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Salsa, Chavez et Che Guevara
Un été fou a Caracas
Publié dans Liberté le 24 - 08 - 2005

C'est dans l'ambiance enfiévrée du 16e Festival Mondial de la Jeunesse et des Etudiants que nous trouvons Caracas, une ville folle, une ville fête, elle qui est née sous le “tropique des concerts”, et à laquelle le festival conférera des airs de carnaval. Carnet de voyage au cœur de cette Amérique Latine épicée, étonnante, impossible et baroque.
Caracas, les ascenseurs font partie des transports en commun. Il y a même des personnes préposées à organiser le “trafic” à bord de ces “métros verticaux” avec des “conductrices” assises sur une chaise du matin au soir, respirant à longueur de journée l'air vicié des chaussures. Une voix électronique répète en boucle : “Bahando”. “Sabiendo”. Vers le haut. Vers le bas. Comme dit la chanson de Cloclo. On peut facilement faire le pied de grue pendant une demi heure voire plus avant de voir s'ouvrir la porte de l'élévateur.
En tout cas, c'est comme cela que les ascenseurs fonctionnent à l'hôtel Anauco, un lugubre monstre en béton de 20 étages comme Caracas en compte tant, planté au milieu de l'avenue Bolivar, et faisant face au Caracas-Hilton. D'entrée, le rythme de ces cages volantes nous fait prendre le pouls de tout le pays. “Dieu a donné les montres aux Suisses et le temps aux Africains” dit un proverbe congolais. Cet adage semble parfaitement s'appliquer à nos amis Vénézuéliens. C'est le paradis de la nonchalance.
Jeudi 4 août. 16 h heure locale. 21h à Alger. Cinq heures de décalage horaire. Débarquement fracassant à Caracas. Nous sommes cinq journalistes (APS, radios chaine I et chaine III, El-Moudjahid et Liberté) à accompagner une délégation de 141 membres, conduite par le député FLN Ahmed Belkacemi, et qui doit représenter l'Algérie à la 16ème édition du Festival Mondial de la Jeunesse et des Etudiants qu'abrite la capitale vénézuélienne quatre ans après celui d'Alger. La délégation est arrivée à bord d'un Iliouchine de l'armée de l'air affrété par le MDN après que Air Algérie eut exigé la bagatelle de 6 milliards de centimes comme le précisera M.Belkacemi, un devis jugé rédhibitoire.
Mouna, 22 ans, est toute excitée, comme nous tous d'ailleurs, en se retrouvant enfin dans l'enceinte du bel aéroport international Simon Bolivar. Il faut savoir d'emblée que Bolivar est au Venezuela ce que l'émir Abdelkader est à l'Algérie. On le surnomme : El Libertador, le Libérateur. La magie de l'Amérique Latine opère très vite. Oubliés les affres du voyage, les courbatures, le t'mermid, le manque de sommeil, les vingt heures de trajet depuis Ain Benian — où la délégation algérienne était regroupée — en passant par l'aéroport militaire de Boufarik (un aéroport sans la moindre commodité). Près de quinze heures de vol entrecoupées par une escale de deux heures aux îles du Cap-Vert (îles lusophones près du Sénégal). L'appareil est peu confortable mais, cependant, il est réputé pour être très sûr. Une précision de taille par ces temps où les avions tombent comme des mouches.
La ville au printemps éternel
Aux premiers effluves latinos qui nous fouettent sur le tarmac, c'est l'éveil des sens, du cœur, du moral. Nous humons cet air frais et savoureux avec appétit. Nous voici déjà baignant en plein dans la bonne humeur tropicale. Il fait bon. Tellement bon. Agréable. Temps tempéré. Tropique du cancer. L'été est doux comme tout. Un bon 25°. Le mercure dépasse rarement la barre des 30°. Si tant est que le mot “été” eût un sens en termes “thermoclimatiques”. En fait, c'est une saison qui n'a pas de contenu météorologique dans cette région du Globe. C'est la saison des pluies en ce mois d'août. Il pleut de juin à novembre. Cela commence par de petites gouttelettes qui dégénèrent vite en grosses averses. Celles-ci durent à peine de quoi asperger l'univers et répandre une fraîcheur ouatée. Située au pied de l'Avila, un massif verdoyant qui atteint les 2765 m à son pic le plus haut, Caracas a la particularité d'être en hauteur tout en taquinant la mer. Elle est à 800 m d'altitude, ce qui explique cet air si délicieux qui nous irrigue les poumons.
