« Moins on ment, mieux on se sent » Dicton paysan Ça y est, la date fatidique est arrivée. Suivant la loi 05-12 du 04 août 2005, relative à l'eau, l'extraction et donc l'utilisation du sable des lits des oueds est interdite. Un sursis n'excédant pas deux années à partir du 4 septembre 2005 (article 14) a été aménagé. Cette disposition a été rappelée et confirmée lors de la réunion en date du 25 février 2007 de la Commission technique permanente (CTP) du secteur du BTPH, regroupant essentiellement les représentants des ministères de l'Habitat, des Travaux publics, de l'Hydraulique et des organismes de contrôle technique. Elle a été confortée, lors de cette réunion, par la présence des 3 ministres du secteur du BTPH et par l'instruction interministérielle portant sur les spécifications techniques relatives aux sables de concassage datée du 25 février 2007. Le pied dans le plat En d'autres temps plus favorables, j'aurais considéré ce sujet d'une façon plus technique, plus professionnelle, et, comme ce n'est pas le cas, je me contenterai d'en cueillir l'écume et ce qu'elle charrie. Das ist verboten ! Je ne sais pas si cette interdiction sera un panneau indicateur, un slogan ou constituera un véritable mur. En effet, déjà à ses débuts, l'organisme CTC, une fleur à sa boutonnière, avait voulu brasser large, en essayant de mettre en place toutes « les bonnes règles » pour les principaux matériaux : les carrières de granulats (précédemment agrégats et anciennement graviers), les cimenteries (à travers le module de finesse, le temps de prise, etc. ), les aciers à béton (rupture en traction , pourcentage de carbone, etc). Lorsqu'il préconisa des filtres, des stations de lavage et de dépoussiérage, il s'entendit répliquer : « Les filtres ? Quels filtres ? On n'a pas besoin de filtres ! ». Les réticences furent si grandes y compris de la part des pouvoirs publics que cela n'alla pas plus loin. De même, lors de l'application des « dispositions provisoires à inclure aux calculs vis-à-vis du séisme », à partir de 1975 , certains opérateurs tentèrent des démarches pour « négocier à la baisse » les coefficients de calculs sismiques. Ainsi, les griefs vis-à-vis des recommandations et des positions du CTC s'accumulèrent tant et si bien qu'un jour, à la veille du séisme d'El Asnam, un directeur central du ministère de l'Habitat me chuchota sur un ton plaisantin : « Le CTC est pire que le séisme » et ce qui advint… arriva, la réponse fut donnée à tout le monde, un certain 10 octobre 1980. Pour revenir à notre sujet qui est le sable, cette interdiction d'utiliser les sables des oueds, des plages (théoriquement interdits depuis longtemps) et des dunes en bord de mer, risque de détériorer d'avantage la situation qui prévaut dans le domaine. En effet, si l'on examine de plus près les granulats que produisent nos stations de concassage, on y verra pour « les graviers » essentiellement des plats, des aiguilles et des « langues d'oiseau » néfastes pour confectionner un béton performant et alors que le coefficient de forme est de 0,35. Il en est de même pour le sable issu du concassage des roches, « produit secondaire » des stations, il accumule les poussières et fines sans compter, parfois, des langues d'argile, ceci tant que ce produit ne transite pas par des chambres de dépoussiérage et de lavage. Comme il n'y a pas, à ma connaissance, de services de contrôle de la production des stations de concassage et que la demande dépasse a priori l'offre (et ce déséquilibre augmentera avec les nouvelles dispositions) tout se vend, tout se consomme. Si l'on tient compte de la préservation de l'environnement (c'est indispensable), cette situation ira en s'aggravant car, il faut le dire et redire, tous « les producteurs » comme les utilisateurs, d'ailleurs, n'ont aucune culture de cet environnement. La station de concassage de Sidi Lekbir, sur les hauteurs de Blida, n'a-t-elle pas été fermée, il y a quelques années, pour des