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Queequeg and Co
Publié dans El Watan le 08 - 11 - 2007


Queequeg, souvenez-vous, c'est ce personnage étrange, quelque peu mythique, dans le roman épique, Moby Dick d'Herman Melville (1819-1891). C'est également l'autre visage de l'Amérique au milieu du XXIe siècle, une Amérique accueillante et avenante. Aux antipodes de son entourage direct, celui des marins et des baleiniers, il est, cependant, bien reçu par ses pairs grâce à la grande sagesse dont il fait montre à travers ses faits et gestes et par le truchement des onomatopées qu'il articule de temps à autre pour dire ce qu'il a sur le cœur. Queequeg vient du fin fond de l'océan Pacifique où il a déjà fait ses classes sur les baleiniers. Le temps était à la chasse à la baleine avec un outillage rudimentaire dont l'usage nécessitait avant tout un grand courage moral et physique, car il était question, à chaque sortie en haute mer, de livrer, corps à corps, des combats avec ces espèces de léviathan marin. Tatoué, l'allure fière, mais sans exagération, Melville lui donne encore une touche de musulman qui, en fait, n'ajoute rien à son étrangeté sur les docks de Bedford, port d'attache des baleiniers et point de rencontre de tous les marins et navigateurs. On le voit observer un jeûne particulier que son coéquipier, le narrateur Ismaël, appelle par ignorance « Ramadhan », et qui consiste à ne rien manger jusqu'à la tombée de la nuit, le tout dans une posture de Bouddha. L'Amérique ne se sentait alors guère gênée par ce Queequeg qui, à son tour, n'affichait aucun signe de dépaysement bien qu'il fût très loin de son Pacifique natal. Car, l'Amérique à cette époque, il faut le dire, savait ce que signifiait le mot liberté. Queequeg qui se promène sur les quais, le harpon accroché à son dos, partage la même chambre avec son coéquipier, Ismaël, sans que celui-ci ne se sente menacé dans son esprit et dans sa chair. Le thème de Moby Dick, littéral ou métaphorique, révèle le véritable visage de l'Amérique au milieu du XXIe siècle. On avait encore affaire à la poursuite de l'Eldorado qui, selon l'interprétation d'Erich Segal, auteur du célèbre roman Love story, n'était autre que la transposition dans les temps modernes de la recherche de la Toison d'Or dans la mythologie de la Grèce classique. La poursuite de la baleine blanche dans le grand océan, devenant une quête métaphysique, estompe tous les conflits entre les hommes. Herman Melville exprimait déjà son profond respect à l'endroit des obligations religieuses, de toute personne. « Je le dis, écrit-il, nous devrions être charitables sur ces questions, et ne pas se croire nettement supérieurs aux autres ». Queequeg, l'étranger, le lointain, lui répond positivement en plongeant dans la mer tumultueuse pour sauver quelqu'un qui avait voulu faire de lui la risée de tout le monde. De nos jours, l'Amérique semble échapper à sa nature première, celle qui a fait d'elle le premier pays des temps modernes à avoir guerroyé pour la liberté et l'indépendance. Il y a fort à parier que le Queequeg d'aujourd'hui, d'après le 11 septembre, se serait trouvé lynché quelque part dans les docks de New York ou de Houston. C'est que l'humanisme premier de l'Amérique a cédé la place à l'interventionnisme dans le monde. Faut-il rappeler, à ce sujet, ce qu'il était advenu des Américains, d'origines allemande et japonaise qui avaient été parqués dans certains endroits des USA durant la deuxième guerre mondiale ?

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