Le ministre des Ressources en eau, Abdelmalek Sellal, résume, dans cet entretien, la situation des ressources hydriques en Algérie. Il affirme qu'il n'y aura pas d'augmentation du prix de l'eau pour 2007 et que, même si le prix de l'énergie augmente d'une manière conséquente, la majoration de celui de l'eau ne se répercutera pas sur le petit consommateur. L'Etat, ajoute-t-il, subventionnera aussi l'eau dessalée destinée à la consommation quotidienne. Affirmant que dans plus de la moitié des communes d'Algérie les gens ne payent pas l'eau, le ministre a appelé à une solidarité nationale en matière de payement. L'Algérie, selon lui, a l'avantage d'être indépendante par rapport à ses potentialités hydriques, d'autant plus que 98% de son eau proviennent du territoire national, mais il faut toujours de la rigueur dans la consommation et l'utilisation de l'eau. L'objectif tracé par le gouvernement, explique-t-il, est d'assurer une alimentation quotidienne en eau potable d'ici à l'horizon 2025. Il est revenu également sur plusieurs questions. Pouvez-vous nous résumer la situation des ressources hydriques en Algérie et est-ce que le pays peut assurer sa sécurité en matière d'eau ? D'abord, il faut que tout le monde sache que l'Algérie est un pays semi-aride. Par rapport aux données internationales et celles de la Banque mondiale, nous sommes un pays qui reçoit 600 m3/an par habitant. La norme internationale voudrait que chaque citoyen ait droit à 1000 m3/an par habitant. Nous avons à peu près 19 milliards m3 de précipitation par an. Depuis trois à quatre ans, nous avons mis en place au niveau du gouvernement une démarche visant à mobiliser l'ensemble des capacités hydriques du pays. Jusqu'à maintenant nous n'avons mobilisé que les eaux superficielles à travers certains barrages. Il ne faut pas oublier qu'à l'indépendance, il n'y avait que 14 barrages de petite et moyenne capacités. Nous sommes passés à 47 barrages en 2000. Actuellement nous sommes à 59 barrages et on sera à 69 d'ici à l'horizon 2009 et fin 2010. Donc nous passerons de 5,2 milliards m3 de capacité d'emmagasinement au niveau des barrages à 7,4 milliards m3, ce qui va améliorer la situation. Est-ce que vous pensez aussi à l'exploitation des eaux souterraines ? J'y viens justement. En plus des eaux superficielles, nous exploitions des eaux souterraines pour l'agriculture et l'alimentation en eau potable. Depuis 4 ans, nous sommes passés à une autre démarche qui consiste à exploiter ce que l'on appelle les eaux conventionnelles, à savoir le dessalement d'eau de mer et la réutilisation des eaux usées après épuration pour l'agriculture. Nous voyons, ainsi, que le taux national de raccordement au réseau d'alimentation en eau potable s'améliore d'année en année : il était de 78% en 1999, il est passé à 90% en 2006 et il est actuellement à 92%. Même pour la dotation par habitant qui était de 120 litres en 1999, elle est passée à 155 litres en 2006 et à 160 litres en 2007. La fréquence de distribution au niveau national, sur la base d'eau potable produite, est passée de 45% de la population disposant de l'eau quotidiennement en 1999 à 70% aujourd'hui. Pour la distribution 1 jour sur 2, nous sommes passés de 30% en 1999 à 18% actuellement et pour 1 jour sur 3 ou 4 jours nous étions à 25% en 1999 et nous sommes passés à 12% en 2007... Globalement, la situation tend à l'amélioration, mais ceci ne veut pas dire que la situation est bonne. Nous continuons à penser qu'il faut investir encore davantage dans la récupération des eaux et la réalisation de stations de dessalement. Nous avons actuellement un programme de 13 unités, certaines sont lancées et d'autres sont en cours de lancement pour une production de 2,5 millions m3/jour à l'horizon 2010. Cela va sécuriser l'alimentation en eau potable des villes côtières et particulièrement l'Ouest. Dans cette région nous allons réaliser une méga-unité de dessalement à Marsa El Hadjadj qui va produire 500 000 m3/jour. Par ailleurs, nous devons absolument comprendre qu'il faut veiller à économiser l'eau, parce que si nous ne faisons pas attention nos réserves risquent d'être bousculées. C'est pour cela que la démarche tracée