Ces derniers mois ont largement confirmé la percée des Franco-maghrébins au niveau du grand et du petit écrans. Cela a commencé avec Rachid Bouchareb (Indigènes) et le quatuor de comédiens Jamel Debbouze, Sami Bouajila, Roschdy Zem et Sami Naceri, récompensés au Festival de Cannes. Biyouna et Nadia Kaci, éclatantes de vérité dans Délice Paloma de Nadir Moknèche. Rachid Djaïdani, romancier, ex-boxeur et comédien dans L'âge d'homme… Maintenant ou jamais de Raphaël Fejtö. Mehdi Charef et son Cartouches gauloises. Zinedine Soualem, toujours convaincant dans Roman de Gare de Claude Lelouch. Arié El Maleh, le petit frère de Gad, surprenant dans Je déteste les enfants des autres d'Anne Fassio. Fellag, vu dans Michou d'Auber de Thomas Gilou, et dans L'ennemi intime de Florent Emilio Siri. Kad Merad, lui, est à l'affiche de plusieurs films. Sans parler de plusieurs productions à venir La graine et le mulet d'Abdel Kechiche, avec la révélation féminine Hafsia Herzi, primée à Venise, et Big City de Djamel Bensalah qui sortent tous les deux en décembre. Au niveau « découverte » pour le petit écran, mentionnons, in fine, Melissa Djaouzi, dans une étonnante composition sur France 2 dans le remake de La femme et le pantin aux côtés de Roger Hanin. Enfin, sur France 2 toujours, on découvrira au début de l'année, en prime time, s'il vous plaît, Aïcha, téléfilm d'une heure trente signé Yamina Benguigui qui entreprend là sa seconde incursion dans l'univers de la fiction. Et c'est sur le tournage que nous sommes allés à sa rencontre ainsi qu'à celle de ses principaux comédiens. Nous sommes dans une grande salle des fêtes de la proche banlieue parisienne, en l'occurrence Joinville-le-Pont. C'est le matin et il règne déjà l'effervescence d'une production de fort calibre. Deux caméras numériques équipées de gros objectifs « cinéma », trônent. L'une, axiale, accrochée à l'extrémité d'un long bras mécanique qui assure ses mouvements. L'autre, plus à droite, va « pêcher » des plans plus resserrés, et c'est le jeune frère de la réalisatrice, Bakir, qui officie à l'œilleton. Quatre-vingt figurants environ, en habits du dimanche, sont disposés dans la salle autour de tables rondes décorées d'assiettes de pâtisseries et de boissons non alcoolisées : c'est une cérémonie de mariage qui est filmée. En fond de salle, et surélevé, a pris place un jeune couple en costumes de mariés. Au cri de « moteur ! », éclate sur la sono, le Stand by me de B.B. King revisité musicalement avec des sons et des couleurs orientalisantes, tandis qu'une vingtaine de femmes de tous les âges aux tenues chatoyantes s'ébrouent dans une chorégraphie syncopée dirigée, hors caméra, par Bouchta qui donne le la. Bouchta est le fils (dans la vie) de Rabia Mokeddem qui évolue au milieu des danseuses. Dans le film, Rabia, c'est Mme Bouamaza, la mère de Aïcha, déjà vue dans le rôle de la belle-mère de Fejria Deliba dans Inch'Allah Dimanche premier long métrage de fiction au cinéma de Yamina Benguigui. Pouvoir bouger Tandis que d'énormes projecteurs diffusent une lumière artificielle qui donne un « effet jour », l'assistant- réalisateur ne cesse de placer et replacer les danseuses au fur et à mesure des prises qui sont effectuées. Et l'on soigne d'autant plus le rythme de cette scène qu'elle figure au générique de début. En maîtresse de cérémonie, la réalisatrice n'est pas du genre à hurler ses indications dans un mégaphone. Elle se déplace avec discrétion, chuchotant deux mots ici et trois mots là, histoire de recadrer les choses telles qu'elle les a imaginées. C'est durant la pause-déjeuner qu'elle nous raconte, le regard brillant et le verbe haut, cette tragi-comédie dont elle a écrit et dialogué le scénario. Aïcha est une jeune fille de 25 ans, aînée d'une famille française d'origine algérienne, qui a élu domicile, faute de mieux, dans un de ces ghettos aux curieuses appellations fleurant bon la faune et la flore. En