Après une semaine de compétition, le rideau est tombé sur la 40e édition du Festival d'art dramatique de Mostaganem par la consécration de la troupe oranaise Ibdae El Djazaïr qui obtient le premier prix. Elle avait présenté une pièce sans fioriture, écrite par Abdelkader Alloula en 1992. Elle sera montrée à la télévision dans une distribution de la Coopérative de théâtre du 1er Mai, créée par le grand dramaturge oranais. Celui-ci avait pris le soin de lui donner une image légèrement édulcorée par rapport au texte original. Le contexte de l'époque aurait incité le réalisateur à apporter quelques aménagements, ce qui rendait la pièce éligible à une exploitation grand public. La reprise, dont vient d'être gratifié le public de la maison de la culture, aura admirablement mûri, sous les mains expertes du neveu de Alloula, qui vient de signer une entrée fracassante sur les planches de la salle bleue. Sur les sept tableaux, qui composent la pièce originale, le jeune et fort talentueux metteur en scène n'en présentera que deux. Mais quelle prouesse et quel spectacle ! Le public ainsi que la grande majorité des hommes de théâtre présents à cette représentation seront tout simplement subjugués par cette nouvelle version. Les critiques seront unanimes pour reconnaître à la troupe oranaise une grande maîtrise de l'art scénique. Jouée avec un décor des plus dénudés, Ech Chaaâb Faq Bel Ouadjab, que l'on peut traduire par « Le peuple met fin à la mystification », aura largement bénéficié du professionnalisme avéré des quatre comédiens. Le réalisateur, qui avait osé faire interpréter un rôle par plusieurs acteurs, aura pris un risque calculé mais périlleux. Grâce à une parfaite entente entre les protagonistes, le projet fera chavirer une salle qui en aura vu d'autres. Le premier tableau, très austère, montrera l'envahissement d'une bourgade par des cohortes d'agents des services, venus sous différentes fonctions et artifices, prendre en charge la filature d'un citoyen peu ordinaire. Entraînant dans leur sillage la prospérité du douar. Jusqu'au jour où l'opposant politique, objet de tant de sollicitudes, décidera de quitter le village. Au grand désarroi de la population qui interviendra pour le convaincre de rester, car son départ entraînerait celui de ses poursuivants, et le retour de la misère et de l'indigence. L'interprétation atteindra le firmament de la satire et de la dérision. La tentation de l'équilibre régional Le second tableau conte l'aventure de cet ancien pickpocket rangé qui se fait récupérer par les services qui le forcent à collaborer avec eux « pour la bonne cause ». Celle du devoir national ou patriotique qui mettra à nu le fonctionnement d'un système policier. Sans forcer sur leur talent, les quatre comédiens qui se relaieront pour interpréter, de manière magistrale, différents rôles, parviendront à captiver toute l'attention des présents. Grâce à un jeu dense, des répliques tranchantes, des situations troublantes de sincérité et de réalisme. Lorsqu'il est interprété avec autant d'enthousiasme et de professionnalisme, le théâtre de Alloula demeure la meilleure thérapie possible. Qui guérit de la sinistrose, de la bêtise, de la médiocrité, de la platitude de certaines pièces, du défaitisme et du renoncement. Un peu de tout ce qui fait le théâtre, qui, lorsqu'il se surpasse, ne peut que plaire et séduire. Le jury, composé de spécialistes algériens, d'un Tunisien et d'un Egyptien ne s'y trompera pas en consacrant cette pièce d'une cruelle actualité. Qui obtiendra également le premier rôle masculin, décerné à Abdallah Houari, qui le partagera avec Hamid Touati de la troupe El Mesrah El Boudouaoui de Boumerdès. Le premier rôle féminin sera attribué, à égalité, entre Ouahi Saïda d'Adrar et Kralfa Fatiha d'El Amra. Pour les second et troisième prix, le jury fera des choix apparemment équitables. En effet, le second prix sera décerné à la troupe En Nawaris de Bougara pour son spectacle intitulé le Cri d'Ophélie merveilleusement adapté de Hamlet, l'œuvre gigantesque de William Shakespeare. Une œuvre qui aura également été honorée au festival international du théâtre universitaire d'Agadir. Enfin, le 3e prix sera partagé entre deux pièces d'inégale valeur, Ech chitane fi Halqa par la troupe Sirat Boumediène d'El Amra, dans la wilaya de Aïn Defla et la pièce El bildozer, interprétée par l'association El Mesrah El Boudouaoui. Toutefois, ce palmarès, qui paraît à première vue équilibré, aura superbement ignoré les performances des jeunes filles de Bougara, Nadia Tayeb, dans le rôle de la reine Gertrude et Louiza Zerguini dans le rôle d'Ophélie. Par ailleurs, le danseur de la pièce El Aâzfe Ala Et-Tourabe , de la troupe Forsane Er Rokhe d'Adrar, aurait amplement mérité une distinction. Ces 3 comédiens semblent avoir été sacrifiés sur l'autel de l'équilibre régional qui semble avoir encore de beaux jours devant lui.