Alors que l'agence peine à honorer ses engagements vis-à-vis de milliers de clients qui doivent patienter encore jusqu'en 2009 pour acquérir leurs logements, les premiers locataires lancent des « SOS cités en détresse ». Je suis retraité d'un organisme dépendant du ministère de l'Agriculture, mais franchement avec les 9000 DA que je paye chaque mois pour le loyer, cela devient intenable. » Kamel enrage quand il parle de son F4 loué à l'AADL. Lui qui pensait pouvoir enfin profiter de sa retraite après 32 ans de loyaux services et de son appartement flambant neuf, va devoir aller travailler encore… Depuis trois ans, depuis juin 2004 précisément, date de la réception de son appartement, Kamel s'aperçoit que le repos n'est pas pour demain. « C'est très dur de mettre de côté 9000 DA chaque mois, alors que la solde de retraite suffit tout juste à prendre en charge ma petite famille. Je ne savais pas que les prix des produits de large consommation allaient connaître une telle hausse… C'est insupportable ! » Comme lui, ils sont des dizaines de locataires des logements AADL à interrompre brusquement la jouissance de leur retraite et retrousser à nouveau les manches pour nourrir les petites bouches. âmi Rachid, âmi Omar et tant d'autres se débrouillent du mieux qu'ils peuvent pour « normaliser » leur pouvoir d'achat. Si à la réception de leur logement en 2004, ils pouvaient tant bien que mal honorer leurs factures, l'équation devient très difficile à résoudre avec l'envolée spectaculaire des prix. « Expliquez-moi mon fils, comment pourrais-je prélever 9000 DA chaque mois de ma modeste de retraite de 18 000 DA, alors que la pomme de terre culmine à 65 DA ? » âmi Omar, les yeux larmoyants, lève les bras vers le ciel, implorant le bon Dieu de lui venir en aide. Beaucoup comme lui n'ont pas forcément de solution. Ni l'argent pour payer ni les bras pour bosser. Leur retraite se décline comme un long tunnel noir d'où il serait difficile d'en sortir, et au crépuscule de leur vie. Les charges et les décharges L'AADL, qui a été accueillie comme une sorte de justice divine par les damnés du logement en Algérie, tourne au cauchemar. Elle s'avère beaucoup plus chère, beaucoup plus inaccessible, y compris pour la couche moyenne ou ce qui en reste. A la cité des Bananiers, à celle de Ouled Fayet, à Gué de Constantine, à El Achour ou à Bab Ezzouar, la litanie des chikayate (les requêtes) est la même : les factures mensuelles de location sont très dures à supporter. L'AADL pèse trop lourd sur les épaules des bénéficiaires qui ont bien du mal à honorer leur dû et nourrir en même temps « basiquement » leurs familles. Rachid, qui travaille comme chauffeur dans une entreprise privée, a trouvé l'astuce : ne pouvant pas payer les mensualités avec sa modeste solde de 15 000 DA par mois, il décide de sous-louer son appartement et continue à « habiter » sur son lieu de travail... Les charges ? Voilà un mot qui revient comme un leitmotiv dans les bouches de tous les locataires AADL interrogés. En effet, 90% d'entre eux trouvent injuste de payer au moins de 2000 DA de charges, alors que leurs cités sont devenues des décharges… « Mais à quoi servent bon sang ces 2000 DA qu'ils nous extorquent chaque mois, alors qu'il n'y a ni éclairage public, ni gardien, ni ascenseur, ni jardinier, ni femme de ménage. » Abderrazak fulmine contre ce qu'il appelle « des charges sans contrepartie ». « C'est un vol qualifié », pense Mohand, un cadre des impôts, surpris de trouver sa cité à ce point livrée à l'abandon. On dirait que la mission de l'AADL s'est terminée à la remise des clefs, alors qu'elle encaisse abusivement des dizaines de millions de centimes par mois de charges. « A quoi a servi cet argent ! Cela fait trois années que nous vivons ici dans le noir, avec les ivrognes et les drogués, sans que l'AADL ne daigne allumer ces lampadaires installés pour rien ! » Abderrazak ne comprend pas comment une aussi grande cité que celle de Bab Ezzouar II (750 logements), située à un jet de pierre de l'aéroport, ne soit pas éclairée. Il se rappelle qu'en 2005, les autorités locales, Sonelgaz et l'AADL ont allumé « pendant deux nuits » l'éclairage public lors de la visite d'inauguration du présidant de la République. Mais une fois l'opération tadchine terminée sous le regard visiblement satisfait de Bouteflika, la cité El Mossalaha el watania, qui a servi de locomotive sociale au projet politique éponyme, a sombré de nouveau dans le noir… Ouled Fa…illite « Vous vous rendez compte, quand le Présidant est venu, ils l'ont emmené visiter les premières tours dont les artères avaient été tapissées de pelouses ramenées de je ne sais où, alors que nos bâtiments avaient été cachés par un immense portait du Présidant accroché entre deux tours pour ne pas le laisser voir la face cachée et hideuse de notre cité ! Comble de mépris, l'AADL, qui a brillé ici par son absence, s'est permise de débourser 85 millions de centimes pour la confection de ce fameux portrait où est écrit ‘‘Marhaban bi fakhamat erraïs'' (bienvenue à Son Excellence Monsieur le Présidant). » Abderrazak fait partie de ces jeunes cadres qui encadrent la protesta dans les cités AADL. Il a produit des kilomètres de littérature et prononcé des dizaines d'heures de discours de sensibilisation de ses colocataires pour faire bouger les choses. Aujourd'hui, chaque cité AADL dispose de sa propre association de résidants, mais l'agrément fait défaut. En désespoir de cause, certains comités, à l'image de celui de Ouled Fayet, font le pied de grue devant la DG de l'AADL pour être reçus. Cela d'autant plus que les problèmes ne manquent pas : ascenseurs en panne, éclairage public non fonctionnel, absence de gardien d'immeuble et de femmes de ménage, alors qu'une indemnité est imposée chaque mois pour le paiement de ces agents. Ce genre de dysfonctionnements est signalé dans toutes les cités de l'AADL, notamment dans les plus « grosses » comme El Achour, Sebbala, Bab Ezzouar et les Bananiers. Les nouveaux acquéreurs sont souvent stupéfaits de découvrir leur cité dépourvue du minimum vital pour s'y installer : pas de gaz, pas d'électricité et pas d'eau ! La recette de l'AADL pour repousser ses clients semble la même : il faut attendre ! Or l'attente est déjà très longue. La preuve ? Le directeur de la gestion immobilière vient d'annoncer la mauvaise nouvelle : la livraison de la dernière tranche de logements cataloguée dans le programme… 2001 est repoussée à 2009 ! Il faut dire que les délais à l'AADL sont extensibles à souhait. Et 2009 est une date très politique. Il faut en effet réserver une dernière inauguration fastueuse à la campagne présidentielle. Le citoyen, lui, doit attendre. Il a d'ailleurs pris l'habitude de composer dans ces projections avec le calendrier électoral.