Les expressions visuelles ont investi avec passion le Sahara, lequel donne beaucoup à voir pour peut-être mieux se cacher. Assimilé de manière erronée au « vide » ou au « néant », le désert est un monde infiniment riche et vivant. Cette vérité vaut aussi pour les arts visuels. De tous les endroits d'Algérie, le Sahara est, en effet, le seul à avoir produit et laissé une riche représentation de son univers, de sa vie quotidienne et de ses habitants. Ses innombrables peintures et gravures rupestres, remontant à plus de 10 000 ans, constituent de fait un des plus grands musées au monde à ciel ouvert. Aussi, indiscutablement, le Sahara est une « terre » d'art qui offre, en plus de son spectacle naturel inouï, une profusion d'images et de symboles. Cela explique en partie pourquoi le mouvement Aouchem, créé en 1967, et qui s'engageait dans une expression moderne s'appuyant sur les signes traditionnels, a souligné dans son manifeste la référence au patrimoine du sud algérien. Le document affirme ainsi : « Aouchem est né, il y a des millénaires, sur les parois d'une grotte du Tassili. II a poursuivi son existence jusqu'à nos jours, tantôt secrètement, tantôt ouvertement, en fonction des fluctuations de l'histoire. » Quand on s'interroge aujourd'hui sur la présence du désert dans l'art algérien, on se rend compte que sa thématique demeure influente sur les peintres, quelle que soit leur obédience artistique. Il y a d'abord ceux qui s'inscrivent dans l'art figuratif. Dans cette catégorie, domine une veine influencée par l'orientalisme, « cartes postales » d'un Sahara fantasmé qui trouve preneur chez des acheteurs peu avertis ou friands de sous-orientalisme. A de rares exceptions, comme chez Hocine Ziani, la qualité n'est pas au rendez-vous. Sur le plan éthique aussi, ce type de peinture pose de nombreux problèmes. Plusieurs de ses tenants n'ont jamais mis les pieds au Sahara. Ils travaillent à partir de leur propre imagination, ce qui est acceptable, mais aussi de photographies, voire de tableaux d'orientalistes reproduits ou transformés. S'il est indispensable de critiquer la nature du regard que jetaient les orientalistes sur la réalité algérienne, on ne peut que louer leurs qualités artistiques. Jean Taupin, Pierre Eugène Clairin, Beaucé ou Jean Bouchaud ont laissé ainsi des œuvres admirables sur les paysages ou la vie à Bou Saâda, Laghouat, Ghardaïa ou le Hoggar. Il y a ensuite les peintres qui s'inscrivent dans des approches non figuratives, symbolistes ou résolument abstraites. Parmi eux, la démarche dominante demeure essentiellement celle prônée par le Groupe Aouchem et le recours aux signes et motifs du Sahara. Ainsi, Zohra Hachid-Sellal a exploré avec passion les thèmes des fresques du Tassili dans des compositions modernes. Parmi les artistes particulièrement sensibles au Sahara, citons aussi Omar Meziani, Mourad Kebir et Mohamed Guesmia qui ont effectué plusieurs séjours au Sud à la recherche de nouvelles interactions avec leurs créations. Guesmia a fini, d'ailleurs, par s'installer définitivement à Timimoum. Les élans des peintres non figuratifs à l'égard du Sahara montrent toute la difficulté d'une création qui nécessite une réflexion intérieure intense. Comment se débarrasser des clichés puissants qui entourent le désert ? Comment ne pas céder à la tentation de l'instrumentation de motifs parfois rabâchés ? Comment, enfin, produire un langage pictural moderne en l'alliant au désir d'authenticité ? C'est là une aventure ardue et risquée au plan artistique et ceux qui l'ont entreprise ont déjà le mérite de l'avoir engagée. Il est à noter aussi que le Sahara compte peu de peintres « de recherche » et on serait bien en peine d'en citer, hormis peut-être celui de Mohamed Bakli qui, à Ghardaïa, produit une peinture abstraite, empreinte d'une certaine mystique du désert. La photographie également s'est fortement attachée au désert. Là aussi, les risques d'exotisme existent. Ils sont même décuplés par la profusion d'images à visées touristiques qui créent un parasitage énorme de la représentation du désert. En dépit de cet écueil, rares sont les photographes algériens qui n'ont pas investi ce « champ » où l'originalité demeure très difficile. Il y a, parmi les plus anciens, Khellil qui continue à tenir sa galerie-boutique à la rue Didouche Mourad à Alger, avec ses merveilleuses photos en noir et blanc. Parmi les plus jeunes photographes, plusieurs ont cédé naturellement à la fascination du désert. On peut citer ainsi Yacine Ketfi, Kays Djilali, Ben, Farida Sellal et quelques autres encore pour lesquels la thématique saharienne constitue une inspiration privilégiée. Dans la bande dessinée, Sid Ali Melouah, qui nous a quittés cette année, avait signé un album mémorable, La Secte des assassins, dans lequel il revisitait le mythe de Tin-Hinan. De ce survol de différentes disciplines, il apparaît que le désert exerce une force d'attraction puissante sur les créateurs d'images. Son patrimoine et sa réalité constituent un réservoir visueal aussi étonnant qu'immense. Mais il porte en lui, plus que tout autre sujet, l'illusion du mirage. La beauté offerte naturellement et à dose massive peut paralyser la recherche et même aveugler.