Son histoire est simple, commune à des millions de femmes algériennes qui n'ont pas eu la chance d'avoir une formation et hériter d'un métier. La fête du 8 mars est celle de la femme en Algérie. A Bordj Bou Arréridj, cet événement est fêté par les femmes travailleuses par une demi-journée de festivités organisées par l'Union nationale des femmes (Unfa), soit juste un gala avec des chanteurs locaux, le temps d'honorer une femme partant en retraite. Cette fête oublie, bien sûr, comme toutes les organisations féminines d'ailleurs, femmes de l'autre rive, celles qui gagnent leur vie dans la rue, la fille-mère, la femme divorcée, celle sans ressources et la mendiante de tous âges. Pourtant ces femmes vivent à proximité de la société et sont concernées, elles aussi par la fête du 8 mars. Jamais, dans la ville de Bordj Bou Arréridj, l'on a entendu qu'une femme dans la détresse a été logée, bénéficié d'une aide, d'un travail honorable, d'une prise en charge digne de la vie algérienne en conformité avec notre religion, pourtant protectrice de la femme. Un exemple courant L'histoire de cette mendiante âgée de 26 ans, mère de deux enfants en bas âge, une fille de 10 ans et un garçon de 8 ans, tous deux scolarisés dans la ville de Bordj Bou Arréridj est édifiante, un exemple bien courant dans la société algérienne. Mme B.A., mendiante et est «fière de l'être» depuis sa séparation douloureuse, forcée avec son mari, pour brutalités, et incompatibilités d'humeur à cause de son alcoolisme. Pour tendre la main aux âmes charitables, comme elle le dit, devant les mosquées et uniquement les mosquées, elle cache son beau visage et son corps de jeune fille derrière un djelbab noir pour ne pas être reconnue de sa famille, de ses proches et de ses voisins. L'Expression l'a accostée grâce à l'aimable intervention et contribution d'une nouvelle association caritative féminine qui l'a prise en charge afin de trouver «une solution à ses problèmes». L'on a pris aussi contact avec elle, car elle représentait une intrigue devAnt la grande mosquée de Bordj Bou Arréridj. Et chaque fidèle de cette mosquée se demandait d'où venait et où allait cette jeune femme qui ne levait jamais la tête devant les passants. Voici sa première déclaration: «Je suis fière de tendre la main aux âmes charitables, plutôt que de subir le calvaire et le sort d'une femme divorcée, rejetée par sa famille, inacceptée à cause des enfants, dans son entourage immédiat, dans son village natal (situé dans une autre wilaya) à chaque fois qu'elle postule pour un travail de femme de ménage, à cause de sa beauté et sa jeunesse». Cette femme, qui cache mal sa jeunesse et la beauté de son visage avec plusieurs foulards autour de la tête et sa longue silhouette sous un djelbab noir et sale, lance un cri de désespoir face à la cruauté sans nom d'une société, encore qui ne pardonne pas à l'endroit des femmes divorcées avec enfants, une société, qu'on le veuille ou non, encore traditionnelle, rurale et qui veut que toute femme divorcée soit soumise, elle et ses enfants, aux caprices d'un père, d'un frère, raconte-t-elle. «Ne citez pas mon nom, sinon, un membre de ma famille ou celle de mon mari, habitant deux wilayas différentes, viendrait me battre ou me retirer les enfants», précise-t-elle avant de raconter son parcours de femme abandonnée depuis le jour de son mariage. Son histoire est simple, commune à des millions de femmes algériennes qui n'ont pas eu la chance d'avoir une formation et hériter d'un métier. Elle raconte : «Juste après son mariage à 16 ans, en vivant en communauté dans une maison où cohabitent plusieurs frères avec leurs femmes et enfants, sous la conduite d'un paternel aux vieilles méthodes traditionnelles, j' ai décidé de repartir, demandant à mon mari qui s'adonnait à l'alcool, mon propre «gourbi». Après trois ans d'attente, le divorce est prononcé à mon désavantage avec la garde des enfants. Ma famille a refusé la prise en charge de mes deux enfants d'où ma fuite de la maison paternel et grâce à l'amabilité et à la charité d'une vieille tante, je me retrouve à Bordj Bou Arréridj, mendiante mais heureuse avec mes enfants». Aujourd'hui, dit-elle, tous les hommes que je rencontre sur mon chemin me font des propositions malhonnêtes, touchant ma dignité et mon honneur et c'est pour cela, explique-t-elle, que je ne tends la main qu'à la sortie des fidèles des mosquées, juste après la prière d'el assr, pour éviter le soir. «Je loue deux pièces dans une grande maison et j'arrive à assurer, grâce à la mendicité et aux âmes charitables, le loyer et la scolarité de mes deux enfants. Je mendie plutôt que de faire un autre métier, celui de femme de ménage et éviter des rencontres et des propositions malhonnêtes de femmes ou d'hommes qui m'ont employée». «C'est quoi le 8 mars?» A la question de savoir si elle connaît la date du 8 mars ou a-t-elle entendu parler d'organisations féminines, sa réponse est nette. Elle n'a jamais entendu parler ou fêté le 8 mars, mais, par contre, elle en a eu vent grâce à l'association caritative qui l'a prise sous sa protection depuis notre entretien avec elle, que l'Etat offre un salaire aux femmes au foyer. Or, soupire-t-elle, elle n'est pas une femme au foyer, mais plutôt une femme dans la rue à la quête d'un sou pour nourrir, scolariser ses deux enfants, et payer un modeste loyer chez sa tante. Le 8 mars, c'est une journée de mendicité pour elle, il sera peut-être un jour célébré par sa fille. Pour les autres détails de sa vie, elle préfère juste dire qu'elle a été humiliée, frappée, trahie, traînée par les cheveux, jetée dehors, insultée de tous les noms et finir mendiante à vingt ans, attendant peut-être un éventuel retour chez elle, dans sa famille, ou l'acquisition d'un logement dans la dignité et l'honneur. En tout cas, cette mendiante, jeune, belle, et fière que l'on peut rencontrer devant la grande mosquée de la ville de Bordj Bou Arréridj, tête basse, tendant la main sans jamais regarder un homme en face, est loin de se douter qu'il existe une journée célébrée par les femmes. Pour la fête du 8 mars, Journée mondiale de la femme, elle promet que sa fille saura, un jour, lire, écrire et peut-être assister, en tant que femme instruite, libre de toutes contraintes sociales à une cérémonie de la fête des femmes. Pour la fière mendiante, l'unique joie qu'elle ressent, explique-t-elle, est la rencontre avec ses deux enfants, le soir venu. Tout ce qu'elle veut, c'est un travail dans une entreprise, une administration publique, une protection de l'Etat, un salaire pour dire un jour à ses deux enfants, une fois grandis, qu'elle gagne sa vie honorablement. Pour elle, le combat de la femme, diplômée, femme de ménage, mendiante, étudiante, travailleuse, etc., est loin d'être gagné en Algérie. Quant à l'égalité entre l'homme et la femme, c'est une autre histoire, dans ses rêves peut-être. Pour l'imam de la grande mosquée de la ville de Bordj Bou Arréridj, intrigué lui aussi, cette jeune femme a aussi besoin de la protection de notre religion et de la zakat dont la campagne vient de commencer. Les femmes dans la rue n'ont-elles pas besoin de la zakat?