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De la gloire à la déchéance
Dellys, l'antique Rusuccuru, ville phare de Boumerdès
Publié dans El Watan le 30 - 06 - 2007

A partir de Boumerdès, en allant vers l'est, la RN 24 fend des terres verdoyantes, une bande contenue entre la mer au nord et les collines boisées au sud qui se rétrécit remarquablement à Dellys, à 70 km de l'ex-Rocher noir, l'antique Rusuccuru, une ville phare de toute la wilaya.
De part et d'autre de la route, les terres, hormis quelques exploitations, sont restées en jachère. « Les derniers programmes de soutien aux agriculteurs ont, certes, réussi à relancer certaines activités créant quelques petites richesses et des postes d'emploi directs et indirects, mais cette politique ne s'est pas avérée, jusqu'ici, très efficace. Sans de gros ouvrages d'hydraulique permettant une irrigation continue, ou au moins de faire face aux caprices de la nature en cas de sécheresse, il n'est pas aisé d'investir des sommes importantes dans le travail de la terre. L'eau est notre seule assurance », nous explique un fellah de Benchoud, une commune rurale à vocation agricole. A gauche de la route, s'étale la côte radieuse de Boumerdès, qui est malheureusement, tout aussi « en jachère », lorsqu'elle n'est pas malmenée. Les plages de Boumerdès jusqu'à Dellys sont demeurées désertes en ces premiers jours de la saison estivale. La fraîcheur, qui caractérise ces deux premières semaines de juin, empêche bien évidemment les citoyens de se rendre à la plage. Les habitants de la région qui ont l'habitude d'« investir » dans la plage en été sont « déçus cette année ». « L'année dernière, il n'y avait pas eu beaucoup de chaleur. Nous avions même passé un mois d'août orageux. Et cette année, c'est l'inverse. La période des chaleurs qui, d'habitude, commence dès avril, a mis beaucoup de retard. Nous avons installé nos tentes et parasols ; beaucoup ont loué des cafés et des fast-foods, mais nous attendons encore », nous dit un jeune de Cap Djinet. A partir de Tagdempt, c'est déjà Dellys. La route, longue de plus de 70 km, pourtant jonchée de ralentisseurs, paraît très courte pour celui qui ne cesse d'apprécier la beauté de la région. Car le voyageur, avant d'atteindre l'historique Dellys, aura été subjugué par des sites charmeurs, paradisiaques.
Projets abandonnés
Il aura apprécié la beauté de quelques exploitations agricoles qui éclatent de verdure. Des vignobles, surtout à partir de Cap Djinet. Il aura aussi replongé dans l'histoire avec les vestiges de quelques clos datant de l'ère coloniale. Des ruines, qui en disent long sur la négligence qui frappe tout ce qui est mémoire. Avant d'arriver à Dellys, le voyageur aura aussi enjambé les deux oueds les plus grands de la Kabylie, le Sebaou et l'Isser dont les embouchures gardent des quantités d'eau qui permettent aux terres situées sur les deux rives d'être travaillées, arrosées en continu. A l'entrée du territoire de la commune, se dressent des carcasses d'hôtels dont les travaux de réalisation ont pourtant bien avancé mais qui sont depuis le début des années 1990 à l'abandon. « L'abandon de ces projets a été dicté par la dégradation de la situation sécuritaire. Il y a eu le projet d'une zone d'extension touristique à Tagdempt, mais la région perd de plus en plus cette vocation », nous dit un habitant de la région. En effet, sur place, nous constatons que le périmètre est pollué et que la bande de sable de la plage se rétrécit « de plus en plus », précise notre interlocuteur. « Vous pouvez voir que la mer va bientôt atteindre les surfaces cultivées. Le sable va entièrement disparaître à cause du pillage qui devient un véritable fléau », nous dit un animateur du mouvement associatif de la région. A cela, s'ajoutent les dépôts d'ordures dans tout le périmètre. « La pollution a atteint toutes les surfaces. Les villes, les villages, la plage, la mer, partout », s'indigne