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« Mon affaire cache un trafic de drogue »
Procès en appel de Bachir Frik
Publié dans El Watan le 16 - 07 - 2007

L'ancien wali d'Oran, Bachir Frik, poursuivi par le tribunal criminel près la cour d'Alger, s'est défendu hier en accusant Mustapha Kouadri, ex-wali d'Oran, d'avoir fomenté ce procès pour détourner l'attention de l'opinion publique sur « une sale affaire de trafic de drogue ».
Comparaissant avec trois coaccusés pour dilapidation de deniers publics et complicité (de dilapidation), Frik, très serein et sûr de lui, après une détention de 66 mois à la prison de Serkadji, affirme d'emblée qu'il est le seul wali à avoir été poursuivi par un autre wali (Kouadri) 4 ans après avoir quitté son poste dans cette wilaya. « La loi ne permet pas aux walis de déposer plainte contre d'autres walis. C'est au ministre de l'Intérieur et à celui des Finances de le faire. Comment se fait-il que cette plainte a été acceptée et pourquoi celui qui m'a succédé à ce poste durant deux ans, avant que Kouadri ne le remplace, n'a pas engagé la poursuite ? », s'est interrogé l'accusé. Le juge l'interroge alors sur le terrain de 2050 m2 situé à Ibn Rochd dont une partie a été cédée à un médecin, le docteur Bouarfa (acquitté en première instance), pour la réalisation d'une clinique et d'un parking, alors qu'il avait été affecté pour le ministère de la Poste et de Technologies de l'information et de la communication pour accueillir une école dépendant de ce secteur. L'accusé explique que ce terrain a été affecté dans le cadre du Calpi. « Le comité constitué de représentants de tous les services de l'Etat impliqués dans la politique de promotion de l'investissement s'est réuni et a décidé de transférer le terrain en question à l'agence foncière d'Oran pour être réaffecté au docteur Bouarfa. Le projet d'affectation était déjà signé un an avant que je n'arrive à Oran. Je n'ai fait que poursuivre la procédure. Il a fallu un an pour que celle-ci soit effective. »
« société fictive »
Il précise que le service chargé de la nature juridique de cette assiette foncière est l'administration des domaines dont le responsable fait partie du comité du Calpi. Insinuant par là que ce service ne l'a pas informé de la décision d'affectation établie au profit du ministère de la Poste. « Je n'ai été informé de cette situation qu'une fois la plainte du ministère déposée pour faire annuler la décision. J'ai demandé un règlement à l'amiable, mais le ministère a refusé. Alors, j'ai décidé de laisser la justice trancher, d'autant que je savais que le ministère est fautif dans la mesure où il n'a pas réalisé le projet pour lequel le terrain a été affecté 15 ans plus tôt. » Le juge : « Il fallait annuler la première décision pour pouvoir signer la deuxième. » Bachir Frik, comme désarçonné, déclare qu'il n'était pas signataire de la première décision et qu'il n'était même pas au courant de son existence. « Pourquoi ne l'avez-vous pas annulée lorsque la plainte du ministère de la Poste a été déposée ? », interroge le magistrat. L'accusé maintient ses propos, à savoir que du fait du refus d'un règlement à l'amiable, seule la justice pouvait trancher. Le président lui fait remarquer que la décision de la chambre administrative annulant la seconde affectation n'a pas été exécutée puisque le docteur Bouarfa en a pris possession. Il lui demande de s'expliquer sur une autre partie de ce terrain de 1200 m2 cédée à l'ancien ministre de la Poste, M. Serradj, lequel, après l'avoir loti, l'a vendu à une « société fictive » dont est