l'occurrence, la famille habite la cité des Fauvettes, délaissée depuis longtemps par sa « population blanche ». Dans ce territoire d'outre-ville où l'on se sent « assigné à résidence », Aïcha ne rêve que d'une chose : en partir pour s'assumer individuellement et s'affranchir d'une communauté et d'une famille où règne sans partage la loi du « nous ». Au fur et à mesure des nombreuses péripéties qui scandent le récit, Aïcha va faire l'apprentissage de la conquête d'un « je » aux contours balbutiants. Aïcha, c'est Sofia Essaïdi, cette jeune Franco-marocaine qui a séduit des millions de téléspectateurs français, il y a 3 ans lors d'une des sessions de la Star Academy. Issue d'un mariage mixte, d'un père marocain, commandant de bord dans l'aviation civile, et d'une mère française, ex-hôtesse de l'air, Sofia renvoie l'image d'une jeune fille de 23 ans plutôt équilibrée (elle le souligne elle-même) et à qui la notoriété subite, induite par la Star Ac', n'a pas tourné la tête. Formée à la danse et à la chanson, elle a suivi des études en économie-gestion à l'université de Paris-Duphine, études qu'elle a suspendues pour enregistrer en 2005 son premier album Mon cabaret, vendu à 30 000 exemplaires. Score honorable. Si elle prépare son second album, elle est surtout heureuse d'avoir été choisie pour le rôle d'Aïcha quand, au départ, elle ne devait faire qu'un second rôle, celui de la cousine Nedjma. Aussi, après avoir séduit Yamina Benguigui, elle risque d'en séduire plus d'un à la voir jouer, d'autant que 2008 devrait être « son » année. En effet, Kamel Ouali, le chorégraphe de la Star Ac', lui a confié le rôle titre de Cléopâtre, comédie musicale qui sera, à n'en pas douter, un des évènements de l'année à venir. Mais, pour le moment, en compagnie de Yamina, elle nous parle du personnage Aïcha, qui, dit-elle, lui ressemble par certains côtés. « Elle bouge, elle est combative sans être révoltée. En fait, elle s'insurge contre les conditions sociales qui lui ont été imposées ainsi qu'à sa famille avec laquelle elle ne souhaite aucunement la rupture ». Et Yamina Benguigui enchaîne sur le personnage d'Aïcha : « Au fond, c'est une Shéhérazade des temps modernes. Le personnage est né dans mon imagination à la suite des nombreuses rencontres et débats que j'ai effectués en banlieue. Toutes ces filles ne revendiquaient qu'une chose : pouvoir ‘'bouger'' dans la société. Le regard de la cité sur les filles est très dur, le moindre ‘'écart'', et c'est toute la famille qui est stigmatisée ». Farida, l'ancien mannequin, originaire des Minguettes à Lyon, et surtout égérie de Jean-Paul Goude dans les années 80 se joint à nous. Elle joue un rôle dans Aïcha et évoque au passage la différence des époques : « De mon temps, il y avait une certaine mixité sociale, ethnique et sexuelle dans les quartiers. Aujourd'hui, c'est plutôt une forme d'enfermement qui prédomine ». Yamina et Farida insistent toutes les deux sur la ghettoïsation ethnique qu'a engendrée l'assignation géographique. « Et le regroupement ethnique, soulignent-elles, ne favorise guère l'émergence de l'individualité. » Dans la distribution, on retrouve Biyouna, la formidable interprète-fétiche de Nadir Moknèche, dans le rôle d'une coiffeuse qui a fui l'Algérie des années 1990 et le terrorisme islamiste pour échouer dans cette cité où vit la famille Bouamaza dont le rôle du père a échu à Amidou qu'on voit de plus en plus (âge oblige) dans les rôles du patriarche immigré (sur 2M notamment). Pour sa part, il a connu Yamina Benguigui lors d'un festival à Agadir et apprécie beaucoup sa manière simple de diriger les acteurs « qu'elle sait mettre en confiance ». A l'origine Aïcha a été conçu et écrit pour une série de six fois 52 minutes. La chaîne diffuseuse, France 2, a opté finalement pour un « unitaire ». Mais Yamina Benguigui a bon espoir, si l'audience est bonne, que la chaîne revoie sa position et commande la série. Incha' Allah !