notre interlocuteur. A Dellys, la population est « consciente du problème ». « La plage des Salines a été profanée et tout le littoral de la commune n'échappe pas aux agressions répétées de la pollution dans toutes ses formes », nous dit un habitant de la ville qui précise : « Des ordures sont jetées partout à cause de l'absence d'une décharge organisée et des égouts des eaux usées se déversent dans plusieurs endroits au bord de la mer. » « Cela est nuisible non seulement à l'activité touristique, mais aussi à la pêche. » Mais beaucoup pensent que « la bataille n'est pas perdue ». « Il suffit que le problème de la collecte des ordures soit pris en charge et que celles qui se trouvent actuellement dans la nature soient ramassées pour que tout cela soit réglé. Mais il faut une grande volonté, des compétences et des projets d'incinérateurs accompagnés de campagne de sensibilisation des citoyens », dit notre interlocuteur. Abordant le chômage, au port de Dellys, un commerçant nous dit : « Toutes les activités régressent. » « Le port n'emploie plus comme avant, le commerce en subit un coup fatal, avec la fermeture de la RN24 qui empêche les habitants de Tigzirt et d'Azzefoun de transiter, comme jadis, par Dellys. La fermeture des rares unités industrielles publiques qu'il y avait à Dellys a achevé les espoirs des habitants de la région », nous raconte un commerçant de la ville. « C'est insultant d'entendre des responsables du gouvernement dire que le taux de chômage est de 12%. Dites-leurs qu'à Dellys, ce taux représente plutôt les gens qui travaillent », nous dit-on Un autre témoigne que selon un ancien postier de la ville, la poste ne manquait jamais de liquidités, mais maintenant comme l'activité économique est anéantie, il faut que les clients des établissements financiers locaux, la poste en particulier, attendent les convoyeurs de fonds pour alimenter les caisses. Les commerçants, rencontrés au siège de la section locale de l'UGCAA et dont nous avons visité certains locaux aux rues Ramdani et Azouzi, se plaignent de n'avoir pas été correctement pris en charge par les responsables locaux suite au séisme de mai 2003. « Le maire nous a promis un terrain pour bâtir des locaux où nous pourrions travailler en attendant la reconstruction des nôtres, mais l'engagement n'a pas été respecté. Il y a même un certain nombre de décisions qui ont été signées, mais tout n'est pas fait dans la transparence », disent les commerçants concernés.
Un patrimoine en danger
Le dossier des habitations et des locaux dans l'indivision est soulevé en parlant du séisme qui a dévasté cette région il y a 4 ans. « Lorsque les maisons à l'étage sont classées rouge et que le rez-de-chaussée est moins gravement affecté, il se pose un problème pour la démolition et la construction », nous dit-on. Un propriétaire d'un bloc d'habitations et de commerces au centre-ville va jusqu'à proposer aux locataires de lui libérer les lieux pour lui permettre de reconstruire afin qu'« ils reviennent une fois les travaux terminés ». « Mais ils refusent », s'étonne-t-il. Le présent contraste violemment avec le passé à Dellys. Cette ville qui aura été berbère, phénicienne (carthaginoise), romaine, arabe, andalouse, turque, française, algérienne…Tadless du temps d'Ibn Khaldoun, Rusuccuru (le cap du poisson) du temps des Carthaginois, Adyma à l'époque romaine pour enfin adopter Dellys, la ville se sera identifiée au gré de son évolution. De ce passé riche et condensé, la ville de Sidi Abdelkader El Djilali et de Lalla Matouba garde des vestiges, une mémoire vivante qu'il faut mettre en toute urgence à l'abri de l'usure, de la dégradation. Sa muraille, datant de l'ère punico-romaine, et qui perd chaque année des pans importants de sa structure, risque de disparaître à jamais ; sa Casbah, la plus ancienne de toutes celles d'Algérie dit-on, est dans un état lamentable. Le séisme de mai 2003 a failli achever un trésor très