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Ouakha, ça tourne !
Cinéma. L'expérience marocaine
Publié dans El Watan le 22 - 11 - 2007

Au-delà de la créativité, la richesse et la diversité qui caractérisent désormais le cinéma marocain ont mis en évidence une nouvelle génération de cinéastes. On peut se demander comment celle-ci fera pour imposer sa marque de fabrique. Mais, pour l'instant, on peut déjà noter qu'elle est bel et bien née.
La meilleure preuve en a été fournie par la dernière cuvée de la 9e édition du Festival national du film de Tanger qui s'est tenu vers la fin d'octobre 2007. Lors de cette rencontre, 25 longs métrages et 28 courts métrages ont été présentés. Si pour la première catégorie, les organisateurs n'ont fait aucune sélection, pour la deuxième, il a fallu choisir parmi 150 courts métrages présentés ! Ce nombre impressionnant reflète autant une frénésie créative juvénile qu'une politique étatique de soutien au cinéma, décidée et efficace. Le Centre cinématographique marocain (CCM) distribue la somme de 5 millions d'euros par an, tandis que les entrées d'argent générées par les tournages de films étrangers au Maroc s'élèvent exactement à la même somme. Rien ne se perd. Abstraction faite de la diversité des thématiques abordées, les œuvres présentées partagent une certaine homogénéité, voir un formatage récurrent. Au grand bonheur des cinéastes, on constate que les Marocains vont de plus en plus au cinéma. La consommation du produit audiovisuel est quasi phénoménale dans cette société composée essentiellement de jeunes, et comprenant un nombre important d'analphabètes (35% de la population en 2005). Contrairement à la plupart de leurs confrères du continent qui cherchent de la visibilité dans les festivals étrangers, les réalisateurs marocains visent avant tout à sortir leurs films dans les quelque 100 salles marocaines. « Nous en avions plus de 250, il y a quelques années », nous affirme, non sans regret Mohammed Bakrim, chargé de la communication au CCM. Par ailleurs, les films, qui réussissent à séduire le public, génèrent suffisamment de recettes pour permettre aux producteurs de récupérer leurs investissements. Et c'est cette situation qui favorise la naissance d'une industrie cinématographique. Plusieurs cinéastes, campant sur le terrain de l'artistique, souffrent de cette nouvelle orientation qui vise à conquérir le public, remplir les salles et rentabiliser les films. C'est le cas de Jillali Ferhati dont le dernier opus, Mémoire en détention a bénéficié d'un succès critique, mais s'est révélé un fiasco total dans les salles. Au-delà des raisons de ces bouderies d'un public qui cherche du léger et du divertissement, Ferhati affirme avec amertume : « Je reste un cinéaste comblé par la critique, mais fauché financièrement. » Ainsi, le film Nancy et le Monstre de Mahmoud Fritess, à la limite de l'amateurisme, a dépassé les 100.000 entrées, alors que des films réalisés par des figures emblématiques demeurent dans l'ombre. Pour lutter contre la diminution du nombre de salles, causée surtout par le piratage vidéo ou DVD, et donner plus de place au cinéma d'auteur, les Marocains ont multiplié les ciné-clubs et les festivals. On compte aujourd'hui pas moins de douze festivals, tandis que les divers ciné-clubs font un excellent travail de vulgarisation et d'éducation cinématographique. Le plus connu des festivals est bien sûr celui de Marrakech, soutenu par plusieurs icônes du cinéma mondial, comme Scorsese et Kiarostami, et qui a réussi à supplanter plusieurs grands festivals de la planète. Loin de combler les cinéastes financièrement, ces rencontres nationales et internationales permettent un large accès au cinéma, favorisent les contacts entre les professionnels et œuvrent à la naissance d'une dynamique à même de soutenir une véritable industrie cinématographique. Mais, alors qu'on attendait un renouveau du cinéma marocain, du sang neuf, ce sont les anciens qui font leur come-back. Tandis que les jeunes sont confinés au court-métrage, sans possibilité réelle de se dessiner des horizons nouveaux, les figures emblématiques du cinéma marocain assurent leur continuité tout en essayant de prendre en charge l'actualité et les nouveaux phénomènes de société. « Cette domination du champ cinématographique par les anciens s'explique par les effets pervers du système », commente Carlo Damasco, directeur artistique du festival du court-métrage de Milan. Il ajoute : « Souvent, les jeunes sont pressés de faire les 3 films qu'exige le CCM pour obtenir la carte de réalisateur, il va de soi que cela ne sert pas la créativité. » Pour lui, « la nouveauté, il faut l'attendre encore quelques années, quand tous ces jeunes, ayant obtenu la reconnaissance officielle, se mettront vraiment au travail. » En attendant, les films de ces deux dernières années sont en majorité réalisés par des noms très connus du cinéma marocain. Ainsi, le festival de Tanger a permis le retour en force de plusieurs cinéastes presque oubliés des cinéphiles. C'est le cas de Mohamed Ismail, Ahmed Maanouni, Farida Bourquia et d'Ahmed Boulane, qui reviennent sur les écrans, avec respectivement, Adieu les mères, Les Cœurs brûlés, Deux femmes sur la route et Les Anges de Satan. Plusieurs autres figures connues du cinéma marocain ont marqué cette édition. Parmi eux figurent Saâd Chraïbi avec Islamour, Daoud Aoulad-Syed avec En Attendant Pasolini, Lahcen Zinoun avec La Beauté éparpillée, Abdelkader Lagtaa avec Yasmine et les hommes et Latif Lahlou avec Le jardin de Samira.
