Un climat de malaise règne depuis une dizaine de jours au sein de la Cour suprême. Les raisons de cette situation sont à imputer au dernier mouvement opéré par la chancellerie dans les rangs des magistrats de cette haute instance judiciaire. Selon des sources proches de celle-ci, neuf magistrats ont été mis à la retraite, à la veille de l'Aïd El Fitr, sans que leur cas ne soit examiné par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), seule instance habilitée à gérer leur carrière. Ce mouvement a touché les magistrats qui cumulent un capital expérience non négligeable et qui malheureusement fait défaut dans de nombreuses cours du pays, mais également à la Cour suprême. En effet, il s'agit de Khaled Achour, ancien président des cours de Annaba, d'Oran et d'Alger, Fathi Tidjani, président de la chambre des délits et contraventions, Berrim Touati, président de la chambre criminelle, Bettah Touati, magistrat à la chambre civile, et surtout Laâroussi Mohamed, magistrat du Conseil d'Etat et membre du CSM. De par sa qualité d'élu de cette instance, la mise à la retraite de M. Laâroussi pose un vrai problème. Obligatoirement, il sera appelé à abandonner son siège au conseil. Pour des sources proches du ministère de la justice, « tous ces juges ont atteint l'âge de la retraite cette année, ce qui rend la décision tout à fait légale ». Pourtant, le statut des magistrats permet à ces derniers de prolonger leur activité de 10 années, sur demande adressée à la chancellerie. Cela a été le cas pour M. Laâroussi, puisque ce dernier a eu une réponse favorable. De l'avis de nombreux magistrats, avec lesquels nous nous sommes entretenus, la chancellerie a « outrepassé » ses prérogatives dans la mesure où la gestion de la carrière des magistrats relève du CSM et non pas du service des ressources humaines, du ministère de la Justice. Pour eux, le ministre a profité d'une brèche laissée par les dispositions du statut des magistrats. Le texte en question évoque uniquement la mutation et la promotion du juge qui relèvent des prérogatives du CSM, mais pas la retraite. Ce qui laisse la porte ouverte à la chancellerie pour intervenir et mettre à la retraite des magistrats cumulant un capital expérience considérable. Certains n'hésitent pas à voir dans ce mouvement « un coup asséné » au fonctionnement de la Cour suprême. A travers les mises à la retraite, cette cour « perd des magistrats chevronnés au moment où elle a le plus besoin d'eux » eu égard au volume des affaires qui arrivent chaque années à son niveau. Les statistiques rendues publiques lors de l'ouverture de l'année judiciaire en cours ont mis en relief une hausse considérable des recours. La Cour suprême a tranché 62 669 recours entre 2004 et 2005, contre 17 237 recours durant l'année judiciaire 2003-2004. Ce qui représente un volume de travail assez conséquent et exige de ce fait des magistrats de qualité, jouissant d'un capital expérience important. Cette catégorie se raréfie de plus en plus, non seulement au niveau de la Cour suprême mais également au sein des autres juridictions. En tout cas, la mise à la retraite des neuf magistrats de la Cour suprême a suscité de vives réactions mais aussi de lourdes interrogations. Si pour certains, il s'agit là d'une mise au pas du CSM, dont les prérogatives sont empiétées, pour d'autres c'est plutôt la Cour suprême qui a été visée pour affaiblir son tout nouveau premier président, Kaddour Berradja, confronté l'été dernier à une grave crise avec le Conseil de l'ordre des avocats.