Un beau visage rond et des frisettes coupées à ras comme un petit garçon, la photo de la petite Boudour fait la une de la presse égyptienne depuis que le quotidien privé Al Masri al Youm a publié, la semaine dernière, l'histoire de son terrible destin. Le Caire : De notre correspondante Boudour, âgée d'une douzaine d'années, venait juste de réussir son examen de passage vers le secondaire lorsque sa mère a décidé de l'emmener dans un cabinet médical privé pour le funeste rituel de l'excision, un passage obligé pour des millions de fillettes et un geste ordinaire en Egypte où entre 80% à 90% des femmes sont excisées, à ce jour. Le médecin, une femme, a fait absorber à la petite une dose d'anesthésiant beaucoup trop forte et Boudour en est morte, avant même le début de l'opération. Affolée, la docteure, a affirmé la mère en larmes, au journaliste d'Al Masri al Youm, a enveloppé le petit corps mort dans un drap blanc et couru l'emmener à l'hôpital public pour tenter de camoufler sa responsabilité. L'opération a coûté 50 livres égyptiennes (environ 600 DA) à la mère de Boudour, qui confie, accablé : « La docteure et son collègue m'ont offert 15000 livres pour ne pas porter plainte, mais je ne peux pas accepter. Je veux qu'ils soient punis pour avoir tué ma petite Boudour ; elle était mon unique trésor… ». Depuis, les réactions s'enchaînent, le cabinet médical a été mis sous scellés et la docteure sous les verrous, des dizaines d'autres cabinets médicaux ont été fermés sous prétexte de n'avoir pas les autorisations légales d'exercer dans la ville de Menia, en Haute-Egypte, dans le sud du pays. Mais les organisations, qui luttent depuis des années contre l'excision, n'ont pas cessé pour autant de multiplier les récriminations appelant le gouvernement à prendre des mesures claires contre ceux qui pratiquent l'excision qu'ils soient médecins ou parents. Vint ensuite la réaction officielle de Suzanne Moubarak, l'épouse du président, qui, dans une apparition publique, a appelé à une campagne nationale d'éradication de l'excision et a affirmé que la « mort de Boudour doit marquer le début de la fin de l'excision en Egypte ». Puis, plus étonnante, celle du grand mufti de la République, Ali Gomaâ, qui, répondant aux questions d'une journaliste de la télévision, s'est fait on ne peut plus clair : « Nous l'avons dit une fois, deux fois, dix fois et nous le redirons encore et encore : l'excision des femmes est haram, haram, haram ». Etonnante, la réaction du grand mufti de la République l'est en comparaison des tergiversations qui ont souvent caractérisé, dans un passé pas si lointain, la position des religieux égyptiens et notamment d'Al Azhar quant à l'excision. Car, si l'excision des femmes ne fait pas partie des obligations religieuses des musulmans dans les pays où la pratique est inconnue, en Egypte, où l'excision — comme d'ailleurs la circoncision des garçons — se pratique depuis les temps anciens des pharaons, rares ont été les religieux qui ont pris le risque d'aller publiquement à l'encontre d'une tradition aussi profondément ancrée. D'ailleurs, lors de campagnes précédentes menées pendant les années 1990 et au début des années 2000 contre l'excision en Egypte, de nombreux oulémas se sont opposés de manière virulente aux organisations non gouvernementales et féministes qui appelaient à la criminalisation de l'excision, certains muftis d'Al Azhar allant jusqu'à justifier et recommander l'excision en se reposant sur un « hadith du Prophète » (QSSSL). L'opposition ferme des religieux musulmans, contre tous ceux qui luttent contre l'excision, ne pouvait, en réalité s'expliquer que par leur crainte d'aller contre une pratique profondément populaire, car, l'élément religieux, s'il est souvent utilisé comme prétexte, ne peut expliquer un phénomène que tous les Egyptiens pratiquent qu'ils soient musulmans ou chrétiens. Dernière réaction et peut-être la plus importante, celle du gouvernement, par la voix du ministère de la Santé, qui interdit officiellement aux médecins de pratiquer l'excision des fillettes, quelles que soient les circonstances. Une telle mesure semble tomber sous le sens, mais elle n'a jamais été aisée à prendre et, surtout, à appliquer dans un pays où l'excision est devenue un sujet politique hautement controversé. Lutter contre une coutume vieille de 5000 ans, souvent pratiquée par les femmes elles-mêmes, comme un rite de passage de petite fille vers le statut de femme, n'est déjà pas chose aisée. Mais, de plus, les campagnes médiatiques, souvent caricaturales menées par des ONG internationales durant les dernières années, n'ont, semble-t-il, fait que compliquer les choses un peu plus en attisant la suspicion des Egyptiens quant aux véritables motivations derrière ces campagnes. Et cette suspicion a immédiatement été alimentée par certaines figures des mouvements islamistes qui font de la bataille contre l'excision une bataille du monde occidental contre l'identité nationale égyptienne.