Même un chat n'a que neuf vies, dit l'écrivain américain, Caryl Chessman à une amie, au moment où il allait être dirigé vers la chambre à gaz, le 2 mai 1960. L'Amérique, ce jour-là, prit la décision de couper les ailes à l'un de ses plus beaux volatiles. Le bandit rendu célèbre alors, dans son pays et à travers le monde entier, grâce à son autobiographie romanesque, Cellule 2455, couloir de la mort, sentit, pour la première fois, qu'il ne pouvait plus rien contre le ministère public de son pays. Arrêté et condamné en 1947, il avait passé treize années derrière les barreaux, reculant la date de son exécution au point de faire croire à tout le monde qu'il allait bénéficier d'une grâce. L'Amérique, démocrate ou républicaine, ne semble pas en bons termes avec le monde de l'imaginaire. Herman Melville (1819-1891), auteur de Moby Dick, est mort presque inconnu. Son tort est d'avoir été un grand visionnaire, et non un simple pêcheur sur un baleinier dans le Pacifique. Ernest Hemingway, prix Nobel de littérature en 1954, poursuivi par la CIA pour avoir eu des contacts avec les hommes de la révolution cubaine, se donna la mort en 1961. Scott Fitzgerald (1896-1940), alcoolique invétéré, fut rejeté par Hollywood et tant d'autres visionnaires de la littérature et de l'art en général. Peut-être le général George Amstrong Custer aurait-il fait l'économie de sa charge désastreuse contre les Sioux et les Cheyennes, à Little Big Horn en 1876, s'il avait lu Fenimore Cooper, Nathaniel Hawthorne, Harriet Beecher-Stowe et les autres humanistes américains de la première partie du XIXe siècle. Caryl Chessman, au regard de L'Amérique, n'était guère qu'un objet de fantaisie commerciale. Lui, qui avait réussi à reculer les limites de l'impossible grâce à ses études de droit au sein de la prison de Saint-Quentin, et surtout, à ses écrits littéraires, se retrouva fort dépourvu en ce 2 mai 1960, face à la fatidique boule de cyanure ! Les appels lancés en sa faveur n'eurent aucun écho, l'Amérique voulant, conformément à sa tradition, inscrire à son palmarès une légende de plus. Pourtant, l'imaginaire a, à son actif, de très belles réussites ailleurs. Le fil qui va de Pénélope la Grecque, vers Chessman l'Américain, en passant par Schéhérazade l'Arabo-persane, en est la plus grande illustration. Est-ce à dire que les potentats de ce monde, dit civilisé, ne regardent jamais du côté des mondes imaginaires ? L'Amérique officielle n'a pas perçu le véritable message des Mille et Une Nuits, encore moins la leçon donnée par Chessman dans ses écrits littéraires. Le « bandit à la lanterne rouge », comme on l'avait surnommé, avait réussi à renverser la vapeur plusieurs fois, tandis que ses bourreaux l'attendaient au tournant. Son pays, si caparaçonné derrière des légendes confectionnées à la va-vite, pour avoir un semblant de profondeur historique, n'a pas voulu voir en lui le digne successeur d'une Pénélope, d'une Shéhérazade et d'autres grands visionnaires américains. On déclara dans la presse qu'il était sur le point de bénéficier d'un sursis, quelques minutes avant son exécution. Pour son malheur, la secrétaire du juge oublia d'enregistrer correctement un chiffre alors qu'elle recopiait le numéro de la prison où il devait finir sa vie !