vise à maintenir, quelle que soit l'hypothèse (année sèche ou année moyenne), une alimentation en eau potable des populations jusqu'à 2025 sans problèmes majeurs. Peut-on dire que l'Algérie ne risque pas de subir de nouvelles crises d'eau dans le cas d'une sécheresse ? Il y a quatre ans nous avons connu une grande sécheresse. Mais à l'époque, nous ne mobilisions pas les eaux usées et nous ne faisions pas de dessalement. Maintenant nous avons dépassé ce cap et nous avons mis d'autres moyens. Nous avons de grands projets en cours de réalisation qui vont contribuer à améliorer d'une manière claire, nette et précise la mobilisation de l'eau. Mais il ne faut pas oublier que 65% de nos capacités hydriques sont destinés à l'agriculture. Les 35% restants sont dirigés à l'alimentation en eau potable des citoyens, pour l'industrie et pour les services. Justement, le projet de la mise en place de stations de dessalement coûte cher. La production de l'eau aussi. La question qui se pose est de savoir si le gouvernement subventionnera également l'eau dessalée destinée à la consommation quotidienne des citoyens ? C'est vrai que la production d'un m3 d'eau dessalée coûtera en moyenne 48 DA. Le système qui a été mis en place avec le ministère de l'Energie, à travers Algerian Energy Company qui gère le programme pour notre compte, entre dans le cadre d'un investissement extérieur ou ce que l'on appel le BOO. Ainsi donc, le m3 d'eau dessalée coûte 48 DA et celui de l'eau produite par l'Algérienne des eaux (ADE) 29 DA et le citoyen n'a jamais payé plus de 19 DA. Je vous affirme et je vous confirme que l'Etat continuera à soutenir les prix même pour l'eau dessalée. Le citoyen payera cette eau au même prix que celle produite par les barrages ou les forages. Parallèlement on devra améliorer le facteur de gestion et c'est dans ce but que nous avons introduit la gestion déléguée en faisant appel à des compagnies étrangères pour résoudre les problèmes. Si tous les Algériens payaient l'eau, ça ne coûterait pas trop cher. Le problème de l'ADE, de l'Office national de l'assainissement et celui des organismes producteurs et distributeurs d'eau se pose à partir du moment où beaucoup de citoyens ne payent pas l'eau. C'est pour cela que nous sommes en train de mener une politique de mise en place de compteurs… Certains vous diront que la meilleure manière d'économiser l'eau c'est d'augmenter son prix. Nous pensons que pour augmenter le prix, il faudrait que le service public de l'eau soit continu et permanent. Quand j'arrive à assurer au citoyen un service permanent et régulier, je pourrai lui demander de payer un peu plus cher. Pour cette année on n'envisage pas d'augmenter le prix. Mais si plus tard le prix de l'énergie vient à augmenter d'une manière assez conséquente, il y aura une petite augmentation. En tout état de cause, notre système est fait pour que les augmentations importantes ne se répercutent pas sur le petit consommateur. Nous avons cinq classes de payement. Celui-ci se répercutera surtout sur les grands consommateurs (l'industrie et le secteur des services). Vous avez évoqué la question des gens qui ne payent pas. Avez-vous des chiffres précis et combien ça coûte pour le Trésor ? Jusqu'à l'année dernière, il n'y avait que 26 wilayas qui échappaient à l'ADE. Celles-ci étaient gérées localement. Cette année nous avons engagé une opération pour récupérer tous les services publics de l'eau. C'était des entreprises qui étaient complètement déstructurées et déficitaires (EPDMEA) qui géraient l'eau. Vous savez que jusqu'au début de l'année en cours, dans près de 800 communes, les gens ne payaient pas l'eau ou le font d'une manière dérisoire. En Algérie, il y a 1500 communes, donc il y a plus de la moitié des communes où les gens ne payent pas l'eau ou la payent à des prix forfaitaires. Ça vous donne une idée sur les pertes subies. Pour remettre de l'ordre, il faut du temps. Il faudrait qu'il y ait, un jour ou l'autre, une solidarité nationale en matière de payement de l'eau. C'est la seule manière d'améliorer le service public et de lutter contre le gaspillage. Le Sud est un réservoir énorme d'eau. Y a-t-il une politique visant