Bus sales, arrêts non respectés, absence de tenue distincte pour le chauffeur et le receveur, sont autant d'incohérences caractérisant le secteur. Se déplacer d'un quartier à un autre ou d'une ville à l'autre est devenu ces dernières années, chose facile à Béjaïa. Fini les longues attentes dans les arrêts de bus. Depuis 1997, le créneau du transport a connu un investissement important. Des jeunes pour la plupart, ont acquis un fourgon de transport dans le cadre du dispositif Ansej. Aussi, toutes les régions et quartiers de la ville sont desservis. L'amélioration du transport a, certes, mis un terme à la pénurie permettant même à beaucoup de jeunes de dénicher un emploi. Mais force est de constater que les prestations de service n'ont pas suivi. Aujourd'hui, le secteur est, en effet, en proie à une anarchie que tout un chacun relève dès qu'il s'agit d'emprunter un bus pour aller d'un endroit à un autre. On a l'impression que l'usager est loin d'être le souci des opérateurs tant les conditions de transport laissent à désirer. Sidi Aïch, 7 heures du matin. Une heure de grande affluence. L'arrêt en direction de Béjaïa grouille de monde. Les bus assurant la navette Sidi Aïch-Béjaïa sont à l'arrêt et se remplissent au fur et à mesure en attendant le départ conformément à la feuille de route portant les horaires réglementaires. D'autres bus arrivent des autres contrées et n'observent qu'un court arrêt lorsque les places sont disponibles. En ce premier jour de semaine, ils sont pleins à craquer. Il ne restait que ceux desservant Béjaïa à partir de Sidi Aïch. A l'intérieur, des usagers silencieux n'attendaient que le départ prévu à 8 heures. En ces temps difficiles on parle peu. Et lorsqu'on parle, c'est pour dénoncer, chacun à sa manière, la baisse du pouvoir d'achat. Ce jour-là, il n'y eut point de discussion. L'ambiance est assurée par les mélodies de Matoub Lounès. Des chants qu'on estime convenables, du moins, ce jour-là. «Dans d'autres bus, c'est les chansons raï et de variétés kabyles qui vous décrochent les oreilles», ironise un voyageur comme pour marquer sa désapprobation quant à l'existence même de la musique dans les bus. «Parfois, on nous oblige à écouter n'importe quoi sans respect aucun ni aux familles ni aux malades», regrette-t-il encore. Un autre voyageur, plutôt jeune, qui écoutait rétorque qu'«il n'y a que ça de bien dans ces bus». Du coup, le débat s'engage et on oublie même que le bus a déjà pris la route. Face à la discussion, le chauffeur arrête la musique pour prendre part au débat à la fois stérile mais d'actualité entre partisans de la musique et ses opposants. Pour couper la poire, le chauffeur met la radio et le silence revient aussitôt. Au fur et à mesure que le bus avance, les nerfs du conducteur prennent un coup. On le voit s'agiter en tentant de doubler un camion. Il faut vite arriver, on ne sait d'ailleurs pas pourquoi puisque les horaires laissent largement le temps pour effectuer une navette dans des conditions tout à fait normales. Qu'à cela ne tienne, le chauffeur double le camion dans des conditions franchement à vous donner la chair de poule. Paradoxalement, personne ne rechigne. Tous semblent trouver la situation tout à fait normale, admirant les «prouesses» du conducteur qui en ajoute au point d'oublier qu'un usager devait descendre à El Kseur. Ayant raté l'arrêt de la ville, il dépose le pauvre voyageur sur la Nationale défiant ainsi la réglementation en la matière. Là aussi, on ne trouve rien à dire y compris l'usager victime de cette injustice alors qu'il suffisait de faire un petit détour pour rejoindre l'arrêt. L'impression qui se lit sur tous les visages est que tout le monde est pressé d'arriver à bon port. Les chauffeurs de cette ligne trouvent leur compte dans cette situation. Au niveau du sens unique, la vitesse maximale est atteinte. Sur ce tronçon routier, de nombreux accidents ont eu lieu par le passé en raison de l'excès de vitesse des bus, ce qui a causé des dizaines de victimes. A peine 40 minutes, le mont Gouraya apparaît. On est à Béjaïa, soit à 45 km du lieu du départ. Un trajet qui a permis de juger la situation qui prévaut dans ce cadre. L'appât du gain rapide reste manifeste et semble prévaloir sur toute autre considération. Le service public est relégué, au même titre que les clients, au second plan. Le minimum de discipline n'existe pas. L'hygiène n'est pas en reste. Le bus a, à peine, fait une navette qu'il est déjà sale. Le chauffeur et son receveur n'ont pas de tenue. On ne les distingue des autres usagers que par les tickets qu'ils tiennent constamment à la main. Interrogé sur ces manquements, le conducteur du bus, qui en est aussi le propriétaire, s'étale sur les difficultés. Il se plaint de la baisse de l'activité et conséquemment, des revenus, imputés pour l'essentiel à la surcharge des lignes. Les charges (maintenance, fiscalité etc.) sont pour lui trop lourdes à supporter. La solution est alors vite trouvée. Les receveurs ne sont pas déclarés. Les horaires des rotations sont transgressés. On prend et on dépose les voyageurs loin des arrêts. On surcharge au maximum. On prolonge la durée des arrêts aux heures creuses. Des pratiques qui restent monnaie courante chez de nombreux exploitants aussi bien sur les lignes urbaines qu'interurbaines. A l'arrêt Idimco, nous prenons le transport urbain de la ville de Béjaïa. Une sorte de correspondance qui permet d'aller là où notre premier bus ne peut pas se rendre. A l'intérieur, le même décor s'offre aux yeux. Des usagers qui parlent peu. Une musique de radio et un receveur qui racole les clients. La propreté du bus n'est pas au top. Des sièges qui semblent ne pas avoir été nettoyés depuis des mois tant les saletés sont visibles aux endroits d'appui. Le bus prend cinq minutes pour démarrer, alors qu'il n'a droit qu'à deux petites minutes, soit le temps de la montée et de la descente des clients. Le même scénario se répète à chaque arrêt et personne ne bronche. «Il ne faut surtout pas parler, vous risquez d'être dévoré en entier par le receveur», dit tout bas un usager. Cet habitué des transports publics de voyageurs ne cache pas sa déception face à la situation et conclut qu'«on est loin d'avoir de véritables transports publics propres et respectueux des clients». Dans la ville de Béjaïa, les sites de stationnement ne désemplissent pas. Des sites qui n'ont de station que le nom. Excepté le petit abribus, qui fait généralement office de point de vente, les usagers sont livrés aux aléas de la nature. Tout compte fait, le voyageur reste l'unique dindon de la farce. Le secteur nécessite en urgence une refonte à même de satisfaire les autres besoins du client et ce, au-delà du cas de la disponibilité des bus. Pour une ville touristique, beaucoup reste à faire au niveau de l'organisation et de la prise en charge des voyageurs. Des insuffisances qui relèvent, a priori, des transporteurs et des pouvoirs publics, à l'image de la gare routière qui tarde à voir le jour.