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Le désastre de l'agriculture algérienne
Les différentes politiques menées depuis l'indépendance n'ont pas permis d'assurer une sécurité alimentaire
Publié dans El Watan le 25 - 05 - 2008

En 2000, le lancement du Plan national de développement agricole (PNDA) réussit à susciter l'engouement chez les différents acteurs du secteur agricole. Bien que le PNDAR ait réussi à améliorer les rendements de nombreuses filières, les « crises » successives de la pomme de terre, du lait et des céréales ont démontré que la maîtrise de la production fait encore défaut.
La crise alimentaire qui secoue le monde a mis à nu les faiblesses de l'agriculture algérienne. On est bien loin du passé d'une Algérie, grenier de l'Europe, que des nostalgiques se plaisent souvent à évoquer. Le montant de la facture alimentaire est là pour rappeler la réalité. Notre pays est toujours dangereusement dépendant des marchés internationaux. L'Algérie se classe parmi les dix premiers pays les plus grands importateurs de céréales. Il en est de même pour d'autres produits agricoles tels que le lait en poudre, les huiles, le sucre et le café. Cette situation aurait été moins intenable si l'Algérie arrivait à exporter ce que ses terres produiraient afin d'équilibrer sa balance commerciale agricole. Mais seulement une quantité marginale de dattes, de vin et de quelques produits maraîchers a pu se frayer une petite place dans les marchés étrangers. Si l'on croit Mohamed Elyes Mesli, ancien ministre de l'Agriculture dans le gouvernement de Sid Ahmed Ghozali, cette situation n'est pas nouvelle. « Une rétrospective rapide montre que l'agriculture n'était pas si florissante avant 1962. Au milieu des années 1950, la balance commerciale agricole connaissait un fléchissement net. Le pays allait vers un déficit », souligne-t-il, battant en brèche l'idée selon laquelle l'agriculture connaissait un certain essor durant la période coloniale. Les difficultés ont commencé bien avant l'indépendance de l'Algérie. « Le pouvoir colonial, interpellé, a pour cela initié une opération de réforme agraire. Les experts prédisaient en effet que la production locale n'allait plus couvrir les besoins nationaux et qu'on allait vers des importations importantes de céréales et de légumes secs. Voilà une réalité qu'il ne faut pas perdre de vue », insiste-t-il. Les initiateurs de ces réformes n'ont pas réussi pour autant à trouver la panacée pour développer durablement l'agriculture. Depuis 1962, les politiques agricoles autant que les gouvernements se suivent mais ne se ressemblent pas : nationalisation des terres, domaines autogérés, puis vint la révolution agraire qui, loin de révolutionner l'agriculture, n'a fait que l'enliser davantage dans le marasme. En 2000, le lancement du plan national de développement agricole (PNDA), devenu plus tard PNDAR après qu'on eut décidé de lui ajouter la dimension rurale, réussit à susciter l'engouement chez les différents acteurs du secteur agricole. Le gouvernement reconnaissait à l'époque l'échec des politiques précédentes en soutenant que la nouvelle politique apportera une véritable rupture par rapport aux actions menées jusque-là. Cette initiative lancée en grande pompe devait introduire la notion de rationalité dans un domaine où l'aléatoire régnait en maître mot, l'agriculture étant un secteur qui dépend grandement des aléas climatiques.
Et le PNDA fut…
Le défi était de mettre fin à la gabegie dans la gestion, mais surtout des richesses naturelles que sont la terre et l'eau, les deux piliers de l'activité agricole. L'enjeu de cette politique était de mettre fin à des décennies « d'agriculture minière », explique Omar Aït Ameur, directeur des études au ministère de l'Agriculture. « Notre programme vise à protéger les ressources qui nous permettent d'assurer la sécurité alimentaire. Il faut prendre en charge les préoccupations des générations futures en protégeant les ressources naturelles de manière à ce qu'elles ne soient pas dégradées pour arriver à un développement durable », fait-il valoir. Avant de mettre en œuvre le PNDAR, un diagnostic de l'agriculture algérienne, depuis 1962 à 1999, a été fait, souligne-t-il, pour identifier les « contraintes » qui empêchent le développement de l'agriculture. Le désinvestissement dans ce secteur était essentiellement dû à un problème de financement, note M. Aït Ameur. Les agriculteurs étaient obligés d'avoir recours à des « nantis » qui les ont asservis, relève-t-il. L'Etat décide alors de mettre en place le crédit lié, une sorte de montage financier dans lequel sont mises à contribution les banques en sus de subventions accordées par l'Etat, rappelle M. Aït Ameur. Grâce à ce dispositif, « le PNDA a réellement réussi à couvrir l'ensemble des produits maraîchers », soutient ce responsable du ministère de l'Agriculture. Selon lui, on est passé d'une moyenne de 33 millions de quintaux de produits maraîchers à plus de 40 millions de quintaux par an. « Rien que pour la pomme de terre, on est passé de 10 millions de quintaux à 20 millions de quintaux. On n'a pas eu d'importations pendant 5 ans, à l'exception de l'année dernière », assure-t-il. La production céréalière qui était en moyenne entre 17 à 20 millions quintaux/an atteint les 35 millions de quintaux/an, ajoute-t-il. Au boulevard Amirouche (Alger), où est situé le ministère de l'Agriculture, on réfute la thèse selon laquelle ce secteur a bénéficié de gros moyens financiers. L'agriculture, assure-t-on, n'est pas la montagne qui accouche d'une souris. « On a rabâché que l'agriculture était budgétivore. C'est totalement faux. De 2000 à 2006, il y a moins de 400 milliards de dinars consommés par l'agriculture, y compris pour le fonctionnement. Pour l'investissement, c'est encore plus dérisoire. Nous avons tout de même pu obtenir une production d'une valeur de 9 milliards de dollars. Si on n'avait pas investi autant, la facture alimentaire aurait été beaucoup plus importante. Ça aurait été 15 milliards de dollars avec une qualité moindre. L'agriculture produit 10% du PIB alors qu'elle bénéficie de 3% du budget national », soutient Hocine Abdelghafour, directeur des études au ministère de l'Agriculture. Depuis 2000, année du lancement du PNDAR, le département de Saïd Barkat communiquait des bilans des plus satisfaisants avant que n'éclate le problème de la pomme de terre qui allait ouvrir le bal à une série de « crises ».
