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Une histoire croisée
1960 - 1990 : L'immigration vue par la télévision
Publié dans El Watan le 03 - 09 - 2007

La Saga des immigrés dans l'œil de la télévision française. Ce document d'archives — un DVD de 130 mn mis en vente le 5 septembre — réalisé par l'INA, en collaboration avec TV5, est à la fois l'histoire de l'évolution de la télévision et de son traitement de la question de l'immigration de 1960 à 1990. Un document de grand intérêt et d'actualité.
Dans un double documentaire, La saga des immigrés, 2x51 mn, diffusé par France 5 les 19 et 26 février 2007, Edouard Mills-Affif et Anne Riegel retracent 30 ans de présence des immigrés à la télévision à partir des archives audiovisuelles, tous genres confondus (journaux télévisés, reportages, documentaires, débats, variétés, soit plus de 350 heures de programme). Un reportage de Jacques Krier pour le magazine Cinq colonnes à la Une, un documentaire de Coline Serreau et un livret de 8 pages complètent le DVD. Le reportage de Jacques Krier Ouvriers Noirs de Paris pour le magazine Cinq colonnes à la Une, réalisé en 1964 et dont un extrait figure dans la Saga des immigrés « illustre la démarche volontariste de certains auteurs dans les années 1960 d'accorder un droit de parole à la télévision à ceux qui n'en ont pas », précise l'INA. C'est à cette fin qu'une équipe de Cinq colonnes à la Une qu'animait Armand Jammot a enquêté dans des villages africains et dans la région parisienne.
Montrer le vrai visage des immigrés en France
Le documentaire de Coline Serreau, Grands-mères de l'Islam (36 mn, 1979) est construit sur le portrait de deux femmes algériennes. Coline Serreau est l'un des auteurs qui souhaitent « montrer le vrai visage des immigrés en France, loin des représentations qui en sont faites habituellement à la télévision ». « Dans la relation à l'immigré maghrébin, il y a ce passé lointain où l'Islam était vécu comme l'ennemi intime, il y a ce passé récent où la France dominait le Maghreb, il y a le passé plus proche avec tout le ressentiment lié au divorce que les Algériens ont imposé à la France, il y a plus près encore la montée en puissance de l'Islam intégriste, il y a, enfin, ce scandale inouï, ce pied de nez à l'histoire qui fait que les immigrés maghrébins veulent être égaux en droits avec ceux avec lesquels ils sont devenus leurs compatriotes, des citoyens français », soulignent Edouard Mills-Affif et Anne Riegel en conclusion de leur documentaire. Les premières années de cette saga sont celles des conditions de vie misérable des travailleurs émigrés, principalement algériens et de leurs familles dans des bidonvilles insalubres. Après la destruction des bidonvilles, les familles algériennes se retrouvent dans des cités de transit, « conçues comme une mise à l'épreuve, un sas provisoire entre le bidonville et le HLM ». « Puis, le temps des HLM qui se transformeront progressivement en ghettos et qui seront le théâtre de nombreuses émeutes, les dernières étant celles de l'automne 2005. » « 1981, 1990, 2005 : les explosions de violence urbaines se suivent et se répètent depuis un quart de siècle, au rythme d'un embrasement par décennie. Il s'agit d'un cycle, non d'une catastrophe naturelle. Voir derrière la silhouette des adolescents encagoulés, le spectre de l'islamisme radical, permet d'évacuer le problème des relations entre la France et ses immigrés, celui de la France et son héritage colonial », signale l'INA dans une note de présentation.