à exploiter cette ressource et en transférer une partie vers le nord du pays ? Au Sud nous avons deux grosses nappes : l'albienne et l'intercalaire qui est partagée entre la Tunisie, la Libye et l'Algérie et qui va à peu près de la frontière jusqu'à Ouargla. Cette nappe nous l'exploitons à trois et elle est différente de celle qu'on appelle le terminal. La deuxième nappe est plus importante et couvre à peu près 1 million km2 (sous forme de poche). Donc pour la première, ce sont des eaux profondes et chaudes que nous pompons pour la région de Ouargla et Biskra. Là, nous avons un système entre les trois pays, qu'on appelle le SASS (système de l'aquifère du Sahara septentrional de l'Est). C'est un système mis en place il y a maintenant une année et demie et qui nous permet, à travers un comité, de surveiller l'exploitation de cette nappe et la répartition des quotas entre les trois pays. Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas de problèmes particuliers. Pour l'autre nappe, le terminal qui est une eau un peu plus douce, nous avons engagé une étude pour son exploitation. Elle est riche de 30 milliards m3 et si on pompe 600 000 m3/an, nous en avons pour plus d'un siècle. Il n'y a pas de difficultés majeures quant à son utilisation, mais c'est une source qui ne se renouvelle pas. C'est pour cela qu'il faut faire attention et pomper uniquement selon les besoins. Le premier projet qu'on a lancé dans ce sens c'est celui de In Salah-Tamanrasset. Il vise à transférer 100 000 m3/ jour vers Tam pour régler le problème d'eau dans cette wilaya. Revenons à la gestion déléguée de l'eau dans les grandes villes. Comment évaluez-vous l'expérience de Suez et quand est-ce que cette expérience sera généralisée à d'autres villes ? Pour la gestion déléguée, le principe est simple. Il fallait à tout prix introduire un nouveau système de gestion de l'eau pour les grandes villes, parce qu'il y a des déperditions importantes et une gestion anarchique du système. Donc nous avons décidé de faire appel à des entreprises expérimentées pour une mise à niveau en matière de gestion et de management du système de gestion de l'eau. Avec l'eau que nous mobilisons par exemple pour Alger (750 000 m3/jour) il est anormal que nous n'arrivions pas à assurer une distribution H24. Logiquement ça doit se faire. Donc c'est un problème de gestion du réseau. Nous avons fait appel à Suez pour la remise à niveau du réseau, la formation du personnel afin d'arriver, au bout de 3 ans et demi, à donner l'eau H24 à une pression de 3 bars pour que l'eau arrive jusqu'au 28e étage. La première année, c'était une période de mise en place et nous avons remarqué qu'en matière d'eau il y a une amélioration et en matière d'assainissement il n'y a pas eu d'amélioration. Donc nous avons exigé de notre partenaire un changement au niveau de sa direction. Le changement a été opéré. Je peux vous dire que sur la base du rapport que j'ai eu avant-hier (l'entretien a été réalisé jeudi 9 août) du conseil d'administration, les choses se sont améliorées que ce soit pour l'alimentation en eau potable ou en matière d'assainissement. On sent actuellement une meilleure présence. Sur cette base nous avons lancé, à la fin de l'année dernière, un avis d'appel d'offres international pour la gestion déléguée des grandes villes. Plus de 12 entreprises de plusieurs pays ont participé à la consultation. Pour Oran et Annaba nous avons désigné les entreprises. Pour Annaba c'est une entreprise allemande (LCN VACER) et pour Oran c'est une grande entreprise espagnole (AKBAR de Barcelone). Les deux entreprises entameront le travail vers la fin de l'année. Pour Constantine, l'appel d'offres a été refait parce que nous avons considéré que les appels d'offres étaient insuffisants. Au début de l'année prochaine, Constantine aura son entreprise pour la gestion déléguée. Vous avez décidé récemment d'établir une liste noire des entreprises étrangères ayant failli à leur engagement et qui n'auront plus droit à des marchés en Algérie. Où en est-on exactement ? Je ne vous le cache pas, il y a certaines entreprises qui avancent bien et d'autres qui traînent un peu la patte. Nous avons eu deux ou