Dix h 30, l'arrêt de bus de Bordj Menaïel grouille de monde en cette journée ensoleillée de fin octobre. Des va-et-vient dans tous les sens, des cris, des klaxons… Pour aller à Cap Djinet, à une quinzaine de kilomètres, il faut attendre qu'un fourgon de transport en commun arrive. A cause du manque de transport, les gens se bousculent pour une place. Une situation aggravée par l'absence de transport scolaire, nous explique-t-on. Sur la route reliant Bordj Menaïel à Cap Djinet, pas moins de trois barrages de différents corps de sécurité assurent le contrôle et veillent à la sécurité de la population L'œil vigilant, les militaires, gendarmes affichent une ferme volonté d'en finir avec les terroristes qui écument les maquis de l'est de la wilaya. Mais l'insécurité n'est malheureusement pas le seul souci de la population. A Cap Djinet, les citoyens en veulent à leurs élus qui « n'ont rien fait pour faire changer les choses ». Sur la route, à Aïn El Hamra, qui relève de Bordj Menaïel, une autre commune où les élus sont montrés du doigt. Des écoliers s'installent en groupes et partagent des bouts de pain. Ici la précarité se décline sous toutes les formes : l'insécurité, la faim, le manque de transport, de travail, de divertissements… Cap Djinet donne l'image d'une ville où l'autorité civile a déserté les lieux. En effet, des deux cotés de la RN24 qui longe le rivage, des constructions illicites massacrent le décor. En parpaing ou en tôle, ces « champignons du tissu urbain » renseignent sur la démission des responsables locaux. Certaines baraques servent même de locaux de commerce. Les habitants de Cap Djinet ne ratent jamais l'occasion de dénoncer l'exploitation de la carrière qui leur « cause d'énormes désagréments ». « La poussière envahit toute la zone, sur un rayon d'un kilomètre au moins. Par conséquent, nous ne pouvons que la respirer. Nous avons en notre possession tout un dossier que nous comptons remettre aux autorités compétentes et très prochainement, nous allons rendre publique nos préoccupations à travers différentes actions afin de sensibiliser toutes les parties concernées sur les dangers que représentent ces exploitations », a déclaré à El Watan, un animateur du mouvement associatif local. Plus près, nous voyons les excavatrices s'attaquer à la colline rocheuse, qui se dresse comme un mur face à la mer et qui perd de plus en plus sa couverture végétale déjà trop mince. De l'avis d'un habitant, cela cause moults désagréments aux habitants des environs et représente une source de graves maladies respiratoires. Un secteur qui aurait pu être générateur de richesse dans la commune est complètement ignoré. Ce sont les potentialités touristiques de la région qui sont non seulement abandonnées, mais surtout profanées. Si l'absence d'infrastructures touristiques est « comprise comme étant le résultat de la dégradation de la situation sécuritaire, de la crise économique qui étouffe le pays malgré les milliards de dollars engrangés grâce aux recettes pétrolières, la dégradation de l'environnement est perçue comme une conséquence logique du laxisme des responsables locaux ». « Hormis la mer nous n'avons rien du tout », tonne hamza, un membre d'une association nouvellement créée et qui voudrait contribuer à tirer Cap Djinet de l'état de léthargie dans lequel il est maintenu. « Notre village végète dans la misère, le chômage et l'enclavement et nos responsables n'ont pensé à aucune politique de développement. Ils attendent que l'Etat leur verse les subventions et se mettent à trouver un moyen d'en tirer profit », se plaint Karim, un étudiant de Ouled Bounoua, un village de l'est de Cap Djenet. Les habitants de la région mettent tous leurs espoirs dans le projet CAP-2015, annoncé par le PDG de Cévital. Il s'agit d'un port, qui, une fois réalisé, engendrera des milliers d'emplois. Cela pourrait intervenir à la fin de l'année 2015. M. Rebrab a déclaré à propos de ce projet que « nul autre site n'offre les avantages de Cap Djinet ». « Cette région vierge recèle d'énormes avantages pour l'investissement, notamment la disponibilité des réseaux routiers, autoroutiers et ferrés. » (EL Watan du jeudi 6 septembre 2007.) Les baraques pour pallier le manque L'absence d'infrastructures touristiques a généré « la prolifération » des baraques implantées çà et là à quelques mètres de la plage et qui font office de commerces. « Sans ces baraques, les estivants n'auraient pas où