raisons de pollution et tout le monde connaît l'état de l'environnement autour des cimenteries. Et dire : qu'au Japon, vous pouvez pique-niquer à 100 mètres d'une cimenterie, qu'aux Etats-Unis, on commercialise dans les grandes surfaces et les magasins spécialisés, depuis les années 1970, les ingrédients pour béton ou mortiers par sacs de 25 ou 50 kg hermétiquement fermés, il suffit d'ajouter la dose prescrite en eau, que dans beaucoup de pays soucieux de leur environnement et de la rentabilité, le recyclage des matériaux, pour en faire en particulier du sable, est devenu une activité ordinaire depuis des décennies. Ce sable recyclé est convenable pour tous les travaux dits secondaires (maçonnerie, enduits, revêtement, etc.). Depuis le séisme de Zemmouri, en mai 2003, qu'a-t-on fait des gravats de démolition évalués à des millions de tonnes ou de m3 ? Personnellement, je n'ai pas eu vent d'une quelconque opération de recyclage de ces gravats ; ils ont été certainement « enterrés » à proximité de leurs victimes ; ce qui serait le comble du comble. Et puis, il faut le dire, les habitudes pour utiliser le béton, et donc le sable, se sont généralisées. Le sable est utilisé tous azimuts pour les enduits extérieurs et intérieurs (le plâtre étant de plus en plus boudé malgré ses qualités et ses performances). L'utilisation de la chaux hydraulique naturelle (CHN) a pratiquement disparu alors qu'elle est recommandée pure (sans ajout de ciment) pour les mortiers de réhabilitation et de rénovation des ouvrages anciens. Elle apporte souplesse (pas de fissures en faïençage), meilleure isolation thermique et étanchéité, malgré sa lenteur de prise et de durcissement. De même, les mortiers appelés communément bâtards (mélange ciment + chaux hydraulique naturelle + sable) ont disparu des CPS (cahiers de prescriptions spéciales). Et puis, ce qu'on n'ose pas « dévoiler » est que le prix de vente de cette CHN est 3 fois moins cher que celui du ciment. L'adoption d'ossatures lourdes par coffrages tunnels, tables et banches et tous voiles dehors augmente les quantités nécessaires de béton et donc de sable. Une réflexion sur certaines substitutions : ossatures métalliques, structures mixtes, matériaux locaux, etc. devrait être initiée (maintes fois recommandée). La rareté ou la pénurie de ce sable artificiel va faire baisser la qualité et augmenter en exponentielle les prix d'acquisition par les utilisateurs à l'image des ciments (gris et blanc) dont les prix ont atteint le firmament. Ces ciments sont mis en sacs à 2 feuillets alors que, naguère, les sacs comportaient 6 feuillets. Ce qui fait que ces sacs s'éventent et s'éventrent. Décidément, le tubercule (alias batata) aura fait bien des émules. L'article 14 de la loi 05-12 du 4 août 2005 relative à l'eau et les recommandations et les spécifications techniques interministérielles du 25 février 2007 ne disent mot sur les sables intérieurs (gisements et régions du Sud). Ainsi, le sable jaune dit de Bou Saâda (une espèce de farine) sera davantage utilisé pour la confection de bétons, ce qui serait, à mon sens, « une hérésie » vu les résistances attendues de ce béton. Mais il ne faut pas se méprendre sur toutes ces observations, car je n'ai pas l'esprit nihiliste et après les recommandations, durant mes fonctions, voici ce que je signalais, à ce propos, dans une contribution transmise au le ministre de l'Habitat, en mars... 1994 (1) : « Sable : faute de disponibilité et suite aux interdictions de dénaturer davantage les plages, après avoir raclé les fonds des oueds, les entreprises ont tendance à utiliser de plus en plus du sable ayant des impuretés, donc théoriquement impropre à la construction. Une solution à ce grave déficit consisterait à la production de sables artificiels de carrière (issus du concassage des roches). Granulats (agrégats) : de façon moins aiguë que pour le sable, les granulats de qualité se font de plus en plus rares. On gagnerait à ouvrir