MSP n'est pas le parti d'une seule tribu », ajoute-t-il. Cependant, quel que soit le cosmopolitisme dont se targue ce parti, pour la population de Tindouf, la grande majorité des Jakana votera MSP. « Cela ne signifie nullement que le mouvement est à l'abri des surprises puisqu'il y a dans les autres listes des Jakana qui ont du poids et qui peuvent drainer une bonne partie de la tribu », laisse-t-on entendre.