Sans doute le climat y est-il pour quelque chose : les Vénézuéliens ont le sang chaud. C'est un peuple très chaleureux, très porté sur l'humour, l'amour et la bouteille. C'est surtout un peuple danseur, dopé à la musique. La salsa fuse de partout. Les gens causent, marchent, vaquent à leurs tâches quotidiennes en se déhanchant. La salsa est une langue nationale. Transcontinentale. C'est la drogue douce des Caraïbes.
“Le Venezuela est un éternel printemps.” Commente Abdallah Al-Nimer, un affable vénézuélien d'origine syrienne établi en terre bolivarienne depuis 37 ans. Un druze. Un chic type. Grâce à lui, les journalistes algériens seront logés dans des conditions décentes, à l'abri de cette anarchie organisée qu'est le festival. Abdallah est fasciné par l'Algérie. Il fait partie du comité d'organisation du festival. C'est un fervent partisan de Chavez, “El Comandante”. Les Arabes constituent un véritable lobby au Venezuela. Ils sont quelques cinq millions sur une population de plus de 25 millions d'habitants, (majoritairement amérindienne). Les Syriens à eux seuls sont plus d'un million d'âmes, talonnés par les Libanais. Les Algériens quant à eux sont à peine quelques dizaines.
Marcel Charani est décorateur en bâtiment. D'origine syrienne lui aussi, il vit au Venezuela depuis 25 ans. Usant et abusant de la métaphore, pour lui, il ne fait aucun doute que le Venezuela est le plus beau pays du monde. “Ici, les arbres fruitiers donnent des fruits trois fois par an. Tu laisserais tomber une branche qu'un arbre pousserait aussitôt !” poétise-t-il. Cela se constate de visu : Caracas a la baraka de la nature.
De fait, le trait le plus saillant de sa physionomie, c'est l'omniprésence du vert. Pas seulement celui des militaires qui sont à chaque coin de rue, en béret rouge, gilet pare-balles et kalachnikov (dont moult enfants soldats censés être élevés dans un esprit de loyauté au chef), mais surtout le vert de la végétation tropicale qui pousse partout, partout, partout, jusque sur les terrasses des immeubles, coiffant les bâtiments les plus austères. Ainsi, même si elle empeste le gaz carbonique avec son parc roulant (et croulant) qui hurle de tous ses klaxons en barbouillant de suie les ailes des oiseaux, Caracas respire un air tellement frais et tellement vrai grâce à ses innombrables parcs naturels, tous plus resplendissants les uns que les autres, à l'image du Parque Del Este. Dans les boulevards de la ville, vous ne manquerez pas de voir planer sur vos têtes des perruches exotiques aux queues irisées.
Le Venezuela compte quelques 42 grands parcs alliant la beauté sauvage de la forêt amazonienne aux couleurs chatoyantes des Caraïbes. Le plus grand d'entre eux, le parc de l'Avila, a…86 kms de long. On peut y trouver quelque 200 sortes d'oiseaux et 130 espèces de mammifères et de reptiles. Où que vous jetiez votre œil pousse quelque chose. Cette luxuriante végétation tient sans doute à l'extrême variété des climats qui embellissent le pays : les Caraïbes, l'Atlantique, les Andes et l'Amazonie. Que demande le peuple ?
