Ainsi, moins de 48 heures après la proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel, la Commission nationale politique de surveillance des élections législatives (Cnpsel) a remis, jeudi matin, son rapport final sur le déroulement du scrutin au président de la République. D'une cinquantaine de pages, le document a été signé par les partis et candidats en lice lors des élections, à l'exception de deux membres, dont le représentant du Parti des travailleurs. Accablant, son contenu fait état de nombreux dépassements à travers plusieurs wilayas du pays durant la campagne électorale et le jour du vote. Il vient conforter le contenu de la lettre signée par la commission par le coordinateur Saïd Bouchaïr, adressée au président de la République le 17 mai dernier et qui a soulevé une grande polémique avec le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, lequel estimait que l'élection s'est déroulée dans de bonnes conditions. Lors de sa dernière rencontre jeudi dernier avec les membres de la Cnpsel, Saïd Bouchaïr, coordinateur de la commission, n'a pas voulu commenter la déclaration du Conseil constitutionnel relative « au bon déroulement des élections ». Néanmoins, et après insistance des journalistes, il a tenu à préciser qu'il « réitère » le contenu de la lettre adressée au président de la République et relatif aux dépassements graves ayant entaché le scrutin. « Je persiste et signe. Ce que la commission a relevé et transcrit dans la lettre adressée au Président constitue les mêmes dépassements constatés par les membres de la commission et portés dans le rapport remis aujourd'hui (jeudi) au Président », a-t-il déclaré, ajoutant : « J'ai fourni des efforts énormes pour éviter une dérive politique, et en remerciements je reçois des coups. » A propos des critiques acerbes de Louisa Hanoune, présidente du Parti des travailleurs, Saïd Bouchaïr a estimé que cette déclaration reproche à la commission de prendre des indemnités et l'accuse d'avoir porté atteinte à la souveraineté de l'Etat. « Est-ce que les membres sont tous des traîtres ? Est-ce que les journalistes qui ont publié cette lettre sont tous des traîtres ? La commission a enregistré des dépassements, et par devoir, elle a informé le président de la République dont elle dépend. Est-ce que le fait d'avoir dénoncé ces dépassements veut dire trahison ? » s'est interrogé le coordinateur. Impartialité Pour ce qui est des indemnités, d'un montant de 60 000 DA pour le membre de la commission nationale, 15 000 DA/jour pour les membres au niveau des wilayas et 30 000 DA par représentant de parti au niveau des communes (soit 1542 communes, ce qui représente 45 millions de dinars à l'échelle nationale), le coordinateur s'est demandé pourquoi la formation du PT a accepté de prendre ces indemnités si elle juge qu'elles constituent un enjeu. Il a demandé aux journalistes de multiplier ces montants par trois chaque cinq ans (les communales, législatives et présidentielles) « et vous comprendrez pourquoi la réaction du PT ». Le rapport adressé au Président, dont El Watan, a pu se procurer une copie, a relevé de nombreuses anomalies, dépassements et violations de la loi durant tout le déroulement du scrutin. D'abord, le retard dans l'installation des commissions de wilaya et de commune, mais aussi dans la désignation par les partis et candidats de leurs représentants. Ce qui a rendu difficile l'intervention de la commission pour régler le problème du refus exprimé par l'administration à certaines listes électorales pour « des motifs futiles. Raison pour laquelle nous avons saisi le président de la République le 26 avril 2007 ». Le rapport fait état de plusieurs cas de dépassements qui illustrent la partialité de celle-ci au point où le coordinateur s'est plaint dans une lettre destinée cette fois-ci au président de la commission électorale administrative, Abdelaziz Belkhadem, le 15 mai 2007. Parmi ces dépassements, la commission a cité, entre autres, le cas de cette note du 10 avril 2007 signée par le ministre de l'Intérieur et adressée à l'ensemble des candidats leur faisant savoir qu'ils ne peuvent prétendre à percevoir leurs salaires durant la campagne, ce qui constitue, selon la commission, une violation de la loi, rattrapée par la suite. Plusieurs cas de dépassement Pour ce qui est de la campagne électorale, la commission a fait état de l'utilisation du portrait du Président, acte puni de 5 à 10 ans de prison, l'affichage anarchique et le non-respect des lieux consacrés à la campagne par l'ensemble des candidats, attaques de certains sièges de partis, conflits autour de l'utilisation des salles pour les rassemblements publics, l'utilisation des établissements publics durant la campagne, ce qui est puni par la loi, à l'image de la mosquée de Médéa, du centre universitaire d'El Oued et du centre pour handicapés de Aïn Témouchent. Il a été également fait état de l'utilisation des deniers publics pour la