actionnaire le père de Laoufi, le directeur de l'agence foncière, pour être revendu une troisième fois à 3 millions de dinars. Frik déclare n'avoir pas été mis au courant, mais le juge lui précise qu'il devait l'être du fait que la cession se fait au niveau des domaines dont le responsable est sous sa hiérarchie. Le président demande à Frik s'il peut révéler qui en la matière peut être responsable. « Normalement, c'est le directeur de la réglementation qui est signataire des projets d'affectation. Lorsque j'arrive à la réunion du comité de Calpi, je trouve les dossiers des terrains prêts. Je ne peux pas savoir s'il y a un contentieux sur le terrain si le service des domaines ne m'informe pas. » Le magistrat veut savoir comment l'ex-wali pouvait réserver des terrains pour des projets sans le plan d'occupation du sol (POS) et le plan de développement et d'aménagement urbain (PDAU). « Nous ne pouvons faire un POS sans le PDAU qui était totalement dépassé. Il avait 20 ans. Il fallait le refaire. La loi prévoit des mécanismes en attendant l'élaboration de ce plan à travers un plein pouvoir aux walis. » Il affirme que près de 120 000 lots ont été affectés dans le cadre de l'investissement, parmi lesquels seulement 20 000 le concernent. « Pourquoi alors c'est uniquement pour cette parcelle de Ibn Rochd que vous êtes poursuivi ? », interroge maître Aït Larbi, son avocat. « Parce qu'elle appartient au ministère. » L'avocat insiste et veut pousser l'accusé à faire des déclarations au sujet des vraies raisons de ce procès. « Kouadri n'a pas les pouvoirs légaux de déposer plainte contre moi. L'affaire est beaucoup plus grave qu'une histoire de mésentente. A l'époque, en 2002, il y a eu une grave et sale affaire de trafic de drogue à Oran dans laquelle certains responsables étaient impliqués. Kada Hezil (l'ex-DAS) a écrit une lettre au président sur le sujet. Kouadri, pour détourner l'attention de l'opinion publique, a créé une affaire de foncier à Oran avec l'aide de l'ancien chef de la sûreté de wilaya et le chef de la 2e Région militaire. » La magistrat interrompt l'accusé pour le recentrer sur le débat autour des faits. Frik rappelle au tribunal une affaire similaire au terrain de Ibn Rochd, en précisant qu'elle n'est pourtant pas portée dans le dossier. « J'avais 2 ha à préserver en les affectant à la justice, c'est-à-dire au parquet général d'Oran. Ils sont situés non loin du tribunal militaire. Seulement, après ils ont été réaffectés à des privés et une partie a servi à la construction de l'hôtel Sheraton. » Le juge l'interroge sur une autre parcelle de 780 m2 cédée à l'épouse de l'ex-wali pour se retrouver quelque temps plus tard vendue. L'accusé réagit brutalement. « Elle n'a pas été vendue. Elle appartient toujours à mon épouse qui l'a eue dans le cadre de la loi. Elle a été achetée pour construire des logements à mes enfants. » Le magistrat fait savoir à Frik que cette cession entrait dans le cadre des coopératives immobilières pour la réalisation de 8 logements. « C'est pour réaliser des logements à mes enfants », dit-il en précisant que Serradj a bénéficié d'une même parcelle pour construire 7 logements. Maîtres Bourayou et Aït Larbi reviennent au contexte de l'époque et le magistrat insiste pour rester au tour des faits. Il demande à Frik de s'expliquer sur le logement affecté à Zerdoumi Yamina, native de Batna et vivant à Alger, qu'elle a revendu quelques jours plus tard. « C'est une fille de chahid mariée à un fils de chahid. Elle avait des problèmes de logement. Je lui ai affecté un bien de l'OPGI. C'est son droit », répond-il.
