L'été est trop rentable pour penser au farniente. Ne me parlez pas de vacances, c'est trop déprimant. Pour la 5e année consécutive, je reste à Paris pendant l'été malgré moi. » Fatiha, 34 ans, en France depuis près de 5 ans, brune, assez grande et mince. Elle se présente : « J'ai une maîtrise de psychologie. Ce qui me définit depuis mon arrivée au pays de Voltaire, je suis une sans-papiers. C'est une identité et un boulot à plein temps. Une personne qui n'est pas passée par là ne peut pas comprendre ce qu'est de fuir les policiers, d'avoir peur de tomber malade, de mentir à sa famille, restée au bled, de connaître tous les rouages de la préfecture… Et je ne parle pas des associations. Je les connais toutes. Elles sont pour la plupart impuissantes mais apportent tout de même un soutien psychologique. Les plus sympathiques sont les militants de l'association des Kabyles sans-papiers. Ils sont très motivés et ne se laissent pas faire. Je participe quelquefois à leurs soirées couscous. Un vrai régal. Je ne parle pas un mot de kabyle même si, paraît-il, j'ai le physique d'une vraie Kabyle (rires). J'ai essayé d'étudier en France à mon arrivée. Pas évident de concilier travail et études. Au bout d'un moment, j'ai lâché prise. Quand je voyais les étudiants français avec leur carte d'identité nationale, je rigolais toute seule. Je me disais que c'était ça le diplôme auquel j'aspirais. Une belle carte bleue plastifiée. Il y a des moments très durs. L'été, ça peut aller. Je travaille un peu au noir, je sors, je fais des activités qui ne demandent pas beaucoup d'argent et fais des virées à Deauville avec des amis. Je n'y passe jamais la nuit. Trop cher ! La mer me manque, Alger me manque. Je ne pourrais plus y vivre. Passif difficile à digérer. Je suis partie pour des raisons intimes qui n'ont rien à voir avec la Convention de Genève. Je ne suis pas une réfugiée politique, ni économique. C'est juste personnel. Ma mère m'a encouragée. Elle me manque aussi, terriblement. Quelquefois, entre humour et sérieux, elle me demande de dénicher un mari et de régler ma situation administrative. Je continue de faire semblant de trouver son idée drôle. Hors de question de se mettre avec un homme, rien que pour les papiers. J'ai vu trop de dégâts dans ces mariages arrangés, à commencer par ma mère. Au fait, être sans-papiers travestit tout. Difficile d'aimer dans ces conditions. L'amour est une relation d'égal à égal. Or, ce n'est pas le cas. Enfin, peut-être que si, sauf que je suis trop fière, orgueilleuse. C'est sûrement pour cela que je préfère fréquenter des sans-papiers comme moi. Vous voyez, c'est une identité. On en sort difficilement. Pour cet été, nous avons programmé des soirées Paris-Plage, La Villette et des expéditions à Deauville. J'aime beaucoup le mois d'août à Paris. Y a moins de monde, il y flotte un air de liberté, de nonchalance. Et puis, y a moins de contrôles d'identité dans la rue. Au fait, pour être heureuse, il ne me manque qu'une autorisation de séjour. Pour le boulot, pas de problème. Je n'ai jamais chômé. J'ai appris à faire des choses incroyables comme poser un parquet ! Le métier qui m'a le plus étonné est le baby-sitting des vieux. Franchement, être payée pour taper de la tchatche avec des vieux, non pardon, avec des personnes âgées (rires). Et c'est bien payé ! Donc, cet été, je reste à Paris. Ce n'est pas une galère ! Il ne manque que la mer. Paris a peut-être sa plage mais sûrement pas la mer. »