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Confidences d'un « pied-noir » de Belcourt
Jacques Cavanna-L'avocat, ancien citoyen algérois, revient sur son passé
Publié dans El Watan le 02 - 08 - 2007

« Il perd celui qui sait ce qu'il va faire s'il gagne. Il gagne celui qui sait ce qu'il va faire s'il perd » Machiavel
Il a le sourire en guirlande, un regard malicieux derrière ses petites lunettes et une énergie de tout instant. Jacques sait conquérir son monde.
Il a le sourire en guirlande, un regard malicieux derrière ses petites lunettes et une énergie de tout instant. Jacques sait conquérir son monde. C'est normal car il est avocat, et en tant que tel, il a forcément le sens de la communication. Lorsqu'il égrène sa vie, on a l'impression d'écouter une flamboyante plaidoirie. Et ce n'est pas de la tchatche ! Sa vie ? Une succession de faits, des déchirures surtout et des plaies pas tout à fait cicatrisées malgré l'épreuve du temps. Il lui en a fallu du culot pour forcer les portes, prendre le dessus sur l'histoire et réapprendre à vivre ! Mais des vocables comme l'exode, l'enracinement profond, les traumatismes et les crève-cœur font partie de son langage. Des réminiscences ? Non, des mots marqués au fer qui ont certainement donné une trajectoire à son existence. Il exerce son métier à Montpellier où il réside depuis 1962 et à Alger, sa ville natale, où il partage un cabinet avec une confrère. C'est toujours avec un plaisir non dissimulé qu'il retrouve la cité qui l'a vu naître, il y a plus de 60 ans, où il avait ses marques du côté de Belcourt. Quand il évoque la déchirure, l'avocat tombe alors la robe noire pour se glisser dans son apparat de tous les jours. « Durant l'été 1962, nos parents ont fait comme les autres. Les enfants d'abord. Ma mère nous a emmenés à la métropole le 17 juillet 1962. Mon père ne nous a rejoints qu'en février 1963. A l'arrivée en France, on nous avait parqués au centre des rapatriés de Montpellier dans un vieux collège désaffecté. On nous avait mis dans des dortoirs avec au pied du lit nos deux valises. Au plan psychologique, on n'a pas eu droit au soutien, mais au mépris et aux insultes. » Jacques était jeune adolescent. Les souvenirs d'enfance renvoient souvent aux vacances parce que celles-ci ont partie liée avec la liberté et partant avec le bonheur. Mais l'affaire est plus simple et plus compliquée. Il se rappelle la fièvre qui s'empara du jeune qu'il fût.
1962, la déchirure
« Le problème, c'est qu'on avait l'impression qu'on partait en vacances. C'était l'été, le ciel bleu, la mer, c'était irréel. » Puis, d'ajouter : « Notre chance, c'est qu'à l'époque il y avait du boulot en France. Aujourd'hui, on se serait retrouvé sur le trottoir en train de faire la manche. » L'occasion est propice pour évoquer son père Albert, besogneux orphelin à Limoges, envoyé par l'armée au Maroc mais qui est tombé fou amoureux de l'Algérie. Et puis, il y a le grand-père François, employé à la mairie d'Alger. Albert, après son service militaire à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, est resté à Alger pour s'y installer. C'est là qu'il connut Paulette née à Alger mais dont les parents vivaient à Saïda, depuis deux générations. Les arrière arrière-grands-pères étaient d'origine espagnole. Au milieu des années 1940, la famille Cavanna déménage de Fontaine-Fraîche pour habiter dans un immeuble rue de Lyon, au Hamma. Ses parents exploiteront une épicerie rue d'Amourah. Des Français de condition modeste, en somme. « Je garde des souvenirs extraordinaires de Belcourt, un quartier populaire où les gens étaient mêlés, où l'on votait plutôt communiste. J'ai grandi avec des copains de toutes confessions dans une parfaite harmonie. C'était presque la même famille. Le bonheur total quoi ! Ma spécialité, c'était la carriole à roulettes. Quel boucan on faisait qui irritait les riverains, en descendant de Guesprates jusqu'à la rue de Lyon en attaquant la rue d'Amourah. Il y avait Hadj Djebli, dont je me rappelle très bien car il tenait notre commerce. Je l'ai revu depuis. Mais, comme ils ont rasé le quartier, je n'ai plus de repères, ni sur les lieux ni sur mes anciens amis. En démolissant, ils ne se sont pas rendu compte qu'ils ont effacé une partie de nous-mêmes », regrette-t-il impuissant. Jacques se souvient de l'école Caussemille où il a fait ses premières classes ainsi que du collège du Champ-de-Manœuvres où il a poursuivi ses études. « C'était des moments incroyables malgré la guerre. Je ne pense pas avoir vécu autrement que dans le don de soi, l'entraide et la solidarité entre les communautés. Ceux de mes amis musulmans vous diront la même chose. » En rentrant en France, ses parents ont jeté leur dévolu sur Montpellier et le choix n'est pas fortuit. « Parce qu'il y avait des facultés de renom et que le climat ne différait pas beaucoup de celui d'Alger. » Cela dit, l'installation et l'adaptation ont été très difficiles pour les parents qui ont réussi à créer un petit commerce. Mais les soucis et les difficultés ont eu raison de la santé du père qui décédera en novembre 1971 d'un infarctus. Après son bac, Jacques fera sciences po à Aix-en-Provence, parallèlement à une licence en droit et un DES en sciences po, un DES en droit international public et passera le CAPA. Avocat à Montpellier depuis 1974, ce n'est qu'en 1982 qu'il revient à Alger chez des amis « pieds-noirs », dont les enfants font des études à la faculté de droit de Montpellier