Walid, Ameur et tout récemment Yacine. Trois noms d'enfants âgés respectivement de 12, 11 et 4 ans dont le tragique sort a marqué l'opinion publique. Victimes d'enlèvement, Walid et Ameur ont été tués par leurs ravisseurs quelques jours seulement après leur rapt, alors que le sort du petit Yacine est encore inconnu, même si les enquêteurs gardent l'espoir de le retrouver sain et sauf. Les tragédies douloureuses comme celles vécues par les familles de ces trois enfants ne sont pas isolées et ont tendance à connaître chaque année une hausse. Les services de police, les plus concernés par le phénomène du fait qu'il touche principalement les grands centres urbains, préfèrent parler de disparition qui devient « à caractère inquiétant lorsqu'elle prend des proportions alarmantes », comme cela est le cas du petit Yacine, disparu depuis le 2 mai de son quartier situé à Bordj El Kiffan, à Alger. Les statistiques de la Sûreté nationale font état de 180 cas de disparition d'enfants durant la période comprise entre janvier et avril 2007. Parmi ce chiffre, 73 sont concernés par une cessation de recherche. « Il s'agit de cas élucidés par les services de police. Le reste, soit 107 cas, reste encore pendant. Souvent, les parents retrouvent leurs enfants, mais ne les signalent pas aux services de police. Au niveau des commissariats, les noms restent comme étant ceux de personnes recherchées dans l'intérêt des familles », déclare le commissaire Mme Messaoudène. Elle explique que souvent il s'agit de fugues plutôt que de disparitions. « C'est la période qui suit les résultats scolaires qui est la plus propice à ce phénomène. Lorsque les élèves se rendent compte qu'ils ont eu de mauvais résultats, ils décident de fuguer le temps que leurs parents s'inquiètent pour eux et oublient leur échec. Nous avons eu un cas où tout un groupe de lycéens, des camarades d'une même classe, a fugué. Les pires supputations ont été faites, mais à la fin, les adolescents sont revenus. Nous avons eu aussi des cas où le ravisseur et sa victime sont complices de l'enlèvement. C'est le cas d'adolescentes qui s'entendent avec leurs amoureux pour faire croire à un enlèvement suivi de viol. C'est l'expérience et le travail minutieux des enquêteurs des brigades des mineurs qui permettent de découvrir le pot aux roses et donc de faire la différence entre une disparition, un vrai kidnapping et kidnapping simulé. » Pour ce qui est des enlèvements d'enfants, note l'officier, les services de police ont enregistré, durant les quatre premiers mois de l'année en cours, 41 cas dont 28 filles et 13 garçons. Alger vient en tête avec 21 cas. « Tous ces rapts ont été traités par nos services et leurs auteurs présentés devant la justice », déclare Mme Messaoudène, précisant que malheureusement, 5 enfants, 3 filles et 2 garçons, ont été tués par leurs ravisseurs à M'sila, Sétif, Jijel et Tamanrasset. Les ravisseurs connaissent leurs victimes L'âge des victimes est compris entre 13 et 16 ans. « Généralement, les enfants ne sont pas enlevés pour être tués. Ce sont les circonstances, notamment la pression médiatique, qui poussent les ravisseurs à mettre fin à la vie de leurs otages pour s'en débarrasser. Souvent, le passage à l'acte est commis dans un délais très court. Dans nos statistiques, les enlèvements suivis d'agressions sexuelles sont comptabilisés dans la catégorie des violences sexuelles, du fait que la qualification est plus lourde que le kidnapping », explique Mme Messaoudène. Ainsi, elle affirme que durant les quatre premiers mois de l'année en cours, 563 enfants ont subi des violences sexuelles dont 358 filles et 205 garçons. Un chiffre en hausse par rapport à celui de l'année écoulée puisque les services de police ont enregistré, en 2006, 1474 cas d'abus sexuels sur enfants dont 799 victimes sont des filles et 675 sont des garçons. Les auteurs de ces violences sont dans la majorité des cas une connaissance des victimes. Leurs actes évoluent chaque année vers la perversion la plus répugnante. « Avant, il n'y avait que les viols dans la catégorie des agressions sexuelles. Aujourd'hui, avec la télévision, les pédophiles obligent leurs victimes à faire des actes contre nature, parfois en recourant à des objets ou à des gestes et pratiques inqualifiables. Nous sommes tout simplement devant des pervers de tout genre. » L'officier estime que les statistiques cachent souvent « un chiffre noir impossible à déterminer », mais qui reste « très relatif comparativement à ce qui se passe ailleurs dans le monde ». 