El Mougar ne pouvait pas contenir pareille foule. Pour sa deuxième représentation à la salle El Mougar, Aït Menguellet est resté égal à lui-même. Pas besoin pour lui de se contorsionner ; la voix porte en dépit des soucis de santé. Quelque peu éteinte, cette voix ne l'a pas empêché de chanter. Djaâfar Aït Menguellet, tout de noir habillé comme son paternel, saura toujours lui venir au secours et lui apporter également sa touche insoupçonnable. La musique retrouve sous sa baguette ce petit quelque chose qui fait défaut au barde, toujours considéré comme un poète qui n'a jamais fait grand cas des considérations musicales. Celles-ci ne servent que de support à des mots qui font dire à certaines personnes, pas toujours intentionnées, loin s'en faut, que l'enfant prodigue d'Ighil Bwammas, à Aïn El Hammam, fait toujours l'économie d'envolées musicales « inutiles ». Reste que si ce n'était cet air de medah joyeusement mélangé à ces paroles que s'appropriera Si Muh U'Mhand, poète rimbaldien des Aït Irathen, le succès d'Aït Menguellet ne serait plus ce qu'il était ni ce qu'il est toujours. Kateb Yacine, poète émérite, ne croit pas si bien dire en faisant de lui « notre plus grand poète ». Les moins de vingt ans ne s'y retrouveront pas et le chanteur de Nadia, Cherif Khedam, qui l'a découvert le premier dans son émission Nouva Ihafadhen, où l'a ramené de force son cousin Ouahab, n'aura pas les faveurs d'une jeunesse, chez qui tout doit être « short ». Même les interprètes actuels n'y prennent pas intérêt, eux qui n'ont pas le souffle de ceux qui les ont précédés, autrement plus portés sur les chansons plus élaborées. II reste que le public, présent en force, a réagi au quart de tour, en faisant quelques pas de danse en occupant les rares espaces. Aït Menguellet, à la crinière plus sel que poivre, a fait un retour en arrière. S'il rappelle à certains un amour à jamais déçu, il ne manquera pas de conforter d'autres dans ce bonheur auquel ils s'attachent toujours. De Ma trud ula d nek kter (Si tu pleures, moi je pleure encore plus), de ses 16 ans à Inad umghar (Le sage a dit) que de chemins parcourus. Il n'a plus la force de ses vingt ans, mais a su s'y abreuver en laissant rêveur ce public, où l'on peut remarquer beaucoup de personnes d'un certain âge. Les jeunes, on ne les trouve pas, et ce n'est pas faute d'argent. Est-ce à dire que Aït Menguellet est un chanteur rétro qui sort par son texte du contexte ? Trop dire, si l'on lorgne du côté de son fils qui a su battre en brèche ce jeunisme. Le chanteur s'est retiré, un temps, avant de revenir, plus fort, au-devant de la scène d'une salle qui s'est avérée trop exiguë. Carton rouge pourtant aux techniciens du son de la salle El Mougar qui ont mis dans tous ses états Aït Menguellet, obligé de donner souvent la mesure.