L'Envers du miroir, de Nadia Cherabi, a lancé, jeudi soir à Annaba, la deuxième édition du « Cinéma sous les étoiles », organisée par le Centre culturel français (CCF) et l'université Badji Mokhtar jusqu'au 10 juin courant. Annaba De notre envoyé spécial Les films sont projetés tous les soirs à partir de 20 h 45, dans la cour du l'ex-lycée Pierre et Marie Curie. Le public a applaudi ce drame social sorti en 2007, après trois ans de galère faute de financement. C'est l'histoire de Selma (Nassima Shems) qui abandonne son bébé dans un taxi conduit par Kamel (Rachid Fares). Elle laisse l'enfant dans un cabas et disparaît dans la nuit. Selma fuit un drame que Kamel, appuyé par son ami Fatah (Kamel Rouini), va tenter de comprendre. Kamel traîne lui-même une blessure, puisque abandonné par sa mère. Il sera donc en colère contre Selma. « Tu es une femme sans cœur. Dommage ! », lui lance-t-il après l'avoir retrouvée. Le long métrage de Nadia Cherabi, bâti sur un scénario original de Sid Ali Mazif, est marqué par la forte présence de la nuit, par l'absence lourde du père (Selma ne connaît même pas la tombe de son propre père), par les scènes de cimetières et par ces couleurs vert et rouge qui voyagent au fil du drame. C'est, en fait, toute l'âme du cinéma algérien qui est rassemblée dans ce film sincère. Kamel et Selma, qui finissent par se retrouver, face à un coucher de soleil poétique et une mer ouverte, ne sont que des exemples d'une société où le viol et l'inceste sont couverts par l'hypocrisie des grands jours. Viols et incestes produits de crimes plus compliqués, mais jamais avoués. La situation fragile de la femme est également mise en évidence dans L'envers du miroir. Cela est symbolisé par cette fuite nocturne de Selma qui a failli tomber dans les griffes d'un réseau de prostitution. La prostitution, pas forcément celle du corps, n'est-elle pas née d'une certaine trahison ? Nadia Cherabi, qui est venue au cinéma par la sociologie, a montré que le cinéma demeure toujours cet art supérieur qui dit, redit et suggère des choses. « Le cinéma est d'abord l'idée », a-t-elle soutenu, vendredi après-midi, lors d'un débat organisé au CCF. « Lors du tournage, j'étais à l'écoute de tout ce qui se disait autour de moi. Rachid Farès a ajouté le mot ''dommage'' au texte initial de la scène de la rencontre avec Selma, lui donnant plus d'authenticité. Rachid Farès, comme Kamel Rouini, sont de grands professionnels et connaissent donc leur responsabilité dans la composition du personnage », a-t-elle confié, soulignant que chaque scène peut être interprétée selon la sensibilité de chacun. Le film aide, selon elle, à susciter le débat. « Et c'est tant mieux. Car un film n'existe que s'il rencontre un public. Les remarques qui y sont faites le rendent vivant », a-t-elle ajouté. Saisie d'un doute, Nadia Cherabi a arrêté le tournage pendant une semaine. Elle est allée consulter l'association Femmes en détresses où elle a fait une rencontre avec une dame qui a abandonné volontairement son enfant à l'hôpital. « Elle m'a dit : ''je l'ai délaissé mais dans mon cœur je lui ai donné un prénom, Saïd. Saïd pour qu'il vive heureux'' », a-t-elle dit. Elle a observé que certains passants détournent leur regard lorsqu'ils voient une femme qui mendie avec son enfant dans la rue. « On ne cherche même pas à comprendre pourquoi elle est là. Le cinéma permet de donner un visage aux chiffres qu'un sociologue aura à établir sur l'enfance abandonnée ou sur les viols », a-t-elle appuyé. Titulaire d'un doctorat sur la sémiologie de l'image au cinéma obtenu à la Sorbonne, à Paris, Nadia Cherabi a réalisé plusieurs documentaires dont l'un sur les femmes qui pratiquent la pêche en Algérie. Avec Malek Laggoune, elle a réalisé un autre documentaire sur une fille adepte de la zaouia Tijania, Fatima Amaria. « Le documentaire est l'école à laquelle je me rattache le plus. Je voulais, à travers le cinéma, avoir une observation plus poussée de la société. Le documentaire donne cette possibilité. La fiction doit être prise comme elle est. On ne fait que s'inspirer de la réalité », a-t-elle argué. A ses yeux, il est nécessaire d'établir le contact avec le public. « Le public demeure toujours attaché au film algérien. Il y a eu une si longue absence qu'on a presque oublié les chemins des salles. Il y a donc nécessité de relancer la production », a-t-elle appuyé. Nadia Cherabi a collaboré avec l'ex-Centre de l'art et de l'industrie cinématographique (CAAIC). « On pouvait produire jusqu'à dix films par an. Le réseau de salles qui existait permettait de financer cette production », a-t-elle relevé. Elle a qualifié de brutale la décision de dissoudre le CAAIC. « Les cinéastes, les directeurs photo, les ingénieurs du son, les machinistes s'étaient sentis perdus. Avec le temps, certains de ces métiers du septième art ont disparu. Le laboratoire de développement des pellicules de 35 mm a été fermé. Aujourd'hui, ce développement se fait à l'étranger », a-t-elle regretté.