Un air de Jamaâ Lihoud
Imposante mégapole pétrolière de plus de 5 millions d'habitants, Caracas affiche ostensiblement son aisance financière. Et, comme toutes les villes pétrolières, elle est résolument moderne. Rutilante. Très “in”. Hauts buildings flambant neuf, abritant les bureaux des multinationales pétrolières et des principales banques du continent et du monde, centres commerciaux très tendance (à l'instar de celui de Chacaito), vitrines achalandées avec panache et mobilier urbain faisant la part belle à l'art le plus avant-gardiste, tous ingrédients qui confèrent à la capitale vénézuélienne un caractère franchement contemporain tranchant net avec sa culture ancestrale. D'ailleurs, le musée d'art contemporain de Caracas est l'un des plus importants d'Amérique du Sud. Mais Caracas, c'est une ville folle. Rebelle. Inclassable. Rétive à toute tentative d'annexion au chapelet des grandes villes occidentales. Elle fait plutôt partie de ces métropoles du Sud qui, tout en étant arrimées à une certaine modernité architecturale, n'en sont pas moins restées elles-mêmes : Le Caire, Calcutta, Buenos Aires, Bamako, Alger…
Nous entrons dans Caracas comme on débarquerait à Jamaâ Lihoud. Zéro dépaysement. De mémoire de vadrouilleur, jamais il ne nous aura été donné de voir ville aussi libérale sur le territoire de ses trottoirs. Le peuple est vraiment dans la rue. Il n'est quasiment pas un interstice où il n'y ait quelque camelot ou vendeur à la hurlée. Même aux abords des immeubles chics, vous trouverez des étals. La Révolution est sacrée ; le marché est libre. L'économie informelle est presque érigée en économie officielle. Et tout se vend à Caracas.
Certains endroits rappellent volontiers le marché aux puces de Laâqiba ou le marché couvert de la rue de Chartres. Décidément, la mondialisation n'aura épargné aucune culture. C'est la dictature du kitsch. Les mêmes Reebok et autres Nike “Made in China” ou “Made in Taiwan” que vous trouveriez au souk Ali Mellah ou à Souk Al Hamidiyé à Damas, vous les trouveriez dans les bazars de Caracas. L'une des grosses spécificités du marché vénézuélien, c'est l'or. On s'y rue de partout. Mais gaffe à l'arnaque. Au “m'derrah”. Il y a aussi le pain et les viennoiseries. Très très bons. Le pain ici est une institution. Les voitures sont une attraction en elles-mêmes. De vieilles guimbardes pour la plupart, elles sont dans leur majorité américaines. Des voitures de collection, presque, comme celles qui font le charme de La Havane, elles ont quelque chose de pittoresque.
Des Dodge année 1969, des Chevrolet, des Ford, des Cadillac. Il y a aussi les grosses caisses dernier modèle. Mais elles ne valent pas le charme des vieux General Motors et autres bus school, les autobus scolaires de couleur jaune. Les embouteillages à Caracas font partie du décor, de l'air du pays… Même sur les autoroutes, les bouchons se poursuivent. Aussi, les motos sont-elles très populaires, et il y a même des motos-taxi. La ceinture de sécurité n'est pas de rigueur. Les minibus privés qui desservent les quartiers périphériques font la loi comme chez nous. Certains receveurs utilisent un aimant pour garder les pièces métalliques. Les rues sont larges à l'américaine, avec des feux rouges très réglementés pour réfréner un tant soit peu la passion des Vénézuéliens pour la vitesse. Il n'y a pas de trémies comme à Alger. En revanche, ils ont un superbe métro très moderne.
Autre curiosité des rues de Caracas : les taxiphones. Ceux-ci sont constitués d'une table posée n'importe où, sur n'importe quel trottoir, avec un opérateur (trice) sous un parasol. Du parasol viennent pendouiller des téléphones portables. Chic, non ? Les loteries sont légion. Les jeux de hasard sont manifestement très prisés. Atmosphère très borgésienne. Jeux. Cris. Eclats de rires. Rixes. Beuveries. Bacchantes. Bagarres. Le taux de criminalité est l'un des plus élevés au monde : 6000 morts l'an dernier. A quoi ajouter 7000 dans des accidents de la route. La violence est un autre trait du caractère excessif de ces cousins de tempérament. Les banques sont hermétiquement ferraillées. Les riches nababs ont des polices privées pour assurer leur sécurité. Fait paradoxal : en dépit de son caractère festif, Caracas est ville morte dès 19h. Tout est fermé, à l'exception des bouis-bouis qui proposent des sandwichs improbables avec des bananes frites. Il faut trimer pour trouver un resto ouvert tard le soir. “Ici, il y a beaucoup de bande armées. Vous ne pouvez pas circuler n'importe où”. Nous prévient Abdallah. On peut facilement se faire abattre pour une montre. Sur le tronçon d'une autoroute, nous serons témoins d'une course poursuite spectaculaire entre un policier brandissant haut son arme et une fourgonnette. On se croirait dans un film.