... Le tubercule qui fit scandale
Sur les marchés de détail, les ménagères s'arrêtent devant les étals de fruits et légumes puis repartent le couffin toujours vide. Le prix de la pomme de terre a atteint des sommets au point de devenir une affaire nationale. Les différents intervenants dans le circuit de commercialisation se rejettent la balle. On a accusé les spéculateurs, mais pour de nombreux spécialistes, l'insuffisance de la production agricole est à l'origine des tensions sur de nombreux produits. Certes, le PNDAR a réussi à améliorer les rendements de nombreuses filières, mais les « crises » successives de la pomme de terre, du lait et des céréales ont démontré que la maîtrise de la production fait encore défaut. Il en est ainsi de la pomme de terre où on est passé d'une production excédentaire à une pénurie qui a contraint les pouvoirs publics à autoriser son importation. Pour M. Mesli, les agriculteurs ne sont pas à blâmer. Ils sont autant victimes que les consommateurs. « Qui se préoccupe aujourd'hui réellement des prix des produits agricoles ? », s'interroge-t-il. D'après lui, les prix payés aux producteurs céréaliers algériens n'ont pas changé depuis 1995. M. Aït Ameur impute, lui, la hausse des prix des produits agricoles à la spéculation d'une part, et à l'augmentation des coûts de revient, d'autre part. « Les coûts de production ont également évolué. Il y a eu surenchérissement des intrants. Les engrais ont triplé. Les coûts des produits phytosanitaires et de traction aussi. Le prix de revient au niveau de l'exploitation de la pomme de terre est de 30 à 35 DA. Si l'agriculteur la vend moins cher que cela, il sera perdant », fera-t-il remarquer. La question des prix s'avère cependant n'être que l'arbre qui cache la forêt. Le monde agricole est toujours confronté à d'inextricables problèmes. La formule du crédit lié (subventions de l'Etat et les prêts bancaires) ne fait pas long feu. Les banques, y compris la Banque de l'agriculture et du développement rural (BADR), ne jouent pas le jeu. « Le financement qui implique la participation des institutions financières reste une contrainte majeure. Les banques doivent adapter leurs approches aux métiers de l'agriculture qui est une activité aléatoire. Nous sommes arrivés à améliorer un peu les choses en liant le crédit au soutien de l'Etat, mais cela reste insuffisant », reconnaît M. Aït Ameur. Le gouvernement a pensé à introduire une réforme de sorte à permettre à des détenteurs de capitaux d'être associés dans les exploitations agricoles afin de remédier au désinvestissement et améliorer la productivité, mais cette mesure suscite le scepticisme des professionnels du secteur. « C'est une décision qui peut s'avérer illusoire. Aujourd'hui, la valeur de la terre n'étant pas connue, faute de marché transparent, comment distinguer l'apport de chacun ? On ne peut être véritablement associé que si on connaît la part du détenteur du capital et du concessionnaire. Le fellah étant remplacé par des détenteurs de capitaux qui ne peuvent avoir que des objectifs mercantilistes », commente M. Mesli. Le développement agricole passe par un changement en profondeur dans les mentalités, affirme M. Mesli. « Il faut que la société ait une bonne perception du monde rural et que nous comprenions que l'agriculture n'est pas faite uniquement pour les laissés-pour-compte et les illettrés. Car la pauvreté est le propre du milieu rural », indique-t-il. « Il y a lieu urgemment de commencer à rajeunir les agriculteurs et à leur assurer une formation adéquate. La solution du manque de productivité passe aussi par là », conclut-il.


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