EL Watan : Que pensez-vous de la faiblesse de l'intervention du cinéma documentaire dans le domaine de l'histoire ? Lyazid Khodja : Le cinéma documentaire a tellement pris de poids dans le monde, ces dernières années, qu'on le trouve au Festival de Cannes en compétition avec les plus grandes machines de films américains avec les acteurs les plus prestigieux. Des documentaires qui souvent gagnent plus la faveur du public que des films de fiction. C'est le cas des documents de Michael Moore (1), originaux par la lecture qu'ils proposent des différents maux dont souffrent les Etats-Unis d'Amérique ou un certain nombre d'autres films du même genre. La deuxième constatation, c'est que le documentaire a jusque-là eu du mal à se placer dans le cinéma, toutefois, depuis l'explosion du domaine télévisuel et la multiplication des chaînes thématiques, on assiste au développement remarquable du film documentaire sous toutes ses formes, particulièrement historique. Il est à la base d'émissions de débats, des chaînes entières lui sont consacrées. Hélas, chez nous, il a du mal à embrayer. Est-ce à cause du discours politique qui ne lui laisse pas beaucoup de place ? Est-ce dû à la censure qui réduit ses espaces d'intervention ? Peut-être aussi l'accès difficile tout autant que restreint aux archives ? En Algérie, par-delà les conditions contraignantes, le cadre démocratique général est également défavorable. Je veux dire qu'un documentaire constitue en lui-même un cadre démocratique. Il est concevable selon différents points de vue. Il est la confrontation de différents éclairages d'une même réalité. Des points de vue en contradiction les uns avec les autres s'y côtoient. Sans doute, l'élargissement du contexte démocratique général serait susceptible de favoriser ce genre cinématographique. Ce qui à mon avis militerait actuellement en faveur du documentaire serait la multiplication d'écrits, d'ouvrages sur l'histoire algérienne. La aussi, on est tributaires d'éléments essentiellement étrangers. Cependant, depuis que les acteurs majeurs de la guerre de Libération nationale sortent de l'ombre, depuis que les historiens algériens commencent à s'affirmer, ce sont des facteurs favorables qui permettront à terme au documentaire historique de trouver la place qui lui revient. Jusque-là, les documents étaient des programmes d'accompagnement pour des émissions de télévision. Ils se tenaient loin de la confrontation des idées. Quelle est selon vous la carrière d'un documentaire comme le vôtre ? A mon avis, ce qui a permis au documentaire de se développer c'est la télévision. C'est le média le plus approprié pour une large diffusion. L'idéal est bien entendu qu'il passe avec des invités qui donnent l'occasion aux auteurs, aux historiens, aux militants de l'époque, de préciser leurs idées, d'établir des liaisons qui ne sont pas faites, éclairer les zones d'ombre. Dans un premier temps, nous allons essayer de le projeter à travers quelques salles à l'occasion de débats, comme contribution à la lecture de l'histoire de la société civile et ses différents courants. Puis sous la forme de DVD. Cela permettrait de donner un plus grand espace aux interviews réalisées et de les présenter dans leur intégralité. Car quand on filme deux heures avec Akkache ou Bourouiba, il n'y a qu'un tiers au maximum qui peut être utilisé dans un métrage de 52 minutes. Pensez-vous qu'un documentaire historique tel que le vôtre et par extension un documentaire qui traite de l'histoire de l'Algérie peut prétendre à un exploitation internationale ? On a une expérience concrète avec les événements qu'ont connus les Algériens ces dernières années avec la menace du projet théocratique, faire des films de fiction était long et difficile et beaucoup se sont intéressés à des documentaires sous la forme de reportages, d'intervention sociale, des réalisations rapides qui permettaient d'éclairer tout ou une partie du problème. Tous les efforts faits en direction des chaînes françaises, par exemple, ont été pratiquement vains. Toutes les télévisions vous tiennent le même discours celui de la ligne éditoriale. A notre demande de nous accorder l'opportunité d'exposer notre point de vue, ces médias nous répondaient que « la chaîne a sa ligne éditoriale et par conséquent, ce sont ses personnels qui conçoivent et tournent le sujet ». Dans le meilleur des cas, ils ont pris des petites sociétés locales comme relais, pour qu'elles leur fassent faire le travail en raison des dangers. » Eux se chargeant d'organiser les matériaux et construire le discours comme, semble-t-il, leur ligne éditoriale l'autorisait. D'un autre côté l'ENTV a aussi, comme les autres, sa ligne éditoriale… Très peu de personnes dans le monde du cinéma ont suivi la restitution d'un certain nombre d'archives à la Télévision nationale. En outre, ne serait-il pas utile qu'on crée un organisme qui se chargerait de collecter ces archives parce qu'il n'y en a pas qu'en France ? Ce qui était intéressant avec l'Institut national de l'audiovisuel (INA) français, ces dernières années, c'était l'accessibilité à la plupart des documents dont nous pouvions visionner des extraits grâce à Internet. Nous avions le temps de choisir. Les documents en question étaient répertoriés, organisés, référenciés, parce que la documentation doit être avant tout suffisamment bien classée pour que l'utilisateur puisse s'y retrouver, s'il faut mettre des mois pour retrouver une image, cela n'a pas de sens. Il y avait l'accessibilité. Restait le problème du coût. D'un point de vue que je qualifierai de moral, nous avons évoqué avec la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI) la question de la propriété des droits de l'image. Les documents, l'image de notre histoire, de nos parents, de nos pays, filmés par l'occupant colonial ou durant l'occupation, seraient une sorte de copropriété sur les droits puisqu'on peut réclamer des droits sur sa propre image. En bref, le passage des copies de ces archives à l'ENTV est une bonne chose en soi, dans la mesure où nous retrouvons la même qualité de classement, la même accessibilité aux documents, la liberté de choisir mais également si le prix est moindre que celui pratiqué jusque-là par l'INA. Sinon, je ne vois pas l'intérêt. J'avoue que l'Association des réalisateurs ne s'est pas encore prononcée sur cette information. Il y a eu peu de commentaires parce que personne n'a été regarder de plus près ce qu'il y avait derrière cette annonce qui était attendue depuis un certain nombre d'années. NDLR : 1 - Bowling for Columbine - (2002) Prix du 55e Festival de Cannes. Ce documentaire s'inspire du massacre par deux adolescents de 13 personnes à la Columbine High School. Farenheit 9/11 - (2004) Brûlot contre G.W. Bush dans lequel Michael Moore dénonce les relations entre la famille du président avec Ousama Ben Laden et les prétextes de la diplomatie américaine pour justifier à l'invasion de l'Irak.