Le secteur du transport de voyageurs accumule les ratés dans la wilaya de Béjaïa. Les épisodes cycliques de perturbation avec des séquences malheureuses de confrontation entre des usagers désemparés et des transporteurs trop vite proclamés maîtres de la profession, en sont les symptômes les plus éloquents. L'argument commode de la loi du marché, systématiquement dégainé par les instances d'arbitrage, est de plus en plus battu en brèche par l'opinion. Car enfin, quelle est donc cette loi de marché qui en amont régule l'offre selon des critères bureaucratiques et en aval suggère aux usagers de ne pas s'offusquer de voir les prix se laisser imposer par le rapport, faussé à plus d'un titre, entre l'offre et la demande ? Selon les chiffres officiels, un peu moins de 36 000 places sont proposées à l'offre, représentant la capacité des 51 opérateurs de statut public et 1145 exploitants de statut privé. Ces taux, qui se fient à l'unique compilation des quitus délivrés pour l'activité, sont à relativiser, puisque les citoyens ont eu à se plaindre, entre autres, du fait que de nombreux opérateurs engagés désertaient les itinéraires qui leur ont été confiés. Une enquête diligentée par la direction du transport, il y a quelques semaines, et dont nous avons pu avoir des éléments chez les transporteurs, révèle que près de 130 véhicules engagés théoriquement dans l'activité ont disparu et leurs propriétaires ont abandonné, sans préavis, les dessertes. Un travail qui a, entre autres, conclu qu'une cinquantaine de véhicules devrait être désormais investie sur les lignes déficitaires, avec radiation des opérateurs en cession d'activités et qui a été à l'origine de la récente levée de boucliers des transporteurs des lignes interurbaines. Les grandes foules qui sont trop souvent larguées devant les arrêts de bus, sont l'autre preuve qu'un fossé sépare l'offre de la demande. « On ne sait pas où nos vis-à-vis vont chercher les arguments pour tenter de nous faire croire que le créneau est saturé et qu'il n'est plus à même d'absorber de nouveaux investissements. Cela peut paraître excessif, mais nous jugeons que l'on est en train d'entretenir la pénurie », conclut M. Belhadj, vice-président de l'Assemblée populaire de la wilaya (APW). Une institution qui s'obstine à fourrer le nez dans le dossier à la grande irritation de la corporation qui l'accuse de populisme. Les transporteurs pour leur part, que ce soit ceux affiliés à l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA) ou ceux émargeant à l'Union nationale des transporteurs (UNAT), trouvent que l'explication est à chercher ailleurs. Pour les premiers, le manque d'organisation explique à lui seul que des voyageurs poirotent par dizaines dans certains arrêts alors que des transporteurs jouent du pare-chocs ailleurs, pour faire le plein d'usagers. « Trouvez-vous normal qu'il n'y ait plus de bus sur Kherrata vers 13 h alors que nous ne cessons pas de réclamer de nouvelles rotations sur la ligne ? », illustre un membre de l'UGCAA. L'absence d'une gare routière, avec ses structures de régulation intégrées, demeure par ailleurs évoquée, à juste raison ou comme alibi, par les opérateurs. Un plan de transport caduc Loin de l'argumentaire ponctuel cependant, le constat du déficit est reconnu par les acteurs engagés dans le secteur, depuis au moins une année. Une assemblée générale des opérateurs des lignes urbaines du chef-lieu de wilaya s'était dès 2002 rendue à l'évidence qu'une augmentation substantielle de l'offre devait être opérée, au risque de voir la pression imposer l'ouverture de nouvelles lignes, selon le président du bureau de l'UNAT. Une véritable hantise pour ces professionnels qui découvrent les attraits du monopole et qui paniquent à l'idée de toute redistribution du filon. L'appréhension des transporteurs les a fait opter pour le renouvellement du parc en allant vers des véhicules d'une plus grande capacité. Le travail serait amorcé depuis, selon M. Boudrâa, représentant de l'UNAT, avec en cours de route des ennuis du genre vécus avec les bus JAC, remis sur le marché dès que acquis pour mauvaise performance. Mais cela ne suffit sans doute pas à expliquer le déséquilibre. Durant l'année 2003, une session de l'APW a, par ailleurs, vu la direction concernée faire la proposition un peu étonnante d'offrir 95 nouvelles lignes à l'exploitation, entre urbaines et rurales, et d'en supprimer 150 jugées peu rentables et dignes d'être desservies. C'est du moins ce qu'affirme l'exécutif de l'APW. La proposition a été rejetée par les élus qui ont exigé que la copie soit revue. La nouvelle mouture du plan de transport est derechef exposée avec, cette fois-ci, un bon généreux dans le sens de l'offre. Un lot de 345 lignes a été ainsi intégré à la carte des dessertes. Mais la décision ne passera pas puisque c'est le ministère de tutelle qui se met de la partie, toujours selon les représentants de l'APW, pour décréter que les 2/3 des lignes dégagées, soit 230, devront transiter par l'Ansej. « Le sens de cette démarche est clair. Pour des motifs électoralistes, et dans l'élan qui a vu le président de la République promettre une nouvelle dynamique du dispositif d'aide à l'emploi de jeunes, ces lignes ont été retenues pour être lâchées au bon moment », dira M. Belhadj, vice-président de l'assemblée, en homme politique qui interprète les faits. Or le hic, c'est que du côté de la direction de l'Ansej, que nous avons contactée à ce propos, il nous a été affirmé que le financement des investissements dans le créneau reste gelé depuis le mois d'avril 1999 au niveau de l'agence. La direction du transport au niveau de la wilaya, dont nous nous sommes dépensés vainement à avoir l'éclairage et les répliques, continue selon la majorité à l'APW (FFS) à se couvrir de l'instruction donnée par le ministère pour fermer la porte à toute nouvelle proposition. Des déclarations de son président avaient même stigmatisé une gestion clientéliste du dossier. Les deux organisations corporatistes pour leur part viennent de se livrer à un âpre échange d'accusations, notamment à travers un débat contradictoire à la radio locale, qui a atterré les citoyens et ouvert la porte à toutes les interrogations. C'est dire combien le malaise est profond et combien l'usager a finalement raison de s'irriter de se retrouver si souvent pris en otage.