jalousement gardé depuis des siècles. Sa classification au registre du patrimoine mondial n'a pas encore donné d'effets salvateurs notables. On parle d'un important programme de restauration de cette cité, mais, concrètement, rien n'est encore fait. Encore que Dellys figure parmi les 4 villes pilotes désignées par les pouvoirs publics pour subir le plan de restauration et d'aménagement pour en faire de « vrais centres urbains ». « Nous attendons que tout ce discours se traduise en action pour sauver ce qui peut être mis à l'abri. L'état d'indivision des bâtisses, leur abandon par les familles propriétaires, parties ailleurs ou parce que n'étant plus habitables, a fait des maisons de la Casbah rien de plus que des ruines. Il faut que l'Etat règle le problème de l'héritage d'abord qui se pose dans la cité avant de prétendre entreprendre son entreprise de restauration », nous dit un habitant du quartier. Avec lui et ses amis, nous parcourons les 5 siècles d'histoire de cette cité mythique, « divisée depuis le début de la colonisation française (les années 1840) en 2 quartiers : la Haute et la Basse Casbah avec 9 ha de surface pour la première et 7 ha pour la seconde ». Les habitants de la Casbah désignent aujourd'hui encore les entrées principales de leur cité par les noms anciens : Bab El Bahr, Bab El Sour, Bab El Djenane. Le mur entourant la grande mosquée de Sidi El Boukhari porte la touche romaine et hammadite, selon des habitants qui disent puiser ces renseignements chez des historiens. La Casbah de Dellys se distingue des autres du pays de par sa fondation-même : elle est antérieure à l'époque ottomane et daterait de la seconde moitié du XIe siècle. Elle serait fondée en 1068 par Moiz Eddaoula Ben Samada, qui a fui l'Espagne des Almoravides. L'autre particularité de cette Casbah, c'est le riyad (jardin) attenant à chaque maison. Un jardin qui donne de l'espace aux habitations. La Casbah de Dellys est divisée en houmate (quartiers) : 4 grands quartiers à la Basse Casbah et autant à la Haute. Dans la première, on trouve Houmate Eddarb, Sidi El Boukhari, El Mizab et Si Al Harfi qui s'ajoutent au Marsa (le port). Dans la Haute Casbah, il y a Houmate Essalam, Hammam Erroum, Sidi Yahia et Sidi Mansour. Dans chaque quartier, il y a les tombeaux des saints à l'intérieur de ce qui était des écoles coraniques. Mais les points les plus élevés de la ville reviennent aux grands saints comme Sidi Abdelkader et Lalla Matouba à Ras Tarf et Bordj El Har respectivement. A partir du port de Dellys, nous voyons la ville s'accrocher au flanc de la colline, pour se retourner vers la mer, sa voie de communication par excellence qui l'a mise en contact avec toutes les civilisations du Bassin méditerranéen. La Casbah, le phare Bengut, la muraille, de nombreux vestiges des époques romaine et française et d'autres trésors archéologiques font de Dellys une ville avec de grandes potentialités touristiques. Mais qui est malheureusement « fuie », évitée « parce qu'abandonnée » disent ses habitants qui ne ratent aucune occasion pour verser dans la nostalgie des « années de gloire de cette cité ». La preuve en est qu'aucun établissement hôtelier n'est disponible dans toute la région Est de Boumerdès. Mais la dégradation de la situation sécuritaire vécue tout au long de ces 15 dernières années est incontestablement le facteur dominant à l'origine de cette « régression ». Dellys attend de ses enfants et de l'Etat qu'ils lui rendent toute sa fierté et de lui porter toute l'attention qu'elle mérite afin de retrouver sa place sur la scène touristique, culturelle et économique. L'hôtel Le Beau Rivage à lui seul, fermé et presque en état d'abandon, renseigne sur la déchéance du secteur du tourisme à Tadless. Et Rusuccuru voit « mourir ses ressources halieutiques d'âge faute d'exploitation », selon un pêcheur. En attendant des jours meilleurs.


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