campagne électorale au profit d'un parti, y compris le jour du vote, un acte puni de deux ans de prison et d'une amende de 10 000 à 50 000 DA, la difficulté à obtenir des autorisations pour l'octroi des salles, fermeture de celles-ci aux partis et la partialité dans leur distribution, l'utilisation de certains bureaux appartenant à l'Etat comme lieux de permanence, ouverture de certaines permanences de partis politiques sans autorisation. Pour ce qui est du jour du scrutin, la commission a noté que certains représentants de wilayas ont qualifié le déroulement du vote « d'acceptable alors que d'autres entaché de violations et de fraudes ayant porté atteinte à la transparence et à la crédibilité des élections ». Elle a cité les cas de non-respect du classement des bulletins de vote dans des bureaux à Adrar, Chlef, Oum El Bouaghi, Béchar, Tébessa, Tlemcen, Tiaret, Tizi Ouzou, Alger, Jijel, Annaba, Médéa et Mascara, mais aussi le surplus ou le manque de bulletins de vote de certains partis politiques et listes électorales dans plusieurs wilayas, l'influence des votants par les partis ou chefs de centre dans plusieurs wilayas, vote sans procuration ou pièces d'identité et parfois des personnes à la place d'autres, notamment à Laghouat, Biskra, Djelfa, Jijel, Skikda, Guelma, Bourdj Bou Arréridj, Tissemsilt et Saïda, bourrage des urnes avant l'ouverture du scrutin à Biskra, Alger, Djelfa, Annaba, Oran, Bordj Bou Arréridj, interdiction d'accès dans les centres de vote aux membres de la commission et leur empêchement de faire état d'observations sur les procès-verbaux de dépouillement dans 14 wilayas, fuite de bulletins de vote dans 5 wilayas, incapacité des partis politiques d'avoir le nombre suffisant de surveillants dans 12 wilayas dont Alger, Boumerdès et Annaba, la poursuite de la campagne électorale le jour même du vote dans 5 wilayas, ce qui est puni de 6 ans de réclusion criminelle et de la privation des droits civiques pendant 6 ans (le mis en cause ne peut élire ou être élu), la fuite avec l'urne vers une destination inconnue à El Oued, coupure d'électricité durant le dépouillement à Laghouat, interception de procès-verbaux de dépouillement signés avant même la fin du scrutin, la remise des urnes et des bulletins de vote au chef de centre avant la fin de l'opération électorale notamment à Alger. La commission a fait remarquer que l'étude des recours qui lui ont été adressés a pu être « réalisée grâce à l'expérience du coordinateur et à son sens de la responsabilité, ce qui a permis de régler un nombre important de problèmes ». Elle a rappelé avoir reçu une lettre du ministre de l'Intérieur qui se plaignait, le 1er mai 2007, des dépassements commis par Hassan Laribi, candidat du MEN, « à travers l'utilisation de la photo du président de la République à Souk Ahras, et celles d'autres personnalités religieuses étrangères et algériennes et des dépliants faisant faisant état du rôle du candidat dans la reprise des relations de l'Algérie avec le Soudan et dans les contacts avec l'organisation terroriste AIS. La commission a répondu en affirmant que l'utilisation de la photo du Président est une violation de la loi, mais le reste ne la concerne pas et est du ressort des autres institutions du pays. Réponse qui a eu des répercussions négatives sur les relations avec le ministère en question, qui voulait utiliser la commission pour poursuivre le candidat ». En conclusion, et après avoir fait état des problèmes causés par le retard enregistré dans son installation et celle de ses autres structures au niveau des wilayas et communes, la commission a adopté plusieurs recommandations réparties en deux volets. Le premier concerne son rôle qui « doit être plus effectif dans toute l'opération électorale afin d'instaurer un climat de confiance durant tous les rendez-vous électoraux ». Pour y arriver, elle a proposé la révision de la loi électorale pour une plus grande transparence à travers l'augmentation du budget consacré à la campagne électorale, que ce soit pour les élections législatives ou présidentielle, l'utilisation d'urnes transparentes, l'entreposage des urnes dans des lieux sécurisés pour éviter une fraude anticipée, prendre des mesures répressives contre les fraudeurs ou ceux qui empêchent ou tentent d'empêcher le bon déroulement du scrutin, mettre un surveillant à côté de la liste électorale, désigner un juge à la tête de la commission communale chargée de la rédaction du procès-verbal de recensement des électeurs, réduire le nombre de bureaux pour un meilleur contrôle. Il a été également préconisé l'installation de la commission avant le dépôt des dossiers de candidature afin qu'elle puisse maîtriser son programme d'action, étudier l'ensemble des recours, travailler pour garantir la neutralité de l'administration et enfin l'utilisation de symboles pour les listes électorales afin de faciliter le choix des électeurs, notamment les illettrés d'entre eux.