Une réalisation classique mais efficace, une bonne distribution et un thème brûlant.Le film de Nadia Cherabi-Labidi, L'envers du miroir a son propre envers. En effet, il a failli ne pas voir le jour. A l'origine, il devait être réalisé par Sid Ali Mazif, également auteur du scénario. Mais, suite à des ennuis de santé, celui-ci avait dû renoncer. Il n'y a rien de pire qui puisse à arriver à un film que de se trouver ainsi suspendu et c'est tout à l'honneur de la productrice d'avoir pris le relais pour achever le projet. C'est la première fiction de la réalisatrice qui s'était déjà signalée par des courts métrages de qualité aux thèmes originaux. La thématique de la décennie noire a pesé sur toutes les formes d'expression et continuera sans doute à le faire, en raison des traumatismes encore présents. Cependant, L'envers du miroir semble confirmer un certain retour du cinéma social en Algérie qui a toujours connu l'engouement populaire, à l'image d'un Omar Gatlato ou de Un toit, une famille. Le besoin des spectateurs algériens de retrouver à l'écran ce qui fait leur « extraordinaire ordinaire », pourrait-on dire, est un fait qui ne s'est jamais démenti depuis l'indépendance. Avec L'envers du miroir, comme le suggère le titre, c'est donc le social qui revient, mais surtout certaines de ses faces cachées. Un jeune dépanneur de voitures, chauffeur de taxi à ses heures, qui rêve d'aller vivre au Canada, prend un jour une jeune cliente en pleurs. Prétextant un achat, elle en profite pour s'éclipser. Des pleurs de bébé jaillissent de l'arrière du véhicule. Kamel, magistralement interprété par un Rachid Farès qui mérite décidément de jouer plus, finit par prendre l'enfant chez lui. Célibataire, il a lui-même été abandonné dans son enfance et la femme qui l'a élevé accepte de prendre en charge le bébé. Le triangle qui évolue entre le jeune chauffeur de taxi, la mère célibataire, Selma (Nassima Chems) et le bébé devient, dès lors, l'espace d'un jeu social et psychologique où d'autres personnages se débattent entre ambitions, sentiments, conflits et tabous. L'histoire de Selma, progressivement dévoilée pendant que Kamel la recherche partout, met en scène le drame des filles-mères qui, jusqu'à présent, avait surtout défrayé les chroniques journalistiques. Le scénario, comme la réalisation, se sont attelés à ne pas lésiner sur l'exposition du problème, traité avec audace, par exemple du fait que Selma ait été violée et engrossée. Mais cette audace, loin d'être agressive, s'exprime par une certaine sérénité de ton et sans doute un désir de pédagogie auquel la formation de sociologue de Nadia Cherabi n'est peut-être pas étrangère. La réalisatrice a tenu compte sans doute aussi du fait que le film, après son exploitation cinématographique, devrait, grâce au coproducteur l'ENTV, faire l'objet d'une version en feuilleton. On peut penser que cette approche conduit à édulcorer la violence du thème. Il n'en est rien. Au contraire, malgré quelques passages sentimentalistes, en bridant un peu la « dramatisation » du scénario, le film évite les excès, jérémiades et « théatrâlisme » qui pénalisent souvent le cinéma algérien quand il aborde des thèmes graves. Mieux, en refusant la mise en scène facile de chocs et éclats, on suggère plus fortement la « banalisation » du sujet, dans le sens où l'on comprend que la réalité des filles-mères n'est plus une histoire de fait divers mais un phénomène de société. Avec une image de bonne facture, une réalisation classique mais efficace, une distribution dans l'ensemble performante L'envers du miroir devrait connaître un succès populaire et leur inspirer le respect d'une œuvre sauvée et le courage d'afficher à l'écran l'envers de notre société.