trois petits problèmes avec certaines entreprises. C'est le cas par exemple de la réalisation du projet du MAO. Nous avons été amenés, l'année dernière, à résilier le contrat avec une entreprise allemande. L'appel d'offres a été refait et le projet a été confié à une autre entreprise. Nous avons des retards avec une entreprise italienne. Je peux vous dire que nous avons été durs avec elle, mais nous l'avons dit haut et fort que si une entreprise est défaillante et qu'elle ne fait pas d'efforts pour s'améliorer, nous prendrons les mesures qu'il faut et nous pouvons aller à la résiliation du contrat. Et si ça se répète nous leur interdirons définitivement de travailler en Algérie. Pour le moment, il n'y a rien. Certaines informations rapportées ces derniers jours par la presse ont évoqué un grave scandale financier au niveau de l'Agence nationale des barrages (ANB). Qu'en est-il exactement ? Il n'y a pas de scandale financier au niveau de l'ANB. Il y a eu des insuffisances de gestion il y a quelques années. C'est tout à fait normal. L'affaire a été prise en charge par l'instance compétente qui est la justice. L'affaire est en cours d'instruction. Jusqu'à aujourd'hui je n'ai pas d'information et je ne peux commenter une affaire en justice. Mais ce n'est pas un scandale. Ce sont des problèmes de gestion et c'est la justice qui tranchera s'il y a une intention de nuire. Revenons aux deux barrages de Taksebt et de Beni Haroun. Les citoyens de Tizi Ouzou contestent le fait de n'avoir pas bénéficié des eaux du barrage de Taksebt. Alors que le barrage de Beni Haroun tarde à voir le jour… Le transfert des eaux de Taksebt est un projet qui date de 20 ans. Il devrait être achevé bientôt. Je pense que c'est l'une des victoires du pays. Les travaux avancent très bien. Il y a eu la première tranche qui a été achevée avant les délais et qui a permis d'alimenter en eau la région de Tizi Ouzou à partir du 5 juillet dernier. 14 communes ont été alimentées, soit près de 300 villages (toute la région de Fréha et Azazga, la ville de Tizi Ouzou...). Il y a eu une nette amélioration. Nous avons constaté qu'il y a la région de Azeffoune qui souffre d'un manque d'eau et nous avons décidé de l'ajouter au projet. L'étude a été lancée. C'est le sud de la wilaya de Tizi Ouzou qui a un problème. Mais cette région ne peut pas être alimentée à partir de Taksebt. Elle est prise en charge dans le cadre du grand projet de Koudiat Asserdoune qui sera réceptionné en mars 2008. Les travaux avancent très très bien. Même ceux du transfert ont été lancé. Nous allons irriguer le sud de la wilaya de Tizi Ouzou d'ici la fin de l'année 2008. Pour le plus grand couloir de ce barrage qui va vers Boumerdès et Alger, nous pensons que les travaux se termineront vers la fin février début mars. S'agissant de Beni Haroun (un projet vieux de 27 ans) il a été sérieusement repris depuis maintenant 3 ans. Je peux vous affirmer que l'ensemble des travaux sont terminés. Compte tenu du fait que c'est un des plus grands systèmes hydrauliques qui a été réalisé. Un système compliqué et difficile à gérer. Parce que faire monter de l'eau d'un barrage vers un autre à 800 m à une pression de 80 bars, c'est rare de trouver des systèmes pareils dans le monde. Les essais techniques ont été faits et actuellement nous sommes en phase d'essais industriels. Je peux vous dire que nous serons au rendez-vous à la fin du mois d'août pour envoyer de l'eau sur Constantine. Cela pour la partie nord du système Beni Haroun. Pour la partie sud, c'est le barrage de Koudiat Lemdouar (Batna) qui est rattaché à Beni Haroun. Nous avons mis en service, en juin dernier, le premier couloir qui va jusqu'à Khenchela et El Mahmel. Le deuxième couloir qui va vers Batna et Aïn Touta a été aussi mis en eau depuis le mois de juin. Nous pensons, à la fin de ce mois, atteindre Barika. Il restera le dernier couloir qui va vers Arris qui est prévu pour juillet 2008. Quand on aura-t-on de l'eau 24h/24 ? Notre objectif fondamental pour Alger est d'arriver d'ici à 2008 à distribuer de l'eau H24. La même chose pour Annaba. Pour Oran, nous réaliserons l'objectif après l'installation de l'unité de dessalement (2009).