Après une journée particulièrement fraîche et pluvieuse, un soleil timide daigne réchauffer Namur. Mais ce qui éclaire vraiment cette troisième journée du Festival est une comédienne : Sandrine Bonnaire, présente à cet événement en tant que réalisatrice de sa première œuvre. Un documentaire poignant. Je m'appelle Sabine est un 85mn sur la sœur de l'actrice. Sabine est atteinte d'une forme d'autisme et soignée aux neuroleptiques, 5 années d'internement dans un hôpital psychiatrique l'ont rendue quasiment méconnaissable du point de vue du comportement et du mental. Dans le film, il y a l'avant et l'après. Des photos et des vidéo montrent une jeune femme belle et pleine de vie. Sabine jouait du piano à la perfection, sortait en mobylette, voyageait…Mais lorsque ses troubles se sont accentués et qu'elle devint violente, donc dangereuse pour elle-même et pour son entourage, il a fallu l'hospitaliser. Faute de trouver des structures adaptées à ce genre de handicap, elle se retrouve dans un hôpital psychiatrique, pendant cinq ans. Jusqu'à ce que sa famille lui trouve un centre spécialisé où elle est actuellement prise en charge. Les images récentes montrent une femme totalement différente. Transformée par les neuroleptiques, Sabine a perdu toutes ses capacités et doit tout réapprendre ; même les choses qu'elle connaissait déjà. Le documentaire est chargé d'émotion, mais ne déborde ni sur le voyeurisme ni sur l'apitoiement. Sandrine Bonnaire qui a tourné 90% des images, a un lien direct avec sa sœur pendant le tournage, on l'entend lui parler et on la voit à deux reprises dans le champ. Ce qui confère au film un côté très naturel, un peu comme une vidéo de famille sans autre objectif que de garder des souvenirs. Après un générique simple, mais parlant, le film démarre sur un premier plan serré sur la Sabine d'aujourd'hui. Une image qui plonge le spectateur directement et même crûment au cœur du sujet, face à une douloureuse réalité. C'est exactement ce qu'a souhaité la réalisatrice qui expliquait, dimanche après-midi, lors d'un point de presse, qu'elle voulait un rapport direct et naturel avec sa sœur et qu'elle arrêtait la caméra lorsque la situation le nécessitait, « quand je ne voulais pas montrer quelque chose, ou quand je ne voulais pas voir. Je composais selon les situations et j'essayais de ne pas être contraignante vis-à-vis des autres malades ». Les moments les plus difficiles ? Le montage, assure la réalisatrice, « on passe par des tas d'états. Certaines images m'ont fait pleurer ». Ses motivations ? Parler de sa sœur : « Je voulais le faire en 1997, à sa première année d'internement. Elle avait été marquée physiquement et cela me rendait triste. Mais j'avais peur que ce soit mal perçu. Et en 2001, lorsqu'elle a été prise en charge dans ce centre adapté, j'ai été confrontée aux autres familles dans le même cas que nous et j'ai décidé de faire ce documentaire ». Pour Sandrine Bonnaire, ce film est une démarche politique et militante pour dénoncer le manque de structures spécialisées, qui ne ressemblent pas à des hôpitaux. Les retombées commencent déjà à se faire sentir : « J'ai écrit à Sarkozy (président français, NDLR) et je lui ai demandé de voir mon film et de nous rencontrer. Cela s'est fait. Il m'a mise en contact avec le ministre du Travail, puis avec d'autres responsables et des idées de projets ont été lancées. Reste à attendre les financements ». Dans le tournage, il y a eu des moments joyeux et d'autres moins. Quant à l'avis de Sabine, sa sœur explique : « Elle était la première à le voir, j'avais organisé une projection pour elle et ses amis du centre. Sa réaction ? Elle faisait des commentaires et était très amusée de ses crises de violence. Elle m'a demandé un DVD et elle le regarde tous les jours. C'est pour ma famille que cela a été difficile. C'était très violent de comparer les deux états de Sabine ». Du côté technique, l'expérience semble avoir beaucoup plu à Sandrine Bonnaire qui commente : « Je ne me suis pas sentie derrière la caméra mais face à Sabine. Ce n'est qu'au montage que je me suis sentie réalisatrice. D'ailleurs, j'avais une idée précise de la construction, mais le scénario s'est écrit pendant la phase du montage ». Et de poursuivre : « Oui, cela m'a donné envie de recommencer, toujours dans le documentaire, parce que je me suis sentie utile en faisant celui-là et parce que c'est compatible avec le métier d'acteur. » Elle s'appelle Sabine a été projeté à la Quinzaine des réalisateurs, puis, le 14 septembre dernier à la presse française. Sa sortie en salle est prévue pour le 30 janvier prochain. Autre expression de colère Cet avant et après est également au cœur d'un autre documentaire, Sous les bombes, du Libanais Philippe Aractingi. Un film de 93mn qui prend à la gorge. Conçu dans l'urgence — moins d'un an entre sa conception et sa finition — il est l'expression d'une colère et de douleur, celle du réalisateur qui voit son pays une fois de plus, saccagé par la guerre. L'histoire est celle d'une Libanaise, qui vit à Dubaï et à cause d'un conflit conjugal, décide d'envoyer son fils chez sa sœur au sud du Liban, quelques jours avant que n'éclate la guerre, le 12 juillet 2006. Rongée par l'angoisse et sans nouvelles de sa famille, elle décide de rentrer au Liban via la Turquie. A cause du blocus, elle n'arrive au port de Beyrouth que le jour du cessez-le-feu. Elle réussit avec peine à trouver un taxi. Tony, lui accepte de l'emmener à Kherbet Selem, mais elle n'est pas au bout de son périple, ni de ses peines. A travers les yeux d'une mère désespérée, on découvre le sud du Liban en ruine sous les tirs israéliens. Sous les décombre, des cadavres, les vivants pleurent la disparition de leurs proches. Même si le réalisateur a choisi de ne pas filmer des cadavres, les images sont insoutenables. Et pour cause, tout a été tourné en temps réel et seuls les quatre personnages de l'histoire sont des acteurs : Nada Abou Farhat (Zeïna), Georges Khabbaz (Tony), Rawya El Chab (la réceptionniste d'un hôtel) et Bshara Atallah (un journaliste). Tous les autres protagonistes jouent leur propre rôle. Dans un panorama chaotique, Philippe Aractingi n'aurait pas pu inventer « meilleure » tragédie. Il filme sans scénario et ses acteurs improvisent au quotidien, en parallèle avec les autres personnages les vrais acteurs de la tragédie. Ce n'est que plus tard, deux mois après le tournage, qu'il coécrit le scénario avec Michel Leviant. En décembre 2006, il tourne le corps de la fiction. Là encore, la caméra est un œil, celui de n'importe quel survivant aux 33 jours de bombardements. Pas de plans complexes, ni de montage apprêté. Juste un regard…pour montrer l'avant et l'après, même si l'avant est juste suggéré. Que ce soit du point de vue d'une mère qui cherche son enfant en espérant le retrouver vivant, mais sans en être sûre, ou celui d'un réalisateur meurtri dans son cœur par les affres d'une guerre que les victimes n'ont pas choisie. Dans l'esprit de chaque individu, il y a l'avant et l'après. Qu'il s'agisse de drames ou de joies. Mais la douleur est sans doute plus visible et nécessite qu'on se penche dessus pour la maîtriser, la broyer, ou simplement l'avouer.