Parallèlement à cela, les livres sont une fête. Paulo Coelho est sur tous les étals. Grosse promo autour de son dernier roman, Le Zahir. C'est l'écrivain le plus populaire d'Amérique Latine. Ses romans sont sur tous les trottoirs. Les livres se vendent partout à Caracas. Des vendeuses de n'importe quoi, entre deux clients, lisent un roman. Même sous les ponts et dans des endroits dégueulasses, vous trouverez des bouquinistes. Pourtant, l'analphabétisme est un fléau en république bolivarienne et Chavez a lancé une vaste campagne d'alphabétisation, soutenu énergiquement par Castro qui a dépêché une armée d'instits sur place. Outre les livres, les CD et les DVD viennent en tête des ventes. Allègrement piratés, ils sont cédés pour une bouchée de pain. Comme nos cheb Abbas, cheb Spertchikha et autre Reda Taliani, les Vénézuéliens ont leurs stars populaires de la musique latino dont ils mâchonnent les tubes du matin au soir.
Dans les favelas de Caracas
A vrai dire, ce ne sont pas à proprement parler des favelas. Mais elles exhalent une certaine désolation. Le contraste en tout cas est criant avec le Caracas du bas. Car ici, la topographie est inversée : les riches et les cadres occupent les beaux immeubles qui ponctuent la jolie plaine qui s'étend au pied de l'Avila, et le peuple, lui, est parqué dans des maisons agglutinées les unes aux autres à flanc de collines, et qui la nuit, donnent de Caracas l'image d'une montagne de lumière. C'est très très beau. Autant c'est beau la nuit, autant c'est laid le jour. La nuit cache bien les plaies de la ville, comme la salsa agrémente la tristesse de toute l'Amérique Latine.
Nous prenons le métro et descendons à la station terminale, à l'est de la ville. Nous voici à Paolo Verde, une banlieue grouillante et populaire de la capitale. A la sortie de la bouche du métro, nous tombons nez à nez sur un bourg populeux perché sur l'une des crêtes qui surplombent la vallée de Caracas. C'est la commune José Felix Rivas. Un escalier aussi abrupt qu'étroit serpente à travers des maisons serrées les unes aux autres. Elles sont toutes en brique rouge aux murs nus. Détail frappant : toutes les portes et les fenêtres sont solidement langées de barreaux austères. “Il règne une certaine insécurité ici. D'ailleurs, il ne faut pas circuler seul comme vous le faites” nous avertit Raphaël, un chauffeur de taxi qui vit dans le coin. Nous rencontrons une grappe d'habitants du quartier. L'un d'eux s'affaire à réparer un ventilateur tandis que d'autres se penchent sur le moteur d'une vieille voiture estomaquée.
A Paolo Verde, aucune banderole ni affiche ni manifestation quelconque en relation avec le festival. On est loin de l'ambiance festive du Teatro Teresa Careno, sorte de Maqam Chahid en mieux. Dans ces favelas en brique rouge, c'est plutôt le festival de la misère. Luis Mohica, 48 ans, gagne à peine 200 bolivars par semaine, sachant que le ticket de métro est de 400 bolivars (notons qu'1$ = 2500 bolivars). Luis a trois femmes. C'est un polygame clandestin. Comme tous les pauvres de Caracas, Luis aime Chavez, le Président des “zaoualias”. Il nous souhaite un “marhaban” en règle après s'être enquis de la formule en arabe. D'une poignée de main vigoureuse, il nous exprime son amitié en insistant qu'on est désormais “amigos”.