des exploitations de nouveaux gîtes en prévoyant des équipements adéquats pour respecter les calibrages, l'élimination des impuretés (poussières et argiles). En somme, comme on dit dans notre contrée « Javdhad amrar yadad oudhrar » (j'ai tiré sur la corde et la montagne est venue avec). Retour de flamme En nous plaçant dans ce nouveau contexte, il apparaît évident que l'arrêt d'utilisation des sables naturels (les sables des zones désertiques n'étant pas appropriés) va occasionner un « rush » sur le sable de concassage. Cette pression sur la demande va inciter les producteurs à essayer de répondre à « l'emporte-pièce » sans se soucier de la granularité et du pourcentage de fines. De même, l'utilisateur du sable et même des graviers (les entreprises et artisans de travaux) en face de ce « manque », des coûts inouïs des matériaux de qualité, aura tendance à accepter, à utiliser ou même à substituer les granulats (sables et graviers) de piètre qualité sinon inacceptable. Le service chargé du contrôle et du suivi des travaux ayant lui aussi le souci de la « marche en avant » ne pourra qu'acquiescer. Il serait prétentieux d'affirmer que conformément à l'instruction interministérielle du 25 février 2007, l'entreprise ou même le service chargé du suivi teste systématiquement tout arrivage de sable sur le chantier (l'approvisionnement se faisant très souvent de différentes stations de concassage suivant la disponibilité), à l'aide d'éprouvettes étalonnées pour déterminer l'équivalent du sable adéquat (80 à 85) et de même vérifier que la granulométrie s'inscrit dans le fuseau de référence. D'ailleurs, à « l'époque » où le sable naturel était généreux en qualité et en quantité, les résistances des bétons confectionnés et mis en place étaient toujours en deçà des valeurs nominales de référence et de calcul.A ce titre, il est utile de rappeler que lors du séisme de Zemmouri, les résistances de béton déterminées par les prélèvements de carottes se situaient entre 14 à 17 MPA, au lieu des 25 à 35 MPA requis. Le risque est donc que les bétons soient encore moins performants bien que le sable de concassage ait une meilleure granularité (continuité dans la progression des diamètres des grains de 0,1 à 4 mm). Et l'on pourrait, ainsi, imaginer dans un scénario catastrophe, à l'image de ce que nous avons constaté lors du procès sur le séisme de Zemmouri, en regroupant « au garde-à-vous » les protagonistes dans l'acte de bâtir. A ce sujet, loin de moi tout mauvais préjugé ou médisance. Le producteur de granulats « Notre unité produit et commercialise des sables et graviers sans savoir dans quels ouvrages et conditions ils seront utilisés. » Le fournisseur : « Notre rôle est de transporter et de mettre à la disposition de l'entreprise les granulats dont elle a besoin. » L'entreprise de travaux : « Nous avons utilisé les matériaux de ce producteur de granulats, il lui appartenait de se conformer aux qualités requises en la matière. » Le service contrôle et suivi : « Nous avons autorisé l'utilisation de ces granulats car il y a pénurie et la qualité est la même chez tous les producteurs. » Le contrôleur technique : « Nous avons noté des insuffisances par rapport aux normes et à la réglementation, aussi avons-nous porté des réserves qui seront communiquées à la société d'assurances. » Finalités ? On mesure à quel point la confection et la mise en œuvre des bétons sont l'œuvre de personnes humbles, très souvent sans formation ni expérience et qui, même encadrées par un responsable et un service de contrôle et suivi, se retrouvent à se débrouiller seules, car ces derniers eux-mêmes sont mal formés et sans attention. Dans ce cas, il est impératif de faire appel à des techniciens hautement compétents, consciencieux, aguerris, professionnels, objectifs, honnêtes dans l'âme, sans peurs et sans reproches. Pour cela, il faudra y mettre le prix, lequel prix viendrait de l'économie des égarements en amont et en aval.