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Sinistrose ambiante
Blida-La ville des roses « fanées »
Publié dans El Watan le 25 - 07 - 2007

Il est impossible de nous déplacer à la mer ou à la montagne ! » Ceci est le cri de détresse d'une mère de cinq enfants ; femme de ménage gagnant un salaire de 12 000 DA et dont le mari ne travaille pas depuis un accident de la route survenu dans le quartier même où une promesse d'embauche lui avait été faite. Pas de bus spécialisés dans les excursions à la mer et une pression telle sur la navette Blida-Chréa, station sise à 18 km tout en lacets, en décourage plus d'un.
Trente-quatre degrés à l'ombre, des moustiques et des senteurs nauséabondes dans toute la périphérie de la grande ville de Blida et une monotonie à donner l'envie de sombrer dans la folie. Par fournées entières, des jeunes de 15 à 30 ans attendent la tombée du jour pour occuper les trottoirs et débuter d'interminables parties de belote, poker ou dominos. « Nous n'avons pas les moyens de nous payer quelques jours au bord de la mer, même si les plages d'Alger sont d'accès libre », dira l'un d'eux. Il faut débourser 500 DA par personne dans un taxi collectif pour profiter de quelques instants au bord de l'eau. « Et si je dois emmener avec moi mes petits frères, quel sera le prix à payer ? », ajoutera un autre, semblant blasé par les contraintes de la vie familiale. Avec un revenu inférieur à 500DA/jour, le seuil de pauvreté est atteint, et la plupart des familles habitant une des quelconques cités du Grand Blida ne dispose pas de ce revenu. 1240, 720, 640, 480, 512, 1000 : des chiffres indiquant des noms de cités à Ouled Yaïche, Diar El Bahri, Khazrouna et autres grands quartiers où quelque 35 000 jeunes sont sans vacances. Promiscuité, gêne, insalubrité, chaleur, chômage, corvées d'eau : lot quotidien d'Algériens du quart-monde qui observent de biais celles et ceux qui roulent dans des véhicules flambant neufs et climatisés, ignorant volontairement que certains ont bénéficié de crédits. « Ils ont obtenu des crédits parce qu'ils sont solvables et nous ne disposons même pas de ce minimum pour nous offrir un semblant d'euphorie », dira un autre jeune qui roulait une cigarette. Même la qualité du tarf issu du meroued n'est plus ce qu'elle était. La zetla de bonne qualité appartient également aux nantis. Beaucoup se spécialisent alors dans les psychotropes. Cherchant à savoir comment il s'est procuré ce joint, il se lèvera et s'éloignera pour ne pas répondre. Les espaces dans les cités réservés à cette frange de la population cherchant l'évasion spirituelle sont légion et connus des services. La montée en lacets vers Sidi Kebir, la marche à pied à travers les premiers kilomètres de l'Atlas Tellien, du côté de Beni Sbiha, Tabarent, Koudiet Ennessara, Tal Aouirte, les Gorges de La Chiffa sont autant de lieux où la fraîcheur fait oublier la pression ambiante. Cependant, les conditions sécuritaires ne permettent pas la décontraction maximale. Les cafés et estaminets, même les pizzerias, offrent une autre manière de passer les exténuantes journées : thé chaud, boissons fraîches, pizzas en famille pour certains et les interminables discussions sur le devenir du club phare, demeuré sans titre après plus de 75 années d'existence – il faut le faire – et l'absence de soutien à tout bureau qui se propose de prendre en charge les destinées du football local, en dehors de toutes les autres sections qui avaient vécu les joies de titres arrachés difficilement ou facilement, selon les aptitudes des athlètes. Beaucoup de jeunes filles attendent l'après-midi et le début des longs feuilletons à l'eau de rose : « C'est notre unique “sortie” du quotidien », précisera une jeune Blidéenne de 16 ans, lycéenne, qui déteste les vacances parce qu'« elle ne peut pas se permettre des vacances avec un père salarié, touchant 13 000 DA par mois ». Les mariages et les fiançailles sont une autre occasion pour se défouler, s'éclater : « Je n'arrête pas de danser et je suis devenue célèbre rien que pour mon art de danser », confiera une collégienne, rencontrée dans une cérémonie de distribution de prix aux plus méritant(e)s. S'inviter chez la famille à Oran, Annaba, Mostaganem ou une autre ville côtière est l'autre « astuce » trouvée pour tenter de passer quelques jours ou quelques semaines de vacances. Habiter Blida en été est loin d'être une sinécure pour la majorité des familles et l'esprit d'initiative pour meubler les longues et chaudes journées manque gravement. Ce n'est point passer des vacances mais les subir dans cette sorte de cuvette à 20 km de Chréa et quelque 35 km de la mer.

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