s'acheter une bouteille d'eau fraîche », estime Hamza. D'autre part, celui-ci insiste sur le manque d'infrastructures pour la jeunesse dans sa commune. Et d'ajouter : « Nous n'avons même pas de cybercafés ; nous sommes complètement coupés du monde. » Cette commune n'a d'autres ressources que les subventions allouées par l'Etat. Cap Djinet ne dispose même pas d'un lycée et en l'absence de cantines et de transport scolaire ; les écoliers sont durement pénalisés. L'APC ne fournit aucun effort pour renforcer le ramassage scolaire, s'indignent les citoyens de Cap Djinet. Le secteur de la santé, n'est pas mieux loti dans la commune. La polyclinique de cette localité n'arrive pas à satisfaire les besoins de la population locale estimée à plus de 25 000 âmes. « Aucun responsable n'a pensé à la création d'emplois pour les jeunes qui remplissent les rues et les cafés de la commune », dit Karim, un étudiant qui se dit désespéré. « Nous vivons grâce à des petits boulots et des activités informelles », ajoute-t-il. Pour la gent féminine, on leur a au moins offert la possibilité d'aller au centre de formation du chef-lieu, où elles ont la possibilité d'apprendre la couture et la coiffure. Evoquant l'inévitable sujet des élections locales, les habitants de Cap Djinet disent des amateurs de la « politique » qu'« ils reviennent ici, uniquement pour draguer des voix afin de se faire élire, et ensuite ils repartent sans jamais revenir », témoigne Karim. Pour étayer leurs reproches vis-à-vis des élus, les habitants de la commune soulèvent à chaque fois le problème des « constructions illicites » qui se comptent par centaines dans la ville. « Tous les locaux et les petites baraques jouxtant l'arrêt de bus sont illicites », indique Hamza. Et ces baraques s'ajoutent à d'autres qui se trouvent dans tous les quartiers de la ville. En outre, les trottoirs n'existent plus dans certains endroits. Ils ont été simplement accaparés par les riverains et les prédateurs du foncier. Le comble des atteintes aux espaces publics est révélé par l'implantation de poteaux à même la chaussée sur la RN 24. Comme quoi, la mairie ne se sent nullement concernée et ce faisant, elle encourage ces dépassements. Quelques commerçants avides d'espaces envahissent non seulement les trottoirs, mais étalent leurs marchandises en toute quiétude sur l'axe réservé pour les automobilistes. Selon Hamza, l'éclairage public du centre-ville est complètement défectueux et la lumière n'a jamais éclairé la longue nuit de Cap Djinet, malgré la proximité d'une centrale électrique, l'une des plus importantes du pays. Les amas d'ordures se rencontrent à chaque coin de rue. La poussière et l'insalubrité règnent en maîtres dans les différents quartiers du chef-lieu. Les espaces verts et les arbres sont quasi inexistants dans la ville, ainsi que les lieux de détente. La seule destination à même de vous arracher à ces paysages apocalyptiques demeure la mer. Mais là aussi, à condition de poser son regard loin du rivage, là où la pollution n'est pas visible. Car, les plages sont tout aussi profanées, des gravats et d'autres formes de détritus s'y amoncellent. Des logements en attente d'acquéreurs La commune a un programme de 130 logements promotionnels, qui ont été squattés en 2001. Après le séisme de mai 2003, ils ont été réhabilités et aujourd'hui, leur état est guère reluisant, puisque la boiserie est à refaire et les façades extérieures des blocs sont totalement dégradées. Cependant, en dépit de la forte demande, ces logements demeurent jusqu'à ce jour non attribués. En raison de leur prix inaccessible, la population locale attend avec impatience leur attribution dans le cadre social. Par ailleurs, pas moins de 595 gourbis ont été dénombrés par la direction de l'urbanisme dans la commune de Cap Djinet au début de l'année. De ce fait, Cap Djinet occupe la deuxième position après la commune de Boudouaou El Bahri qui détient la tête du classement avec pas moins de 734 gourbis. En effet, les baraques illicites ne cessent de s'étendre pour occuper d'autres espaces publics à Cap Djenet. Ces familles sont, pour la plupart, venues des wilayas de l'intérieur du pays. Les citoyens s'interrogent sur le silence et le laisser-faire des responsables de l'APC devant ce phénomène. « Jusqu'à quand continuera-t-on à être passif devant pareils comportements d'un côté, et parler d'éradication des bidonvilles, d'un autre côté ? », s'interroge-t-on.