Coup d'éclat dans le procès de l'ancien wali d'Oran, Bachir Frik, qui se déroule depuis mercredi dernier au tribunal criminel d'Alger. Hier, lorsque le tour de ce responsable est venu d'expliquer les faits qui lui sont reprochés, l'ancien responsable a tenu à faire part des « vrais motifs » de sa comparution devant le tribunal criminel, après bien sûr avoir fait état du bilan de son mandat à la tête de la wilaya d'Oran, mais aussi de son passage à Jijel et à Annaba « où une mission politique » lui a été « confiée » par le président de la République. « Tout mon problème a commencé avec la lettre de l'ancien directeur de l'action sociale (DAS) d'Oran, Kada Hziel, adressée au président de la République en 2001, et qui faisait état de l'implication dans un vaste réseau de trafic d'héroïne de l'ancien chef de la 2e Région militaire, le général-major Kamel Abderrahmane, de l'ancien chef de la sûreté de wilaya, le commissaire Mokrane, de l'ancien wali, Kouadri, de hauts responsables de la douane, des directeurs des journaux Le Quotidien d'Oran, La Voix de l'Oranie et Ouest Tribune (...). Lorsque cette lettre a été publiée dans un journal, il y a eu deux tornades, l'une sécuritaire et l'autre médiatique, contre ma personne parce que je m'entendais bien avec le DAS (...). Des forces occultes ont nui à ma réputation... » La présidente du tribunal tente d'en savoir plus. « Qui sont ces forces occultes et pourquoi ? » L'accusé déclare qu'il ne les connaît pas. Il explique qu'Oran « est tiraillée par des luttes de clans d'intérêt » et les personnalités incriminées par Hziel « étaient des spécialistes de la subversion. Dans cette affaire, nous sommes, moi et la justice, victimes de manipulations ». Des propos qui font sortir le ministère public de ses gonds. « Nous sommes là pour des faits bien précis, cinq logements, cinq locaux commerciaux et un terrain et non pas Kada Hziel. Je refuse les commentaires qu'il fait sur la justice. » Intervention qui pousse l'avocat de Frik à réagir : « Tout le monde sait ici que ce n'est pas pour cinq appartements, cinq locaux commerciaux et un terrain qu'un wali est mis en prison... » La présidente du tribunal demande au représentant du ministère public de s'abstenir de faire des commentaires. Bachir Frik continue et affirme qu'une fois cette lettre de Hziel publiée par un sénateur du tiers présidentiel, « une cellule de crise a été installée par les personnalités incriminées. Il leur fallait un bouc émissaire pour détourner l'attention de l'opinion publique des graves révélations. Le wali, Kouadri, a demandé une enquête sur la gestion du foncier durant mon mandat et ils ont fouillé dans toutes mes affaires et dans toutes les villes où je suis passé... » La présidente lui demande alors comment a-t-il pris connaissance de ces informations. « C'est un colonel du DRS, un wali et un directeur d'un journal, très intègres et auxquels je fais confiance, qui me l'ont affirmé », répond l'accusé s'interrogeant toutefois sur le fait que ni sa hiérarchie, le ministère de l'Intérieur, ni les autres ministères de l'Habitat et des Finances ne l'ont poursuivi à ce jour. « L'ancien commissaire, Mokrani, agissait non pas en tant qu'officier de la police judiciaire. Il a exprimé des sentiments d'acharnement et de régionalisme à mon égard. Deux ans après mon départ, Kouadri découvre qu'il y a eu dilapidation de deniers publics... » A propos des faits reprochés à l'ex-wali, il s'agit d'abord de l'affectation d'un terrain de 2052 m2 à Ibn Rochd, appartenant initialement au ministère des Postes et des Télécommunications, à M. Serradj (ancien ministre des P et T) et Ahmed Djoudi, général à la retraite, pour en faire une clinique avec station de lavage, mais qui a été par la suite revendu à de tierces personnes, de cinq appartements et de cinq locaux commerciaux à son épouse, ses enfants et son gendre. Interrogé sur l'arrêté qu'il a signé pour affecter le terrain, l'accusé se défend en expliquant qu'il n'a fait qu'avaliser un dossier présenté par le comité technique de l'agence foncière et qui ne précisait pas que le terrain appartenait aux Postes et Télécommunications. « J'ai demandé verbalement à mon secrétaire général de vérifier si le dossier était complet et il ne m'a pas dit qu'il était déjà affecté... » Renvoyant ainsi la balle vers l'agence foncière. Le directeur de cet organisme, Tayeb Cheikh Laoufi, s'en défend en disant qu'il ne fait qu'appliquer les décisions du conseil d'administration. Le ministère public l'interroge sur le changement de la destination du terrain. L'accusé répond par la négative. « Pourtant, celui qui a acheté en deuxième main est une société dénommée Méditerranée où ton père est actionnaire. » L'accusé ne dit rien. Il continue à se défendre en affirmant qu'il ne fait qu'exécuter les décisions du conseil d'administration au sujet d'un autre terrain de 206 m2, propriété de l'APC, vendu à une dame de 80 ans à Athmania. Au sujet de la vente d'une assiette de 204 m2, d'un local commercial, à son épouse, à son frère et à son père, l'accusé se contente de dire : « Ma femme a acheté le terrain que l'agence a mis en vente par adjudication. Le local aussi était en vente, j'ai donné l'argent à ma femme pour le payer à ma place. L'autre local, de 440 m2, a été acheté par mon frère. Ce sont des ventes promotionnelles, ils ont acheté comme tout citoyen. Pour ce qui est du terrain de 752 m2, attribué à Bachir Frik, c'est à sa demande que l'agence l'a fait. Il m'a dit qu'il avait besoin d'une assiette foncière. Nous n'avions à l'époque qu'un terrain pour la construction de logements. Cette proposition l'intéressait, puisque, a-t-il expliqué, il a besoin de sept logements pour ses sept enfants. Nous avons vendu cette assiette à son épouse pour la construction de huit logements... » Néanmoins, l'accusé fait savoir qu'il a démissionné en 1996 parce que « des pressions » ont été exercées sur lui pour lui faire signer un acte d'affectation d'un terrain agricole de 17 ha situé à Miseghrine, appartenant à un privé, et qui a été urbanisé et vendu. A propos du terrain affecté au docteur Bouarfa, il précise qu'il l'a traité comme tous les autres notant, toutefois, qu'il n'a fait qu'exécuter bien sûr les décisions du conseil d'administration. Les directeurs de l'OPGI et des Domaines, Chaâbane Makhtari et Hacène Baalas, adoptent la même position en mettant tout sur le dos de Frik. Les terrains affectés à Mohamed Diabi, à Mohamed Sbaâ, aux deux chefs de cours d'Oran, à Fouad Malti (gendre de Frik), à Fatma Zohra Chlihia (épouse de Frik), à Mohamed Mokhtari (frère du DG de l'OPGI) ainsi que les logements distribués « l'ont été sur décision de l'ex-wali », qui « utilisait son quota de 10% que la loi lui permettait ». A signaler que les auditions se sont déroulées durant les journées de jeudi et vendredi et se poursuivent toujours.