18 enfants tués en 2006 Elle reconnaît que le nombre des enlèvements a tendance à augmenter chaque année, puisqu'en 2006, 108 enfants ont été kidnappés parmi lesquels 74 sont des filles et 34 des garçons. « Les filles sont généralement plus vulnérables et plus sujettes aux agressions sexuelles, le but recherché souvent par les ravisseurs. Durant la même période, 18 enfants ont été tués à la suite de leur rapt dont 12 garçons et 6 filles », précise notre interlocutrice. Au sujet des lieux privilégiés pour commettre ces crimes, les services de police constatent que les ravisseurs choisissent souvent les alentours de la maison familiale, des écoles ou l'itinéraire reliant les deux. Pour ce qui est des auteurs, les enquêtes ont montré que la famille vient en première position. L'enfant victime de rapt suit son ravisseur souvent parce qu'il s'agit d'une connaissance familiale. « Le cas du petit Walid de Kouba est très indicatif. C'est sa tante paternelle qui l'a enlevé par vengeance. Elle l'a étouffé en présence de sa fille âgée à peine de 10 ans et mis le corps inanimé dans une valise qu'elle a gardée chez elle. Personne n'a douté de la compassion de cette tante jusqu'à ce que, par hasard, le mari de celle-ci va informer le père de la victime du sort tragique de Walid. Pour ce qui est du tragique sort de Ameur, âgé de 11 ans, enlevé en janvier dernier à El Eulma, wilaya de Sétif, et retrouvé mort trois jours plus tard, les auteurs, toujours en fuite, sont parmi l'entourage professionnel du père. Ils ont demandé une rançon, mais 48h plus tard, n'ayant pas eu de réponse, ils ont tué l'enfant. » Mme Messaoudène reste catégorique concernant les rumeurs sur les vols d'organes des enfants victimes d'enlèvement. « Nous n'avons jamais enregistré de tels cas. Ce sont des rumeurs sans fondement. La faisabilité d'un tel acte est réduite à néant. Il faut des moyens techniques très sophistiqués pour enlever un organe et le maintenir en vie et le transplanter sur un autre corps. Les gens croient qu'on peut arracher un rein, le mettre dans un sachet, le placer dans un réfrigérateur puis attendre qu'un acquéreur se présente pour l'acheter. C'est inimaginable », explique l'officier. Pour elle, plutôt que de « rester braqué sur ce genres d'allégations », il est plus urgent et utile de sensibiliser les citoyens, notamment les parents, sur une plus grande vigilance. « Les causes réelles de ces enlèvements ou disparitions restent en premier lieu le manque de vigilance de la famille, mais aussi la passivité des citoyens », dit-elle. Pour étayer ses propos, elle cite les cas de tentatives de rapt ayant échoué grâce à la réaction rapide et au civisme de certains citoyens. « Nous avons arrêté par exemple un homme qui venait d'enlever une petite fille devant son école. Il l'a prise dans un taxi, puis dans un bus, où un jeune l'a dénoncé après avoir remarqué que la victime était terrorisée et ne cessait de pleurer. » Mme Messaoudène insiste beaucoup sur l'inconscience de certains parents qui laissent leurs enfants en bas âge jouer dans la rue ou faire seuls le trajet jusqu'à l'école. « Comment un enfant de 4 ans peut-il être autorisé à jouer dans la rue ? La rue est un danger pour les enfants, lesquels doivent être surveillés en permanence. Nous avons eu un cas par exemple d'un père qui faisait ses courses dans une supérette. Lorsque sa petite fille avait besoin d'aller aux toilettes, son ami, propriétaire des lieux, lui a proposé d'accompagner la petite pour lui permettre de finir ses courses. Le soir, au moment où la maman changeait les couches de son nouveau-né, la petite fille décrit les parties génitales de son agresseur en lui racontant ce que ce dernier l'a obligé à faire. Un choc pour la mère qui informa son mari, et une plainte a été déposée. Elever des enfants est une lourde responsabilité que les parents doivent assumer », déclare Mme Messaoudène. Elle reconnaît cependant qu'il existe une catégorie d'enfants qui inventent des histoires dignes de scénarios de films de Hitchcock. Ces enfants ne se révèlent pas aussi innocents qu'ils ne le paraissent. A ce titre, elle rappelle le drame vécu par une institutrice dans une grande ville du pays, il y a quelques mois seulement. « Une de ses élèves âgée de 7 ans a raconté à ses parents avec des détails inouïs les abus dont elle aurait été victime comme par exemple se mettre à nue, lécher les souliers de l'institutrice, enfin faire des choses inimaginables. Il a fallu des semaines d'enquête pour que les policiers découvrent à la fin que ce n'était que mensonge. » Notre interlocutrice met l'accent sur la nécessité de campagnes de sensibilisation quotidiennes, ainsi que de programmes sur le sujet au niveau des établissements scolaires. « Il ne suffit pas d'avoir un code pénal répressif, parce que nous avons beau avoir les meilleurs textes au monde en matière de protection, lorsque leur application n'est pas respectée, tout est voué à l'échec. La protection de l'enfance ne doit pas être une préoccupation uniquement le 1er juin, à l'occasion de la Journée mondiale de l'enfance, mais tout au long de l'année. Les services de police ne peuvent à eux seuls faire face à ce fléau qui doit être pris en charge en amont par la société civile », déclare la commissaire Mme Messaoudène.