Les hammams se font de plus en plus rares à Alger. Certains ont carrément mis la clef sous le paillasson, supplantés par des douches publiques plus fonctionnelles et moins onéreuses. La plupart des gérants de ces bains invoquent la cherté de la vie et la disponibilité de l'eau dans les foyers. « Du temps où l'eau n'était distribuée, à Alger, qu'un jour sur trois, il y avait foule. A présent que l'eau coule à flots des robinets, les gens ont déserté les hammams préférant se laver chez eux », nous révèle la propriétaire d'un hammam à El Biar. sCôté client, on pointe du doigt l'augmentation du prix d'entrée passé de 60 à 100 DA (et même plus dans certains hammams) en l'espace de 2 ans. « Avant, tout le monde pouvait se permettre d'aller au bain une fois par semaine, confie une jeune femme. A présent, il faut vraiment une circonstance particulière (mawssim) comme le début de Ramadhan ou l'Aïd pour y mettre les pieds. » Outre les 100 DA par adulte (entre 20 et 30 DA par enfant), il faut également débourser 20 DA pour la « gardienne » de cabas, car, comme partout ailleurs, les vols sont fréquents. On appelle cette femme « el nadara ». Et puis, aller au hammam sans faire appel aux mains expertes d'une masseuse « tayabba » serait une fausse-note. A ce rituel prévoir 60 DA ! Dans certains bains, plusieurs « tayabbate » se relayent. L'une d'entre elles, rencontrée au hammam Zemzem, situé à la rue Réda Houhou (ex-Clausel) nous confie : « Séparée de mon mari, je suis obligée de gagner ma croûte. Je n'ai ni diplôme, ni métier. Ma paye dépend du bon vouloir des clientes qui me sollicitent. Certains mois, j'arrive à peine à gagner 5000 ou 6000 DA. Dans d'autres hammams, les « masseuses » reçoivent un salare par le propriétaire, en plus des pourboires. Ici, la rénumération est laissée à la discrétion des clientes. Généralement, on me donne autour de 30 DA pour le massage du dos et le double pour tout le corps ». Et les mariées ? Sont-elles toujours aussi nombreuses à venir se laver la veille de leurs noces accompagnées de leurs amies et voisines, comme jadis. « Cette tradition a tendance à disparaître, pour des raisons budgétaires, les nouvelles mariées viennent se laver dans la plus grande discrétion. Certaines craignent de payer le supplément fixé à 50 DA par personne. Dans le temps, c'était la fête lorsqu'une mariée venait, gâteaux et limonade étaient distribués, on allumait des bougies, les femmes chantaient des chansons spécifiques à cette circonstance (taqdima) et les youyous faisaient vibrer les voûtes ! » Accroché devant le comptoir d'entrée, un écriteau dit : « L'eau est rare, l'eau est chère, ne la gaspillez pas, celui qui la gaspille est prié de ne plus revenir dans ce hammam ». Signé la direction. Non loin, des matelas sont entassés dans un coin. « C'est pour les hommes, explique la réceptionniste. En général, ils aiment s'allonger dans leur « fouta » à la sortie du bain. » Des horaires spécifiques aux femmes et aux hommes sont aménagés. Outre le tissu rouge accroché à l'entrée signifiant que c'est au tour des femmes, les horaires sont fixés dans la plupart des hammams comme suit : 6 h -10 h pour les hommes ; 10 h 16 h 30 pour les femmes ; au-delà, ces lieux sont de nouveaux occupés par la gent masculine. Quant aux petits « bonhommes » âgés de plus de 4 ans accompagnant leur maman, ils sont gentiment « refoulés » par la réceptionniste. « Inutile de leur affliger le spectacle de tous ces corps dénudés, nous dit en riant l'une d'entre-elles. A 4 ans, ce sont déjà de grands garçons et ils n'ont rien à faire dans ces lieux exclusivement féminins. » Durant des siècles, le hammam a été un lieu de purification, de détente, mais également une sorte d'institut de beauté où les femmes aimaient se retrouver pour se laver, s'épiler, se teindre les cheveux et se faire masser tout en caquetant joyeusement. Ces temps semblent révolus et la page définitivement tournée au grand dam de tous les nostalgiques.