Germinal aux portes de la capitale
Début janvier 1970, quatre travailleurs africains sont découverts par la police morts, asphyxiés par les émanations d'un poële défectueux dans leur foyer d'Aubervilliers. La France, sous le choc, découvre les conditions de vie de ceux qu'on appelle, à l'époque, les travailleurs étrangers. Le soir de l'enterrement des quatre malheureux, une famille portugaise périt des mêmes causes dans l'unique chambre dans laquelle elle vivait. L'opinion prend conscience que le drame d'Aubervilliers n'est pas un cas isolé. En juin 1969, Jacques Chaban Delmas arrive à Matignon avec un projet « La nouvelle société » et une promesse : plus de liberté pour la télévision. Le ministère de l'Information, symbole de la censure et tutelle politique, est alors supprimé. La liberté de parole fait son entrée à la télévision, liberté illustrée notamment par le magazine Les dossiers de l'écran, animé par Armand Jammot. Dans un débat sur l'immigration, Armand Jammot rappelle que les travailleurs étrangers représentent 80% des effectifs des chantiers de travaux publics. « Pour la première fois depuis les années trente, l'immigration fait l'objet d'un débat public. Personne n'ose contester le caractère indispensable de la main-d'œuvre étrangère », ni que « les immigrés sont un flux vital pour la France, un rouage essentiel de la croissance sans laquelle l'économie ne peut tourner ». La voix de la France Le lendemain, dans l'émission Panorama un Malien témoigne des conditions de vie épouvantables de ses congénères : « On vit comme des bêtes » alors que « nos pères ont péri sous les chars de combat » pour la France. C'en est trop. Dans une conférence de presse, le président Pompidou sonne le glas de la nouvelle liberté de ton de l'ORTF : « Etre journaliste à l'ORTF ce n'est pas la même chose qu'être journaliste ailleurs… C'est la voix de la France, c'est considéré comme tel à l'étranger et par le public ». Jugé trop indépendant, le magazine Panorama sera supprimé dans les mois qui suivent. « Retour à l'ordre et aux écrans sous contrôle. La parenthèse de la libéralisation de l'ORTF n'aura duré qu'une année. » Dans les années 1960 et au début 1970, les magazines politiques pouvaient traiter des sujets politiques sensibles, alors que le JT était soumis à contrôle. Cinq colonnes à la Une filme, en 1960, les stigmates de la misère dans un bidonville de Nanterre où vivent 3000 immigrés, majoritairement algériens. En mai 1963, Alain Peyrefitte, ministre de l'Information impose une nouvelle émission d'actualité 7 jours dans le monde » pour contrer l'indépendance éditoriale de Cinq colonnes à la Une. « Le général de Gaulle attend que le petit écran soit un reflet fidèle de sa politique. »
Les désirés et les indésirables
Dès 1963, l'obsession du pouvoir politique est de stopper le flux d'immigration en provenance d'Algérie et autres ex-colonies pour favoriser l'immigration européenne. « Les désirés et les indésirables. » « Les uns peuvent rester, les autres doivent repartir. » « Telles sont les recommandations de la Voix de la France pour une saine politique de l'immigration soucieuse de l'intérêt général et du bien-être des immigrés eux-mêmes. » 1973 marque un grand tournant , c'est l'année de la sortie de l'ombre des immigrés. Des OS de Renault réclament « à travail égal salaire égal », d'autres immigrés font la grève des loyers, on assiste à une mobilisation pour la légalisation des sans-papiers. Dans les années 1970, c'est toujours l'exemple algérien que l'on choisit pour illustrer le problème de l'immigration. Le 27 mai 1974, Valéry Giscard d'Estaing est élu à l'Elysée. La réforme de la télévision est l'un de ses premiers grands chantiers. L'ORTF est démantelé et trois chaînes de télévision sont créées. « Le téléspectateur assiste à l'affrontement de deux conceptions de la télévision. » Sur Antenne 2, deux journalistes éjectés de l'ex-ORTF donnent la parole à « ceux qui ne l'ont pas », dans une émission appelée 16 millions de jeunes. Une autre manière de filmer est adoptée, la caméra n'est plus sur pied, mais à l'épaule pour suivre l'interlocuteur. La télévision est utilisée comme « un outil d'expression directe ».
Une intégration à géométrie variable
« Au début des années 1980, la TV proclame la fin des travailleurs immigrés mais ouvre l'antenne à leurs enfants. En septembre 1981, ces derniers accèdent à La grand-messe du 20 h par le biais des émeutes de la banlieue lyonnaise. « A la volonté de connaître cette jeunesse », « qui réclame justice » « se mêle le sensationnel », avec des reportages aux « images choc », des « voix d'outre-tombe annonçant une guerre civile ». « Plus que de grands discours, ces enfants d'immigrés ont fait passer une idée, celle de la tolérance, de la coexistence entre des personnes différentes, ils ont fait effacer Dreux (première victoire du Front national aux municipales, ndlr) », mais demain ni Dreux, ni Paris (arrivée le 23 octobre 1983 de la « marche pour l'égalité et contre le racisme » à l'initiative d'une poignée de jeunes des Minguettes, en banlieue lyonnaise et qui a réuni au final de centaines de milliers de personnes) ne doivent être oubliés », a commenté le journaliste Paul Lefèvre sur Antenne 2. Et pourtant ! C'est en 1989, après l'affaire des foulards de Creil (les trois adolescentes qui avaient refusé d'enlever leur foulard à l'école) que « pour la première fois, on s'interroge à la télévision sur la définition du mot intégration. Une intégration à géométrie variable, le coût d'entrée n'est pas le même selon que l'on s'appelle Pablo, Joaquim ou Rachid. »


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