Le Conseil constitutionnel a proclamé lundi les résultats des élections législatives du 17 mai 2007. Un léger toilettage a été effectué à ceux annoncés par Yazid Zerhouni, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales au lendemain du scrutin. Le changement opéré a été fait sur la base des informations chiffrées contenues dans les procès-verbaux de dépouillement au niveau des 48 wilayas du pays et des centres de vote de la communauté algérienne à l'étranger. Les partis politiques ont 48 heures (qui expirent aujourd'hui à 20h) pour déposer leurs recours auprès du Conseil. Ceux introduits avant cette date (21 mai 2007) sont tous frappés de nullité au vu de la loi. Dans le cas où les recours introduits dans les délais sont acceptés, le Conseil saisit les parties incriminées, lesquelles ont quatre jours pour répondre aux accusations portées contre eux. Un ou des rapporteurs (selon le nombre des recours) sont désignés par le président pour suivre ces recours afin que le Conseil puisse trancher dans les trois jours qui suivent la réponse des parties, c'est-à-dire au plus tard mercredi prochain à 20h. Les rapporteurs se réunissent avant et doivent présenter un rapport sur la véracité ou non des faits rapportés par les plaignants. Pour cela, ils passent par une reconstitution totale de l'opération électorale, en récupérant les urnes, les bulletins de vote, les procurations, les procès-verbaux de dépouillement dûment signés et la liste électorale. Des prérogatives limitées Ils comparent les informations trouvées avec celles transmises et contestées par les parties. S'ils ne constatent aucune différence, le recours est rejeté, mais si une erreur apparaît dans le décompte des voix, la partie incriminée va perdre ses sièges ou ses voix. « C'est une opération technique prévue par la loi. Malheureusement, rares sont les partis qui ont pris la peine de la lire, puisque bon nombre d'entre eux ont transmis leurs recours avant même la proclamation des résultats, sachant à l'avance qu'ils ne seront pas acceptés », déclare un constitutionnaliste. Pour notre interlocuteur, la différence entre les chiffres avancés par le ministre de l'Intérieur et ceux proclamés par le Conseil constitutionnel résulte du fait que les premiers ont été établis « dans la précipitation », souvent par téléphone, en joignant les walis. « Mais les résultats du Conseil émanent des procès-verbaux de dépouillement au niveau des 48 wilayas et de la communauté algérienne installée à l'étranger », révèle notre source. Revenant sur la question de la fraude, notre interlocuteur estime qu'il revient aux partis politiques et candidats de bien ficeler leurs recours pour les faire valider auprès du Conseil constitutionnel, seule institution habilitée à annuler ou à confirmer les résultats d'une opération électorale. « Il est important de savoir qu'il n'y a que l'implication engagée des partis et des candidats dans la surveillance des 42 000 bureaux de vote qui peut empêcher la fraude. Lorsque je dis l'implication des partis, je vise la désignation de militants en tant que surveillants et non pas des personnes rémunérées à l'occasion.Tant qu'aucun parti n'a ces moyens, il y aura toujours des gens qui vont frauder et bien frauder de manière à ce que même en reconstituant l'opération de vote, on ne peut la déceler. Tout est fait de manière à ce que personne ne se rende compte », explique notre constitutionnaliste. Dans ce cas, la question qui reste posée est celle de savoir pourquoi dépenser des sommes colossales pour créer une Commission politique de surveillance des élections (CNPSEL), chargée « de veiller à la régularité des opérations électorales, à la neutralité de l'administration et au respect des droits des électeurs et des candidats », si celle-ci n'a pas les pouvoirs de faire barrage à la fraude à travers la saisine du Conseil constitutionnel ? Une question que Saïd Bouchaïr, le coordinateur de la commission, esquive au début, en affirmant que la mission de la CNPSEL s'achève avec la proclamation définitive des résultats du scrutin, c'est-à-dire au plus tard mercredi prochain. Il précise néanmoins : « Un rapport détaillé sur les conditions du déroulement des élections est sur le point d'être finalisé pour être remis au président de la République. Cette commission a alerté le premier magistrat du pays, lorsque de graves dépassements ont été constatés par ses différents représentants, notamment à l'intérieur du pays. Elle n'a pas les pouvoirs de changer quoi que ce soit dans l'immédiat. Mais les remarques qu'elle mentionnera dans le rapport peuvent être utilisées par le président pour prendre les mesures nécessaires lors des prochains rendez-vous électoraux », déclare le coordinateur. Ce dernier affirme que les prérogatives de la commission sont très limitées, mais malgré cela, « il faut lui reconnaître le mérite d'avoir réagi lorsqu'il fallait réagir ». La polémique Il précise avoir transmis aux différents partis politiques et candidats représentés dans la commission, une lettre faisant état de tout le processus réglementaire des recours auprès du Conseil constitutionnel pour mieux se préparer à une telle éventualité. Interrogé sur le rôle de la commission mixte (composée de trois représentants de la commission politique et trois autres de la commission administrative qui, elle, est présidée par le chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem), le coordinateur explique qu'elle était censée faciliter la circulation de l'information durant la période de la campagne électorale et le jour du scrutin pour une meilleure et rapide intervention en cas de problème. Il refuse néanmoins de s'exprimer sur le travail de cette commission, lequel selon un membre de la CNPSEL, n'a jamais eu lieu. « Cette commission ne s'est jamais réunie, exception faite pour la réunion de ses membres lors de leur installation, quelques jours avant le lancement de la campagne », révèle notre interlocuteur. Ce qui prouve qu'il y avait une volonté de la part de certaines parties au sein du gouvernement de passer, outre les résultats des urnes, à travers les graves dépassements relevés d'ailleurs par la commission dans de nombreuses régions. Une réalité amère que le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, refuse d'assumer en déclarant publiquement que les élections ont eu lieu dans de très bonnes conditions. Il est même allé jusqu'à affirmer que le coordinateur de la commission de surveillance est revenu sur ses remarques sur le scrutin et s'est excusé pour avoir cité des cas de dépassement. Des propos qui ont provoqué la colère des membres de la commission qui ont maintenu avoir enregistré une fraude générale, et fait réagir Saïd Bouchaïr, lequel a renvoyé la balle à Zerhouni, en lui demandant de s'excuser. Une polémique unique dans l'histoire des élections en Algérie, mais qui a le mérite d'avoir ouvert le débat sur la lancinante question de la révision de la loi électorale. Comme cela a été le cas lors des élections communales de 2002, lorsque les partis composant la commission politique de surveillance ont tous signé pour exiger la remise de la liste électorale aux candidats. Un amendement dans ce sens a été introduit dans la loi électorale et a été adopté en 2004. Aujourd'hui, la demande de l'ensemble des acteurs de la vie politique est autre. Il est tout simplement question de la refonte de la loi électorale, notamment dans son volet relatif au mode du scrutin. L'objectif étant bien sûr de renforcer les mécanismes qui permettent de bannir à tout jamais la fraude afin de réconcilier les Algériens avec l'urne. Les réactions plus ou moins mitigées des chefs de parti et des candidats ayant participé au dernier scrutin laissent croire que quelque part, un consensus a été trouvé pour passer l'éponge, comme en 1997, sur les dépassements au prix d'une éventuelle révision électorale et pourquoi pas un nouveau partage du pouvoir. Un prix qui ne fera pas revenir de si tôt les électeurs aux bureaux de vote.