Les débats sur la "bonne gouvernance" se suivent et se ressemblent. La formule est devenue très en vogue pour de nombreux responsables algériens. Mais dans les faits, notre pays reste à la traîne. Vu les différents rapports et critères en préparation à cet effet , il semble que l'on cherche encore le mode d'emploi... Jamais la formule « bonne gouvernance » n'a été autant utilisée par les responsables algériens. Il est peut-être des termes qui s'introduisent insidieusement dans le lexique politique sans que nul n'y prête attention et sans qu'on les ait définis préalablement. Notre pays prévoit de rédiger son propre rapport sur la gouvernance. En faisant son autoévaluation, l'Algérie espère ainsi édicter ses propres règles du jeu. Le rapport est présenté par le ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel, comme « un événement majeur, très attendu par les partenaires étrangers ». Il a été présenté récemment au forum du Mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP) à l'occasion de la session ordinaire du 9e sommet de l'Union africaine (UA) des chefs d'Etat et de gouvernement, prévue du 1er au 3 juillet dans la capitale ghanéenne, Accra. Le Conseil national économique et social (Cnes) prévoit, lui aussi, d'établir des règles de mesure de la gouvernance qui font la synthèse des indicateurs usités par plusieurs institutions internationales et régionales. Le sujet est décidément très à la mode… Pour le commun des Algériens, « la bonne gouvernance » reste néanmoins un concept flou. Ce qu'il connaît, comme nous le dit un syndicaliste, c'est surtout « la mauvaise gouvernance ». Les spécialistes, politiciens et économistes qui en ont débattu lors de l'université d'été de la Confédération des cadres de la finance et de la comptabilité (CCFC) ont longuement égrené les incohérences de la gestion du pays. L'ancien chef du gouvernement, Ahmed Benbitour, met cela sur le compte du « totalitarisme ». « Nous n'avons pas d'institutions capables de mobiliser la nation vers le progrès et la prospérité », a assuré l'expert économique. Selon lui, cette situation a eu pour conséquence « l'appel à des compétences individuelles qui ne sont pas encore écoutées par les gouvernants ». « L'impartialité de l'administration », « l'indépendance de la justice » et la recherche d'un « consensus ». « La bonne gouvernance exige une médiation des différents intérêts de la société, pour obtenir le plus large consensus », a souligné le docteur Yahia Zoubir, professeur à l'université Euromed de Marseille (France). Les exemples de mauvaise gouvernance en Algérie sont légion. Un ancien directeur général du budget au ministère des Finances, Abdelhamid Gas, s'est étonné, l'air faussement naïf, du fait qu'il y ait -encore - des problèmes de gestion en Algérie. « Nous avons des mandatés, des mandants, on ne devrait point parler de mauvaise gouvernance. Enfin, on n'en aurait peut-être pas parlé si l'on rendait des comptes », argue-t-il. La « mauvaise gouvernance », poursuit-il, c'est lorsque les lois sur le stationnement des véhicules existent mais que leur mise en application sont l'apanage de la loi de la rue. Cet ancien DG du budget au ministère des Finances regrette le fait que l'Etat joue le rôle de banquier. « L'on ne doit pas garder le monopole des finances publiques. Tous les contrôles sont assurés par des agents de l'Etat. Pourquoi n'y a-t-il pas d'agents des collectivités ? », s'interroge-t-il. Parmi les fausses notes de la gestion algérienne, il y a aussi les inégalités des ressources d'exploitation des communes : sur 1401 communes, estime M. Gas, 1381 communes ont des insuffisances. La transparence en défaut Au menu des cinq règles d'or de la bonne gouvernance fixées par l'Union européenne figure l'obligation de rendre des comptes, la transparence, l'efficacité, la réceptivité et la prospectivité. Dans un pays où - cela a été longuement discuté durant le forum de la CCFC - la loi sur le règlement budgétaire qui permet de rendre des comptes n'a pas été votée depuis 1984, où il est difficile d'obtenir des statistiques (même pour un directeur du budget, précise M. Gas), où les administrations sont inutilement lourdes, est-il possible de parler de bonne gouvernance ? Le fait est que même si l'Algérie a enregistré (selon la Banque mondiale) des progrès en matière de gouvernance durant les dernières années, elle reste à la traîne dans plusieurs domaines. Dans la case de l'efficacité du gouvernement, notre pays est devancé par la Tunisie, le Maroc, l'Egypte et le Liban. C'est le cas aussi pour le contrôle de la corruption. Sur ce dernier point, Michel Fourriques, professeur de droit à l'université de Marseille et de fiscalité et ancien directeur des impôts, a estimé que, dans plusieurs pays, la corruption est devenue « systémique ». Tôt ou tard, estime-t-il cependant, l'arroseur sera arrosé ou peut-être sera-t-il, comme le susurre un syndicaliste dans salle, pris au piège de son propre tuyau. Qu'est-ce que la gouvernance ? Le choix du terme " gouvernance " n'est pas le fruit du hasard, tant il apparaît qu'il a une histoire chargée. Utilisé en ancien français au XIIIe siècle comme équivalent de " gouvernement " (l'art et la manière de gouverner), il passe en anglais (governance) au siècle suivant avec la même signification. Puis il tombe en désuétude. Son grand retour s'effectue à la fin des années 1980 dans le discours de la Banque mondiale, repris par les autres agences de coopération, le Fonds monétaire international (FMI) et par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Pour la Banque mondiale, la gouvernance recouvre les normes, traditions et institutions à travers lesquelles un pays exerce son autorité sur le bien commun. La bonne gouvernance recouvre aussi bien la capacité du gouvernement à gérer efficacement ses ressources, à mettre en œuvre des politiques pertinentes, que le respect des citoyens et de l'Etat pour les institutions, ainsi que l'existence d'un contrôle démocratique sur les agents chargés de l'autorité (Banque mondiale, 1999). Selon l'Unesco, la gouvernance, " l'administration publique a pour mission non plus de servir l'ensemble de la société, mais de fournir des biens et des services à des intérêts sectoriels et à des clients-consommateurs, au risque d'aggraver les inégalités entre les citoyens et entre les régions du pays ".