où exerce Mme Cavanna. « Lorsque je suis revenu la première fois, j'étais choqué par les queues interminables devant les grandes surfaces pour acquérir une plaque d'œufs. Je trouvais cela dégradant et humiliant. » Ces propos francs et sincères sont dits pour parler d'une passion toujours vivace — l'Algérie — qui ne paraît pas appartenir au rayon des regrets mais à celui des rêves inaboutis. Les regrets, dit-on, sont comme les rêves, à la mesure de l'imaginaire, imprévisibles, illimités… Alors comme on ne peut venir tout le temps en Algérie, c'est l'Algérie qu'on déplace dans un coin de France. « Par nostalgie, on a créé, là-bas à Montpellier, l'Association des anciens du Hamma. On a rassemblé quelques 350 personnes, presque toutes issues du quartier. Même ceux du CGM du nom de la salle de gym de la rue d'Amourah se revoient régulièrement à Avignon. »
Lancer des passerelles
Enraciné dans ce pays, Jacques cherche, de l'autre côté de la rive, à lancer des passerelles pour garder les liens et les préserver. Alors, il crée l'Association de sauvegarde des cimetières français en Algérie. « C'était en 2000, à la faveur d'un repas organisé par le consul d'Algérie à Montpellier à l'occasion du passage de M. Ziari alors secrétaire d'Etat. Celui-ci a souhaité rencontrer des pieds-noirs pour échanger des points de vue et aussi pour se tendre la main. C'est à la suite de la discussion que l'idée a germé, encouragée par les officiels algériens. » Des cimetières, autrefois à l'abandon, ont été réhabilités. Il y en a plus de 500 en Algérie. Les choses ont commencé à bouger. Mais « l'idéal, selon notre avocat, est d'arriver à un parrainage sinon à un jumelage et une prise en charge, par une commune de France, de la remise en état et l'entretien de ces lieux. Cela permettra aux maires des deux rives de développer leurs relations dans les autres domaines d'activités ». Mais l'avocat met en garde contre certaines associations qui ne sont là que parce qu'elles ont senti le sujet porteur en n'hésitant pas à se coucher dans le lit fait par les autres. « Elles font du business. Ce sont des agences de voyages. On n'exploite pas le sentiment, la peine, le souvenir et la détresse des gens. C'est un manque de respect à l'égard de la communauté qui mérite mieux que d'aller pleurnicher devant les caméras. » Son métier d'avocat, il le vit comme un sacerdoce. Il a appris beaucoup de choses, comme « développer la tolérance, cultiver la fraternité et être toujours aux côtés des plus faibles ». « J'ai eu l'honneur d'avoir la confiance du bâtonnier d'Alger, Me Silini, ce qui me permet d'exercer ici même si je suis obligé d'être chez un confrère. J'ai même eu l'honneur de recevoir des mains de Me Silini, la médaille de l'Union des barreaux algériens. » Sa carrière, même discrète, est marquée du sceau de la réussite.
Belcourt, mon amour
Il dit sa fierté d'avoir gagné un procès, celui du fameux septuagénaire algérien de l'Aveyron et dont l'identité a été utilisée pour un trafic de drogue. Le vieil homme qui coulait une paisible retraite en France s'est vu, à son arrivée à Alger pour une visite familiale, arrêté et écroué. Il écopera de 15 ans de prison. « En plus d'avoir obtenu avec ma collègue Me Chnaïf Fatima, la relaxe de mon client, j'ai pu visiter Barberousse. » Mais sa spécialité à lui, c'est le droit des sociétés. « Actuellement, je suis sur une affaire de captation de capital social entre le Luxembourg et Paris. » Maître Jacques insistera beaucoup sur les liens tissés entre l'Algérie et la France et dont il est un peu l'instigateur comme par exemple le jumelage du barreau de Montpellier et celui d'Alger. « C'est au cours d'une rencontre entre le consul d'Algérie à Montpellier et le nouveau bâtonnier de cette ville, originaire de Tiaret, que l'idée m'est venue de procéder à rapprocher les deux barreaux ainsi que ceux de Nîmes et Carpentras avec Blida. Dans la foulée et pensant à la continuité dans le jumelage, j'organise chaque année les journées du droit. Il y a deux ans, j'ai été à l'origine d'une rencontre à Alger avec le doyen de la faculté de médecine de Montpellier, M. J. Touchan. Dernièrement, une convention a été signée entre le recteur de l'université de Béjaïa et la Faculté de médecine de Montpellier. » L'autre aspect de l'action, insiste-t-il, c'est le souhait pour les membres de la communauté rapatriée d'avoir la possibilité d'obtenir la double nationalité. Le cœur et la raison l'emporteront-ils sur le droit ? La question ne s'adresse pas seulement au juriste qu'il est...
Parcours
Jacques Cavanna est né en 1945 à El Biar, précisément à Fontaine-Fraîche rue Capitaine Hilaire dans la petite villa de ses grands parents. Sa famille déménage pour habiter au Hamma (Belcourt) de 1946 à 1962. Il est élève de l'école communale Caussemille, puis au collège du Champ-de-Manœuvres. Il vit, dans le déchirement, le rapatriement le 19 juin 1962. Sa famille s'établit à Montpellier à cause de la prestigieuse faculté et au climat qui ressemble à celui d'Alger. Après de brillantes études, il décroche son doctorat en droit et en sciences politiques. Il exerce le métier d'avocat depuis 1974 à Montpellier. Il a une pensée particulière pour ses parents mariés à la mairie d'El Biar par Jacques Chevallier. Jacques Cavanna compte de nombreux amis en Algérie dont des officiels « qui ne ménagent aucun effort pour l'aider dans ses différentes tâches… »


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