L'Algérie, de par ses ressources pétrolières et gazières, est-elle un pays riche ? A l'évidence, la réponse est oui : elle a 90 milliards de dollars de réserves de change (soit plus de quatre années d'importations). Smaïl Goumeziane, ancien ministre et économiste enseignant à l'université Paris IX Dauphine, n'est pas de cet avis. Présentant aux côtés de l'ancien chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, une communication sur le paradoxe de la richesse du pays (l'Algérie) et la pauvreté de son peuple lors du forum mensuel Les Débats d'El Watan, tenu jeudi à Alger, l'économiste, aux analyses percutantes et pertinentes, trouve que « cette aisance financière est illusoire » et que la richesse de l'Etat est « en trompe-l'œil ». Il explique que cette aisance financière résulte d'excédents financiers aléatoires et non renouvelables, qui ne viennent pas d'une économie productive, mais plutôt d'une activité primaire, celle des hydrocarbures dont les réserves naturelles sont limitées dans le temps. L'activité pétrolière et gazière génère un excédent commercial externe particulièrement sensible aux fluctuations du marché international et constituant un gisement fiscal couvrant aux deux tiers le budget de l'Etat. Résultat : les équilibres macroéconomiques se trouvent constamment menacés par la volatilité du marché pétrolier. Encore, M. Goumeziane parle bien là du syndrome mercantiliste qui a touché au XVIe siècle des pays comme l'Espagne, l'Italie et le Portugal, lesquels mesuraient à cette époque-là leur richesse économique au volume du trésor amassé et laissaient passer le train de développement industriel, restant à la traîne de l'Europe industrialisée et développée pendant de longues années durant. L'Algérie, selon lui, se trouve aujourd'hui exposée à ce même syndrome mercantiliste qui risque de lui faire louper de manière définitive le train de la nouvelle révolution scientifique et technologique. Cela pour diverses raisons. Actuellement, l'Algérie possède l'un des niveaux les plus élevés de réserves de change du monde. Le rapport réserves de change/PIB est de 100%. Cela contrairement aux pays développés ou émergents où ce rapport est beaucoup moins élevé : 2% en France, 16% en Norvège, 26% en Corée du Sud, 8% en Arabie Saoudite et 50% en Chine. M. Goumeziane se demande ainsi si conserver un tel volume de réserves est-il justifié pour anticiper sur un possible retournement du marché pétrolier ? De toute évidence, une telle démarche n'est pas au goût d'économistes adhérant à la même perception de M.Goumeziane qui relève le fait que les moyens alloués à l'économie productive sont nettement insuffisants. L'Algérie investit donc des moyens en moins dans le tissu économique productif qui pourrait demain constituer un substitut à la richesse pétrolière. En même temps, le pays investit des sommes colossales dans des secteurs comme le transport, les travaux publics et autres équipements infrastructurels au détriment d'autres secteurs comme l'éducation et la santé qui restent les parents pauvres. L'Etat continue également d'affecter, à fonds perdus, beaucoup d'argent à des entreprises en mal de restructuration industrielle. Si le fonds de régulation des recettes qui accumule 42 milliards de dollars a pour principal objectif de neutraliser les surliquidités en termes inflationnistes, dans la réalité il participe à l'équilibre budgétaire national sans pour autant empêcher ni les poussées inflationnistes directes ni la modification de la structure de l'inflation qui trouve refuge dans l'immobilier et le foncier. Il se demande, en outre, si les placements de ces réserves aux USA à un taux d'intérêt de 4,7% est un choix judicieux. L'exemple norvégien Pour répondre, M. Goumeziane cite l'exemple norvégien, un pays pétrolier qui a réussi à constituer une forte économie productive, assurant aujourd'hui aux Norvégiens le niveau de vie le plus élevé du monde. Ce pays au revenu annuel moyen par habitant de 60 000 dollars, soit 20 fois celui de l'Algérie, dispose d'un niveau de réserves de change deux fois moins important que l'Algérie, soit 47 milliards de dollars. Mais, souligne le conférencier, il arrive à bénéficier d'un rendement moyen de 12,7% par an. Comment ? La Norvège met ses réserves sur toutes les places financières et ne se limite donc pas aux seules obligations américaines. Cela n'est pas tout. Si la Norvège, dont la richesse nationale est aujourd'hui constituée à hauteur seulement de 25% des ressources pétrolières et gazières, a réussi à éviter une dépendance outrancière de ses ressources naturelles, c'est parce que ce pays a bien mis en place une stratégie de développement sans hydrocarbures en assurant la transparence dans la gestion de l'argent du pétrole. La Norvège, comme l'Algérie, a créé un fonds de pension du gouvernement qui est alimenté par les recettes pétrolières. Contrairement à l'Algérie, précise l'orateur, ce fonds norvégien est géré de la manière la plus transparente. Ce fonds est utilisé notamment pour veiller à maintenir une structure industrielle diversifiée et pour consolider la stabilité économique norvégienne. La Norvège, relève-t-il encore, a développé son industrie, son agriculture et sa pêche. Pour M. Goumeziane, il est clair donc que le problème réside dans la politique de développement initiée depuis plusieurs décennies, dont on tarde à faire le deuil pour passer à des stratégies alternatives visant une réelle diversification et compétitivité de la structure productive nationale. Autrement dit, il faudra une véritable révolution dans le mode de gouvernance. Pour étayer ses propos, le conférencier cite des études multicritères sur la gouvernance dans le monde, réalisées en 2005, qui indiquent que l'Algérie demeure en deçà de la moyenne mondiale. L'Algérie est en effet classée dans le rapport pour 2008 de « Doing business », établi par la Banque mondiale à la 125e place sur 178 pays. Pour le critère de responsabilité, par exemple comme le rapporte le conférencier, l'Algérie obtient 25 points sur 100, quand la Corée du Sud recueille 68 points et la Norvège 99 points. En matière de stabilité politique, l'Algérie glane seulement 18 points, tandis que la Norvège obtient 92 points. Pour la qualité de la régulation, l'Algérie obtient 26 points, la Norvège 92 points. Concernant l'efficacité de la gouvernance, l'Algérie décroche 43 points, la Norvège 98 points. Pour le contrôle de la corruption, l'Algérie se trouve avec seulement 32 points contre 99 pour la Norvège. Le respect de la loi aussi, l'Algérie a eu la mauvaise note de 42 contre 97 points pour la Norvège. C'est dire pourquoi la Norvège a réussi à sortir d'une dépendance pétrolière et non pas l'Algérie. Cela démontre, aux yeux de M. Goumeziane, à quel point le climat des affaires est malsain. Il estime ainsi que s'il n'y a pas une prise en charge réelle de la question avec la mise en place d'une réelle stratégie de développement, basée sur les règles de la bonne gouvernance et de l'économie de marché, l'Algérie ne sortira jamais de sa dépendance des hydrocarbures et, par ricochet, n'arrivera pas à développer une économie productive qui assurera des ressources financières diversifiées, donc une véritable richesse du et pour le pays.