Les limItes du déjà-vu
Le visionnage de ces films révèle une diversité thématique et une continuité formelle pour chacun des cinéastes. Alors que ces derniers cherchent à coller à la réalité, avec un ton certes plus libre, à la faveur du vent libertaire qui caresse le pays, leurs œuvres restent confinées, du point de vue de la forme, dans du déjà-vu. Ainsi, les polémiques et les débats sont surtout suscités par le traitement de certaines thématiques, en l'occurrence la menace islamiste, l'homosexualité, la corruption et la critique du système. En parlant de jeunesse et de nouveauté, tandis que Faouzi Bensaidi, qui livre un What a Wonderfull World original mais difficile d'accès et arrive à dessiner les contours d'un nouveau cinéma, Narjass Nejjar, après le très remarqué Les Yeux secs, propose un Wake Up Morocco peu convaincant. L'émergence du cinéma amazigh est l'autre fait important du cinéma marocain. A l'instar de leurs voisins algériens, les Berbères du Maroc utilisent à fond la promotion de leur culture et identité par le biais de l'audiovisuel. Après une production vidéo dont la consommation est devenue presque phénoménale, plusieurs cinéastes sont passés à la réalisation de films en 35 mm. Là aussi, on bute contre une confusion sur la définition du film amazigh. En tous cas, les concernés le définissent surtout comme des films parlés en tamazight, le critère esthétique n'étant pas évoqué. Cette conception nuit un peu à la qualité des productions. Ainsi, Tilila de Mohamed Mernich, considéré comme le premier film amazigh marocain et le seul du genre en compétition, se veut modeste, de l'aveu-même de son réalisateur : « Mon film n'est qu'une étape pour mieux faire ». Les cinéastes marocains comptent de moins en moins sur la visibilité qu'offrent certains festivals internationaux, sans pour autant la rejeter. « On peut être sélectionné à Cannes, mais rester financièrement fauché », nous confie le cinéaste et producteur Mahmoud Fritess. Aujourd'hui, l'objectif des réalisateurs est avant tout la conquête du public qui lui assure des entrées à même de lui permettre d'entamer d'autres projets. Dans ce sens, ces derniers temps, un système de starmania a vu le jour. Lors du dernier festival national du film de Tanger, un public jeune et passionné était présent tous les soirs à l'affut de stars, afin de demander un autographe, prendre une photo ou obtenir une bise. « Cela fait plaisir ! », nous confesse Majda Zabbita, star du cinéma marocain. Avant d'ajouter « mais cela risque de devenir dangereux si les personnes adulées ne se comportent pas d'une manière exemplaire. Il ne faut pas confondre l'émancipation de la femme et le dévergondage, l'artistique et la bêtise. »
Un défi : la relève
Les tournages au Maroc de films étrangers, notamment américains, s'enchaînent régulièrement. De célébrissimes vedettes comme Brad Pitt, Robert Redford ou Russell Crowe foulent le sol marocain. De grands réalisateurs comme Oliver Stone, Martin Scorsese ou Ridley Scott viennent y réaliser leurs films. Les conséquences économiques sont importantes. « Durant ces périodes, il est impossible de trouver un technicien marocain au chômage », se réjouit M. Bakrim. A cela, il faut ajouter les rentrées financières provoquées par l'arrivée massive des équipes de tournage étrangères. Le Maroc, notamment Ouarzazate, se prête bien au besoin des Américains par exemple. Cela donne aussi des chances et des rôles aux acteurs marocains. « C'est une chance inouïe pour nous. Nos apparitions dans des films portant la signature de grands cinéastes nous servent de tremplin », nous affirme Driss Roukh qui a campé le rôle de l'officier marocain dans Babel d'Alejandro González Inárritu. Le jeune Driss Roukh, avec plusieurs de ses amis, acteurs, réalisateurs et producteurs forment une génération sur laquelle repose l'avenir du cinéma marocain. Celui-ci, qui dispose dorénavant d'une base sérieuse de financement, de production et de promotion et qui est devenu, avec le cinéma d'Afrique du Sud, l'un des plus prometteurs du continent, a besoin d'être renouvelé et dynamisé. Le défi relevé jusque-là ne peut plus se passer d'une relève.


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