« C'est mon pouvoir discrétionnaire qui est jugé ! »
Le magistrat lui précise que cette femme « n'en avait pas besoin » puisqu'elle l'a vendu après. « Je ne peux pas le savoir », indique-t-il. Il note que le même cas s'est posé avec Makhloufi, directeur de l'OPGI, auquel il a affecté un logement bien vacant en tant que cadre de la wilaya. Il explique que la loi l'autorise en matière de logement social de disposer de 10% du programme de réalisation pour des « cas particuliers ». Il revient sur le logement affecté puis cédé à Makhloufi. Il s'agit d'une cession de logement de fonction, comme cela a été fait pour une quinzaine de cadres. Le magistrat fait savoir que les logements de fonction ne sont pas concernés par la cession. L'accusé se ressaisit et révèle que ces biens étaient vides, « à ce titre, j'ai décidé de les affecter aux cadres de l'exécutif sans pour autant qu'ils aient la nature de logements de fonction. » Le juge l'interroge sur les logements affectés à une femme venue de Sidi Bel Abbès et qui se sont retrouvé vendus quelque temps après. « J'ai ici des logements attribués à cette femme et qui sont devenus propriétés des deux sœurs Zerrogui et de leur mère. Il ne manque que leur chat... », lance le juge. L'accusé insiste pour affirmer que sa mission s'arrête une fois l'arrêté d'affectation signé. Le contrat de location et le suivi incombent à l'OPGI. « Je ne suis pas censé savoir ce que les bénéficiaires peuvent faire de leurs logements. » Le juge précise que la première bénéficiaire de Sidi Bel Abbès n'a pas présenté de dossier et l'accusé maintient que la procédure d'affectation et de désistement est légale. Il révèle que sur les 7000 logements sociaux qu'il a distribués, seulement 500 ont été cédés dans le cadre des 10% que lui confère la loi, et c'est pour seulement 3 que l'ex-wali d'Oran l'a poursuivi. Le président lui demande de parler du local commercial affecté à Mokhari Mohamed qui, selon lui, « n'est qu'un prête-nom » puisqu'il a été vendu à Zaâtout Mustapha à 1 million de dinars puis revendu à 8,8 millions de dinars. Frik note que ces locaux obéissent à une réglementation et la procédure de cession est « légale ». « Et le local affecté à Ghrab Ahmed ? », interroge le magistrat. L'accusé déclare qu'il s'agit de la même procédure, mais le juge fait remarquer que c'est Habrine Mohamed qui a servi d'intermédiaire auprès du wali pour avoir le local et pour le revendre après à son épouse. « Je n'ai jamais vu ce Habrine. Ma femme a acheté ce local deux ans plus tard sur une annonce et mois je n'étais même pas à Oran à cette époque, mais à Annaba. » Le magistrat insiste pour savoir comment l'épouse de l'ex-wali a pu bénéficier de 3 locaux commerciaux entre 2001 et 2003. Frik précise qu'il ne s'agit pas de cession, mais d'affectation pour une location. « Elle a gardé ces biens et elle ne s'est désisté de leur occupation qu'une fois sa situation régularisée », affirme Frik. « Et le logement affecté à votre gendre Malti Ahmed ? » L'accusé : « C'est un Algérien, ingénieur en informatique, il a le droit d'avoir un logement. Où est le problème ? » Il sort de ses gonds et lance : « C'est mon pouvoir discrétionnaire qui est jugé et non pas les violations éventuelles de la loi. » Le juge lui fait savoir que la disposition de la loi l'habilitant à disposer de 15% des locaux a été abrogée à son époque, et à ce titre, il ne pouvait prendre de telles décisions. Le représentant du ministère public lui demande pourquoi n'avoir pas procédé à la vente aux enchères au lieu de les céder à des particuliers. « Aucun des walis ne procède de cette manière. Je ne faisais que ce qui était de pratique générale. Je n'ai commis aucune erreur ou violation de la loi. » Le magistrat appelle les témoins, mais aucun n'est présent. La parole est donnée au représentant du ministère public qui commence par demander au tribunal d'inscrire une question subsidiaire lors de ce délibéré liée à la qualification correctionnelle des faits en vertu de la loi 01/06 de lutte contre la corruption. Il explique qu'étant donné le rejet de 15 pourvois en cassation introduits en retard par la Cour suprême « beaucoup se demandent si je vais faire des demandes qui en matière correctionnelle sont rejetées. Mais nous sommes en pénal, la loi ne le permet pas eu égard au fait que les faits sont imprescriptibles ». A ce titre, le parquet général a requis 10 ans de réclusion criminelle contre Frik Bachir et Laoufi assortie d'une amende de 2 millions de dinars chacun, et 8 ans de réclusion criminelle contre Makhloufi et Belas assortie d'une amende de 500 000 DA. Il a demandé la saisie des biens des accusés.


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