L'Algérie est-elle en bonne position pour faire face à cette crise ? La question se pose et s'impose avec acuité. L'ancien ministre du Commerce, Smaïl Goumeziane, appelé à démystifier la crise financière mondiale et ses retombées sur l'Algérie, estime qu'« il est plus vraisemblable de penser que l'Algérie sera plus ou moins fortement contaminée ». Ceci pour rejeter en bloc l'optimisme démesuré des pouvoirs publics et les garanties chantées ça et là par le gouvernement, scotché à l'idée d'« une Algérie qui résiste mieux que le Wall Street ». Cette « contamination », explique M. Goumeziane, invité à une nouvelle édition des Débats d'El Watan, sera induite à la fois par les évolutions du marché obligataire américain ainsi que des conditions d'accès au crédit pour les importations de biens et services nécessaires à l'approvisionnement de la population, des entreprises et des projets d'investissement. L'Algérie sera touchée surtout par les évolutions induites sur le marché pétrolier ainsi que par les choix stratégiques opérés en matière de développement. Par ceci, M. Goumeziane vient de balayer d'un revers de la main les thèses selon lesquelles les réserves de change (estimées à 133 milliards de dollars fin juin 2008) et la faible connexion du système bancaire national au système financier mondial devraient permettre au pays d'échapper, ou à tout le moins d'amortir la crise dans sa dimension financière. Ainsi, selon lui, les placements de l'Algérie en bons de Trésor américain ressemblent quelque peu à « tout patrimoine géré en bon père de famille » et qui continue à générer des intérêts de l'ordre de 4 milliards de dollars. Insignifiants sans l'ombre d'un doute. Mais ces placements semblent donner raison aux les partisans de la sécurité au détriment des adeptes de la rentabilité. Il ne fait aucun doute que « la chute du prix des hydrocarbures est une très mauvaise nouvelle pour le pays : celle d'une crise énergétique structurelle qui n'a pas fini de produire tous ses effets », estime aussi le conférencier. Et d'avertir dans la même foulée : « La chute des prix devrait durer toute l'année 2009 et probablement une partie de 2010 malgré les "décisions" prises par l'OPEP le 17 décembre 2008 au sommet d'Oran. » Mais le prochain choc à la hausse devrait résulter aussi de plusieurs contradictions, si l'on se réfère aux explications de M. Goumeziane. Il s'agit, entre autres contradictions, d'une récession à court terme (au moins dans les grands pays consommateurs) face à une reprise, à moyen terme, d'une hausse de la demande face à une limitation des ressources et une hausse de la production face à une baisse des investissements. En Algérie, une nouvelle hausse des prix du pétrole devrait réjouir, comme à l'accoutumée, « les partisans de l'économie rentière, de l'exploitation effrénée des gisements et de l'accumulation de recettes pétrolières de plus en plus importantes ». L'Algérie doit se rapprocher de Keynes A l'aise lorsqu'il s'agit de faire connaître ses convictions, l'invité d'El Watan estime que l'Algérie « a besoin d'une certaine visibilité externe et interne pour sortir de ces crises ». Sur le plan international, deux scénarios de sortie de crise sont à l'ordre du jour. Il s'agit, primo, d'un scénario « par le bas ». Celui-ci, explique le ministre, consisterait « à regrouper toute une série de mesures (organisationnelles, techniques, financières, fiscales, politiques…) à prendre par les Etats pour construire et mettre en œuvre une sorte de "néo-fordisme rentier" (NFR). C'est un retour à la case départ. C'est un replâtrage pur et simple du capitalisme patrimonial rentier ». Secundo, le scénario de sortie de crise « par le haut » supposerait « organiser les multiples interventions des Etats dans l'objectif essentiel de construire et de mettre en œuvre un "néo-fordisme productif" (NFP) ». Il s'agirait alors, d'après l'orateur, d'une démarche de rupture progressive avec le capitalisme patrimonial pour lui substituer « un capitalisme néo-managérial ». Mais l'idéal, d'après lui, serait que la crise soit rapidement surmontée et sans autres dégâts et qu'en même temps, l'alliance des rentiers et des gestionnaires se brise au profit d'une nouvelle alliance entre les entrepreneurs et les salariés. Pour l'Algérie, l'ancien ministre du Commerce estime que l'un des moyens de sortir de la crise consiste à « se rapprocher de Keynes ». Un avis diamétralement opposé aux théories développées récemment par l'ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou. Le rapprochement de l'Algérie du modèle Keynes suppose, d'après M. Goumeziane, le retour à la régulation de l'Etat, mais surtout la lutte contre la spéculation et la rente. « L'Algérie doit profiter de cette crise pour réorienter le modèle énergétique afin de construire une économie hors hydrocarbures », a-t-il préconisé également. Selon lui, il est impensable de voir Sonatrach investir un tiers des réserves budgétaires d'ici 2015, soit à 15 ans de l'assèchement des réserves énergétiques. « Une stratégie nationale de développement est indispensable. L'Etat doit définir ses acteurs et ses objectifs. Cette stratégie doit être globale et fédératrice en intégrant toutes les forces vives de la nation », soutient M. Goumeziane, en réponse aux questions des différents intervenants. Deux évidences incontestables pour lui : « Ce n'est pas avec les investissements étrangers que l'on pourrait mettre à niveau l'industrie nationale, encore moins en injectant de l'argent dans des entreprises publiques destructrices de richesses. » Les réserves de change doivent être nécessairement orientées de façon à faire émerger un capital national compétitif au lieu de les utiliser dans les importations, a conclu le ministre.