Ruis Enrique est président du comité de quartier de José Felix Rivas. Il faut savoir qu'au Venezuela, les comités de quartier ont un vrai pouvoir. Il y a même des élections pour cela, comme les élections municipales. Ruis nous dit d'emblée que la presse n'est jamais venue par là. Il nous fait faire aimablement le tour du propriétaire. Il nous fait visiter une clinique récemment construite qui prodigue des soins gratuits, chose inconcevable sous le règne de l'ancienne oligarchie militaire de droite, à la solde de Washington, comme tiennent à la rappeler les militants chavistes. Puis, il nous emmène dans un resto du peuple réservé aux sans-abri.
C'est la “Casa de Alimentacion”, la Maison de l'Alimentation. Au-dessous de l'enseigne, ce slogan tonitruant : “El Gobierno revolucionario avanza !” (“Le gouvernement révolutionnaire avance !”) et : “Garantizando la seguridad alimentaria” (“Garantir la sécurité alimentaire”). On connaît l'importance de ce type de communication pour les gouvernements populistes… Sentiment d'un voyage dans l'Algérie des années 70, Boumediène, eh mamiya, thawra ezziraîya… A l'intérieur, des femmes s'affairent à nettoyer d'énormes marmites. La maison ne paye pas de mine. Elle donne sur un immense paysage de détresse fait de briques rouges et de tôle ondulée. La plupart de ces maisons ont été construites suite à un exode massif des habitants des villages du pays profond, éprouvés par la misère, et qui n'ont pas réellement droit de cité à Caracas.
Alors, on les tient en laisse dans ces baraques entassées comme des lits superposés. Ruis explique que le gouvernement encourage vivement l'autoconstruction. “L'Etat fournit la brique et le ciment et les gens font le reste” dit-il. Dans certaines artères, des SDF furètent dans les poubelles comme au marché Clauzel. Mais nous aurons rencontré fort peu de mendiants à Caracas. A moins qu'ils n'eussent été balayés du paysage social comme chez nous, durant le sommet arabe...
Ambiance hot et soutiens XXL
Le soutien populaire des Vénézuéliennes à la “Révolucion bolivariana” et au chef qui l'incarne, le leader charismatique Hugo Chavez, est de la taille de leurs soutiens-gorge : XXL. En effet, dans les boutiques de lingerie féminine, il est rare de trouver des soutifs chétifs. Comme quoi, la réputation des filles latinos n'est guère usurpée. Presque habillées, elles donneront le tournis à la grande majorité des festivaliers, en particulier ceux issus des pays soumis au cryptage des formes. La minijupe est un hijab à Caracas.
Certaines langues assassines parlent plutôt de “micro-jupe”. Là où l'on s'éloigne du cliché, c'est côté proportions. Les Vénézuéliennes ont plutôt du boulot sur le plan de l'harmonie des courbes. Elles sont admirables en ce qu'elles ne surveillent guère leur ligne et ne sont point obsédées par le thème des mensurations comme leurs homologues Parisiennes. Beaucoup sont ventrues et marchent le nombril bedonnant en l'air en toute aise. Leur seul souci, c'est comment retenir leurs compagnons volages. La polygamie gloutonne de l'homme latino est loin d'être démentie. Même si les Vénézuéliens sont à 95% catholiques et donc monogames par religion, les hommes n'hésitent guère à prendre trois, quatre ou cinq femmes, basculant ainsi dans la clandestinité matrimoniale. Nayarit Duin, 28 ans, fausse blonde, cheveux frisés à la brésilienne, est baby-sitter de son état. Son petit ami est décédé il y a deux ans, et, depuis, elle peine à recruter un nouveau pygmalion. Ecumant les salons du festival au Caracas-Hilton, elle espère faire quelque rencontre enchanteresse auprès des festivaliers, européens de préférence. “Les Européens sont plus sérieux. Les hommes d'ici sont peu élégants et collectionnent les conquêtes.” dit-elle.
