On fait toujours la connaissance d'un poète un peu par hasard. Aziri joue avec les mots et cisèle ses notes comme un orfèvre. Il puise ses inspirations dans la génération de Slimane Azem. Ses compagnons ont pour nom Cheikh El Hasnaoui, Zerrouki Allaoua… Rencontre avec un artiste atypique. Qui est donc Aziri ? Pouvez-vous vous présenter ? Je suis né à Alger. Mes parents sont retournés en Kabylie, leur terre natale, quand j'avais deux ans, plus précisément, à Ath Ziki, un petit village à environ 70 km de Tizi Ouzou. Dans ma famille, on a toujours aimé la musique et le chant, mon père jouait de la flûte et mon grand frère de la guitare, mais ils le faisaient tout naturellement pour le plaisir. Mon enfance a été bercée de musique, surtout celle qu'on entendait à la radio. On écoutait les disques des anciens chanteurs, la musique et les chansons de chanteurs traditionnels. Vers l'âge de 10 ans, j'en étais tellement imprégné que j'avais l'intuition que, pour moi, ce serait la seule voie possible. Mais je n'en avais pas vraiment conscience. A quinze ans, j'ai appris à jouer de la guitare tout seul. Depuis, elle ne m'a plus quitté. On sent que votre album tire ses racines de loin. On remarque une influence des anciens, comme Zerrouki Allaoua et Cheikh El Hasnaoui. Vous avez été marqué par eux ? J'ai été imprégné par la tradition musicale des grands anciens. Ils ont été mes premiers maîtres. Leurs chants étaient de magnifiques poèmes traversés par des thèmes comme l'amour, la liberté, l'exil. Ce n'étaient pas des chansons légères, mais vraies. Celui qui m'a particulièrement marqué était Slimane Azem. Ce qu'il faisait n'avait rien à voir avec un folklore superficiel ou la mode. C'était un artiste complet : auteur, compositeur, interprète. Pour les chœurs, vous avez choisi les sœurs Djurdjura. Comment s'est faite la rencontre ? Avant de rencontrer les sœurs Djurdjura, j'avais une immense admiration pour le groupe. J'ai tout naturellement pensé à Djura quand j'ai fait cet album et elle a accepté d'y collaborer. Elle n'a rien perdu de la flamme et de l'authenticité que j'avais aimées. Est-il difficile d'être artiste kabyle à Paris ? Etre un artiste kabyle à Paris est très difficile, il est difficile de rester soi-même, de garder dans son cœur le message que l'on porte. On est face aux autres. Il est beaucoup plus facile de « s'intégrer », c'est un mot à la mode, de renier ses origines, de se fondre dans la masse. Vivre en étant différent, avec ce que l'on est vraiment, c'est se sentir menacé en permanence et cela peut conduire à une sorte de folie. Il faut garder l'équilibre entre ce que l'on est et ce que l'on est devenu. Le problème est double. En tant qu'artiste, on est autre, on doit en permanence dompter son pouvoir de création, en tant qu'exilé, on doit chaque jour surmonter son désespoir. C'est pourquoi je ne veux pas être seulement un chanteur kabyle pour les Kabyles. L'exil, la tristesse, la nostalgie sont des thèmes universels que chacun peut comprendre et ressentir. Votre double album porte un titre bien mystérieux, Timsaeraqt, « l'énigme ». Pourquoi ce choix ? Ce n'est pas un choix, c'est l'œuvre qui a donné son titre à l'ensemble de l'album. L'énigme est le fil conducteur de toutes les chansons de l'album qui est comme un labyrinthe. Chacun trouvera son propre chemin vers la sortie. Comment peut-on décrypter vos chansons ? Si mes chansons sont entendues de façon superficielle, elles ne conduiront nulle part. Chacun est libre et doit trouver dans son cœur une voie ou/et une voix intérieure. L'écho est un phénomène universel. Certes, il y a des montagnes en Kabylie mais pas seulement. L'Atlas, les Alpes, l'Himalaya abritent des peuples authentiques, mais dès lors qu'on les enferme, qu'on les réduit à leur seul particularisme, c'est terminé, ils sont bons pour les réserves, les zoos. Si des peuples sont en voie de disparition, c'est que le folklore et la mise en scène participent à cette mise à mort silencieuse. Le chant meurt, la langue meurt, les poètes sont oubliés.