L'égalité homme/femme au sein des relations maritales, vécue dans la réciprocité de la vie affective et des sentiments partagés, suppose un choix librement consenti et plaide donc pour la stricte monogamie. L'affirmation de cette conviction désigne donc, a contrario, la tétragynie (1) coranique comme un obstacle majeur à des relations conjugales harmonieuses et équilibrées. Objet de tous les fantasmes, la polygynie a eu et a encore, dans le monde islamique, un impact sur les consciences et les mœurs difficiles à évaluer. Il est temps de finir avec une pratique éculée. Aussi, la démarche vers l'instauration de la monogamie stricte trouve-t-elle son origine dans la pensée religieuse moderne. Elle engage la recherche de l'équité au cœur de ce qui constitue, dans le texte coranique, le fondement de l'autorisation conditionnelle de la polygamie. Tout tient à la lecture d'un verset, qui intervient dans le cadre de la prise en charge des veuves et des orphelines : « Et, si vous craignez de ne pas être justes envers les orphelins, il vous sera possible d'épouser parmi celles qui vous plairont, une, deux, trois, ou quatre femmes. Mais si vous craignez de ne pas les traiter avec équité, n'en épousez qu'une seule… C'est la conduite la plus proche de la Justice. » (2) Selon que l'on s'arrête à l'autorisation première ou au terme second du verset qui en édicte les conditions draconiennes, on en déduira soit un droit « ouvert », dans une mauvaise foi évidente, soit l'encouragement à une stricte monogamie, fondée sur le souci d'équité. Etre équitable doit se comprendre tant sur le plan matériel que charnel et tout autant qu'affectif, ce qui bien évidemment rend cette réalisation impossible. C'est pourquoi le Coran ajoute : « Dieu n'a pas placé deux cœurs dans la poitrine de l'homme. » (3) Il ne s'agit en aucun cas d'une prescription, il ne s'agit pas non plus d'un droit absolu aux hommes de contracter autant de mariages qu'ils le veulent, pour peu qu'ils restent dans la limite de quatre épouses, avec le jeu capricieux, pervers et sordide des répudiations et divorces. Il s'agit de limiter en régulant une pratique anarchique de la polygamie qui était partout la règle sans qu'aucune loi la codifiât, en accompagnant cette transformation culturelle par une pédagogie graduée. La précision est fondamentale. C'est dans un contexte historique, géographique, socioéconomique, militaire et culturel de l'Arabie au VIIe siècle qu'est révélé ce verset pour traiter à la fois des problèmes relatifs aux orphelines, aux veuves et aux esclaves. Il n'établit aucune norme à caractère universel. De fait, l'incapacité d'assurer aux coépouses un égal traitement, est proclamée avec force, quelques versets plus loin, dans le corpus coranique : « Mais vous ne pouvez jamais être équitables entre vos femmes, même si vous en êtes soucieux et le désirez ardemment. » (4) Un homme croyant, sincère, pieux et intelligent à l'âme probe et droite considérera cette question in globo. Il s'interdira, au nom même du Coran à l'enseignement duquel il adhère, toute partialité de nature à laisser l'épouse défavorisée comme en suspens. Certes, le discours coranique adopte un style sibyllin, mais en faire une lecture parcellaire hors contexte et conclure, hâtivement, à un appel, même alambiqué, en faveur de la polygamie n'est pas une attitude sérieuse de croyant. Un croyant consciencieux qui se fonde sur une référence scripturaire, ne la plie pas dans le but d'y projeter ses fantasmes et ses appétences. Ce ne sera qu'une volonté d'assouvir un désir libidineux en recherchant la caution du Texte. Sous prétexte d'obéissance à la Révélation, l'instinct masculin des jurisconsultes trouvait son compte, tant il est confortable pour eux de se draper dans de louables intentions, dans un double accomplissement : l'assouvissement de désirs charnels et la soumission à l'impératif de charité due aux veuves et aux orphelines. Alors que la lecture globale de l'ensemble des passages relatifs à la polygamie rend celle-ci tout simplement irréalisable. 1. La tétragynie est la polygamie à quatre épouses. 2. Coran, Sourate 4, Les femmes, verset 3. 3. Ibid. Sourate 33, Les coalisés, verset 4. 4. Ibid. Sourate 4, Les coalisés, verset 129.