Les filles, très fleurs bleues, se confient facilement. Dansent avec le premier venu. Elles ont de l'affection à revendre. Dans une ville bénie par les dieux et baignée par la musique, il est pénible d'être solo, d'être seul. Aussi, le culte du corps est-il érigé en culture. “Scultura, no cultura” résume Nayarit pour signifier que les gens s'intéressent plus à leur paraître qu'à leur développement intellectuel. Dans les plages qui entourent Caracas, ambiance Alerte à Malibu en plus beau côté nature, en plus kitsch côté infrastructures. Ruée des Algériens sur les nanas et les ananas. Qu'il est beau de se prélasser et se décarcasser sous les cocotiers et la mer chaude des Caraïbes ! Le moral des jeunes est cassé dans l'Iliouchine du retour. Difficile de se “décaracasser” une fois qu'on a vu un tel paradis.
Demain, balade avec nos compatriotes. Des jeunes en or. Ne ratez pas la suite…
LE “CHE” DE CARACAS
Chavez a son festival
Comme Bouteflika, Chavez parle trop. Il est friand de discours. Et comme Bouteflika en 2001, Chavez a “son” festival. Son festival mondial de la jeunesse s'entend. Un événement majeur qui lui garantira une large couverture médiatique. “Uh ! Ah ! Chavez no se va !”, “Chavez ne pars pas !”, scandent les masses populaires galvanisées par les apparitions calculées du “Che” local. C'est par réaction aux événements du 11-A (comme les surnomme la presse en référence à la date du 11 avril 2002 et le coup d'Etat avorté piloté par la CIA selon les partisans de Chavez) et au référendum révocatoire d'août 2003 auxquels Chavez a héroïquement survécu. Pour Caracas, ce festival c'est du pain béni. Déjà prompte à faire la fiesta pour beaucoup moins que cela, la capitale vénézuélienne sombrera dans une ambiance carnavalesque complètement psychédélique du 8 au 15 août, avant de se réveiller le 16 avec la gueule de bois. 17 000 jeunes de 144 pays ont fait le déplacement (contre 15 000 à celui de l'édition précédente à Alger venus de 132 pays), apportant chacun sa part de délire. Coût du festival : 10 millions de dollars révèle David Velasquez, président du comité national préparatoire vénézuélien. L'espace d'une dizaine de jours, Caracas tanguera ainsi au rythme des concerts organisés un peu partout. Ça sera une aubaine pour les vendeurs d'articles traditionnels. C'est surtout un grand rendez-vous pour les anars du monde entier. Grosse opération promotionnelle pour la littérature communiste. A n'en pas douter, nous sommes au paradis des mouvements de gauche. Le mot “Révolution” est sur toutes les bouches. Résurrection grandiose des idéologies au moment où l'on clame partout ailleurs “la fin de l'histoire”. Tracts, affiches condamnant la torture, portraits de Marx, de Lénine, de Trotsky, posters des proscrits du monde entier, de Carlos à Yasser Arafat, et autres Marwan Barghouti et Ocalan. C'est la foire aux slogans. Mais le haut de l'affiche est tenu incontestablement par l'éternel Ernesto Guevara dont l'effigie, tautologique, est sur tous les murs, tous les t-shirts, tous les pin's. Le “Che” ici est une industrie. Son portrait côtoie partout celui de Chavez. Le raccourci sémantique est d'une évidence biblique. Le gouvernement de Chavez s'inspire d'ailleurs largement de la littérature guévariste. Chavez se réclame ouvertement de la lignée du tandem Guevara-Castro. Ah l'infatigable, l'inusable, l'immortel Castro, le “Saddam” des Caraïbes aux yeux de Bush !
