La mise à la retraite anticipée du procureur général près la cour d'Alger, Douadi Medjrab, a suscité de lourdes interrogations dans le milieu judiciaire. Le court passage de ce magistrat à la tête de la plus importante cour du pays laisse croire qu'il s'agit tout simplement d'une sanction. Lecture que de nombreux magistrats avec lesquels nous nous sommes entretenus n'ont pas hésité à faire, même si le concerné s'est refusé à tout commentaire. Selon des sources proches de la chancellerie, le procureur général a fait les frais de la mise sous mandat de dépôt du conseiller du président, Kaddour Gouaïche, président de l'association des zaouïas, poursuivi pour corruption et trafic d'influence et condamné à l'issue d'un procès marathonien, qui a fait tache d'huile dans les annales de la justice. En effet, le 24 juin dernier, les avocats ont été surpris de voir cette affaire ajoutée, à la dernière minute (au stylo) au rôle du tribunal de Sidi M'hamed, près la cour d'Alger, sans que les familles des 13 prévenus, dont 8 en détention depuis plus de trois mois, soient informées. La feuille d'extraction des détenus a été faite le matin du 24 juin 2007, alors que certains d'entre eux avaient reçu des convocations du juge d'instruction pour être entendus le 25 juin dans le fond. Plus grave, aucun membre de la défense n'a pu obtenir l'ordonnance de renvoi pour pouvoir discuter avec les prévenus sur les chefs d'inculpation retenus contre eux. Bref, un ensemble de violations flagrantes de la procédure qui n'a pas empêché le magistrat d'entamer le procès tard dans la nuit (22h15) du 24 juin, en l'absence du principal prévenu, Kaddour Gouaïche, qui avait été mis en liberté provisoire le 19 juin 2007 à l'issue d'une audience spéciale, tenue à la salle 3. Aucun de ses co-détenus n'était au courant de ce procès. Pour eux, Gouaïche devait changer de lieu de détention, pour des considérations de santé. Deux autres mis en cause, en liberté provisoire, n'ont pas pu assister à l'audience du 24 juin. Parmi les prévenus, Rahiane Mustapha Karim, ex-secrétaire général du ministère des Ressources en eau, Imessaâd Abdenaceur, ancien directeur au ministère des Finances et membre de la commission nationale des marchés, trois secrétaires particulières, dont une détenue, qui est à la retraite depuis… 1997, ainsi que les dirigeants d'un bureau de consulting privé Groupe d'intérêt commun (GIC) et de l'entreprise italienne Estaldi. Gouaïche, selon l'acte d'accusation, aurait servi durant la période 2002-2006 d'intermédiaire à des sociétés étrangères pour acquérir des marchés dans les secteurs de l'hydraulique, des chemins de fer, mais aussi auprès de la direction générale de la sûreté nationale (DGSN), du ministère de la Défense, de la direction générale de la Protection civile (DGPC), de la direction générale des douanes (DGD), etc., en contrepartie de montants importants en devises et en dinars versés soit dans le compte de l'association de zouïas, soit dans son compte personnel domicilié à l'étranger. Lors de son audition devant les officiers du DRS, Gouaïche, à en croire le procès-verbal, a reconnu avoir servi d'intermédiaire pour de nombreuses sociétés étrangères, auprès de plusieurs ministres et de cadres de la présidence. Ce sont, a-t-il déclaré lors de l'enquête, ses connaissances qui lui ont permis d'obtenir des marchés au profit des dirigeants de nombreuses sociétés étrangères. Mais l'enquête judiciaire n'a concerné que la société italienne Estaldi, trois anciennes secrétaires particulières du ministre de l'Hydraulique, devenu des Ressources en eau, et les membres du bureau de consulting GIC. Sans réquisitoire, le procureur rend son verdict qui étonne l'assistance. Une peine de 5 ans de prison ferme pour les huit prévenus en détention. La même peine a été demandée, par défaut, à l'encontre de Gouaïche Kaddour, alors que pour les trois autres prévenus, en liberté provisoire et absents des débats, le parquet a requis une peine de 8 ans de prison, avec des mandats de dépôt. Une peine de 3 ans a été également requise contre l'ancienne secrétaire du ministre des Ressources en eau. Le 25 juin 2007 à 3h, le tribunal condamne Gouaïche Kaddour à 4 ans de prison, dont trois ans avec sursis, l'ancien secrétaire général du ministère des Ressources en eau à 1 an de prison ferme. Une peine de 18 mois avec sursis est retenue contre 5 prévenus dont l'Italien Vittorio Angelo, patron de la société Estaldi. Deux anciennes secrétaires particulières ont bénéficié de la relaxe, alors que la troisième a été condamnée par défaut à un an de prison ferme avec mandat de dépôt. Or, Gouaïche Kaddour, dans la même situation, a bénéficié d'un jugement contradictoire, c'est-à-dire comme s'il était absent à l'audience, ce que les avocats ont qualifié de grave précédent. La mise sous mandat de dépôt par le parquet d'Alger de ce conseiller au niveau de la présidence a provoqué un séisme. Décision que Douadi Medjrab vient, indique-t-on, de payer en se voyant éjecter de son poste de procureur général. Un poste spécifique qui échappe au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), seule institution habilitée à gérer la carrière des juges. Les chefs de cour (procureurs généraux et présidents de cour), faut-il le préciser, sont nommés, mutés, mis à la retraite et radiés sur décision du premier magistrat du pays et ce sur proposition du ministre de la Justice. Le mouvement des autres magistrats relève quant à lui du CSM.