Le slogan du festival dit tout : “Por la paz y la solidaridad luchamos contra el imperialismo y la guerra” ; “Pour la paix et la solidarité, luttons contre l'impérialisme et la guerre”. Le contexte international marqué par une emprise sans partage de l'hégémonie US et une marche implacable sous la bannière d'un néolibéralisme sans âme fixe naturellement la “ligne éditoriale” du festival (rappelons que le festival est idéologiquement de gauche depuis sa première édition en 1947 à Prague). Pour Chavez qui arrive au terme de son mandat, l'événement est une tribune inespérée, lui qui est en quête de plus d'audience à l'échelle internationale pour contrer la propagande américaine qui fait tout pour le discréditer.
Adel Zeghier est député à l'assemblée vénézuélienne. Il fait partie du parti de Chavez, Le Mouvement de la Cinquième République. Fidèle à la ligne du locataire de Miraflores, il tient un discours anti-américain radical. Il accuse sans ambages les Etats-Unis d'être derrière le coup d'Etat avorté du 11-A. Il reproche à Washington de protéger les barons de la drogue qui sévissent dans toute l'Amérique du Sud. Il va même jusqu'à imputer à la Maison Blanche la “fabrication” des événements du 11 septembre “afin de justifier la politique expansionniste et hégémonique qui s'en est suivie”. Adel Zeghier est optimiste : il estime que le projet chaviste de fédérer les peuples d'Amérique du Sud sous la bannière d'une révolution néo-guévariste va gagner. Pour lui, ce projet va constituer une alternative incontournable à l'effondrement du bloc de l'Est, effondrement qu'il explique par l'éloignement des dirigeants de l'ex-URSS et consorts de la vraie démocratie populaire prônée par le marxisme. Il développe notamment une thèse sur l'instrumentalisation de l'arme énergétique en faveur des peuples du sud. “Il est temps d'intégrer le droit à l'énergie comme un des droits humains. Il est scandaleux que 10% de l'humanité, en l'occurrence les pays industrialisés, consomment 90% des ressources énergétiques de la planète”, s'indigne-t-il. “La guerre avec l'impérialisme est et restera d'essence économique et c'est sur ce terrain-là que le Venezuela va peser dans la refonte des rapports de force [entre le Nord et le Sud]. Nous disposons de 370 000 milliards de barils de réserve, soit 100 000 milliards de plus que l'Arabie Saoudite.” À signaler que le Venezuela produit actuellement 3,1 millions de barils par mois contre 10,5 pour l'Arabie Saoudite. Le député poursuit : “Les Etats-Unis ont régulièrement besoin de faire régner un climat de peur pour relancer leur industrie militaire. Avant, c'était le bloc communiste. Maintenant, leur nouveau démon, c'est ce qu'ils appellent le terrorisme. Les victimes du 11 septembre n'étaient pas les patrons, c'étaient tous des ouvriers. Le plus grand cartel de terrorisme au monde se trouve à la Maison-Blanche !”
Même qualificatif de Chavez qui traitait les Etats-Unis de “plus grand terroriste de l'histoire” dans son discours inaugural du festival en évoquant les terribles bombardements de Hiroshima et Nagasaki dont l'humanité commémore cette année le 60ème anniversaire. Adel Zeghier ajoute : “Le meilleur président arabe, c'est Chavez”, allusion à son soutien à l'Irak. “Les Américains ont tué 300 000 Irakiens pour protéger le peuple d'Irak. Drôle de protection…”, ironise notre interlocuteur. Chavez sera-t-il le nouveau Che ? Fanny, 17 ans, une Française des Jeunesses Communistes (PCF) a l'air plutôt sceptique : “On espérait un nouveau Castro. Ce n'est que du populisme. On mêle l'impérialisme à toutes les sauces. Franchement, je préfère le communisme de mon parti”, dit-elle. L'opposition crie, elle aussi, au populisme et à la dilapidation des recettes de la PDVSA, la Sonatrach vénézuélienne, à des fins électoralistes. “Chavez a un bon programme, mais la corruption a gangrené le pays”, regrette une étudiante. Toujours est-il que le “Che” de Caracas est crédité de 70% de popularité. Au demeurant, une chose est certaine : quelque chose est en train de bouger de ce côté de la planète, et Chavez fait des clones un peu partout en Amérique Latine, au grand dam de Washington.
M. B.


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