Comme à toute chose malheur est bon, les pluies diluviennes de la semaine écoulée ont mis à nu la gestion catastrophique des collectivités locales. Le rendez-vous électoral de jeudi dernier a été une rude épreuve pour les nombreux sinistrés de la capitale. Si certains, rongés par la colère et désabusés par les nombreuses promesses non tenues des différents maires qui se son succédé à la tête de leurs communes respectives, ont perdu tout espoir de changement et préféré exprimer leur colère par l'abstention, d'autres par contre continuent à croire aux engagements électoraux des uns et des autres, croyant dur comme fer que le cachet sur la carte de vote est un passage obligatoire à la clé du bonheur. Parmi ces derniers, les habitants du quartier de Mohamed Bourouba, à El Harrach. L'oued en crue a isolé la centaine de familles qui y résident, mais cela ne les a pas empêchés de se frayer un chemin après de longues nuits blanches pour aller voter. La situation dans ce lieu appelé El Hafra (le trou) est catastrophique. Les eaux de pluie, mélangées à celles des égouts ont inondé les maisons en parpaing, construites à quelques centaines de mètres de la rive de oued El Harrach. Mustapha Doumi, président du comité de quartier, parle « de danger imminent » qui guette la population. « Cela fait plus de 20 ans que les autorités nous promettent de nous déloger, mais en vain. Depuis 1989, sept maires et trois chefs de délégation exécutive (DEC), qui se sont succédé à la tête de la commune d'El Harrach, n'ont rien pu faire. Nous vivons comme des animaux dans ce quartier. Mieux, les responsables locaux ont aggravé notre situation lorsqu'ils ont construit le mur qui sépare l'oued des habitations, créant un fossé où arrivent toutes les eaux de pluie. » Les mêmes propos sont tenus par son voisin Mohamed Ramdane, dont la maison risque de s'écrouler sous les infiltrations d'eau. Meubles et literie sont noyés dans une eau noirâtre depuis deux jours. La forte odeur des eaux usées est étouffante. Fatma Ramdane, une sexagénaire, n'arrive pas à évacuer son fils, handicapé à 100%. Il dort dans le coin d'une pièce, sur un matelas qui nage sur une flaque d'eau. La sexagénaire pleure son désespoir et exprime son vœu de mourir pour éviter de voir son fils, grabataire, souffrir davantage. Tous les habitants du quartier veulent exprimer leur colère. Une colère qui, disent-ils, ne les a pas détournés de leur « devoir envers notre pays ». Ils expliquent leur acte par le fait que l'actuel maire leur a promis de les loger une fois réélu. Ils affirment que ce responsable connaît très bien leur situation, mais il risque à nouveau de les faire attendre encore longtemps avant de se décider à les prendre en charge. Dans cette mairie, le taux de participation vers 11h était très bas : moins de 10%. Tout comme d'ailleurs à la commune de Staouéli, qui a vécu des nuits d'enfer avec les dernières pluies. Les habitants du quartier de Bouchaoui Marine, isolés pendant deux jours, craignent le pire. La boue recouvre toutes les ruelles, et les maisons sont encore inondées. Le centre de vote Ahmed Aroua, qui compte 8 bureaux de vote, ne connaît pas une forte affluence. « Comment voulez-vous qu'on aille voter pour des gens qui n'ont rien fait pour nous. Regardez dans quel état sont nos maisons, la menace d'éboulement n'est toujours pas écartée. Des familles sinistrées ont été évacuées et installées dans une école, puis à la veille du vote, elles ont été sorties de force pour réintégrer leur maison. La confiance a été rompue et pour arracher nos droits, il faut toujours occuper la rue », déclare un père de cinq enfants. De nombreux autres habitants abondent dans le même sens et expliquent que leur geste reflète la colère. Les pluies ont causé d'importants dégâts non seulement aux routes, mais également au niveau des vergers. Même spectacle à Oued Koreich, plus précisément à Frais-Vallon, où des constructions illicites sont lourdement affectées. Des familles entières ont déménagé en attendant de meilleures conditions climatiques, alors que les accès à ces gîtes de fortune sont encore fermés. Les rares personnes encore sur les lieux n'ont pas voté. Ce qui explique le taux de participation de moins de 11%, enregistré vers 13h. Si les habitants de Frais-Vallon ont pu déménager, ceux d'El Hamiz, dépendant de la commune de Dar El Beïda, sont restés bloqués chez eux pendant les 48 heures de pluies diluviennes et n'arrivaient pas à quitter leurs demeures. La crue de oued El Hamiz. Ici personne n'a pu aller voter et aucun responsable n'a daigné venir porter secours à la population livrée désormais à son triste sort. Le quartier s'est transformé en véritable rivière. Les eaux ont envahi maisons, ruelles, vergers (des rosiers) et magasins. Les canalisations des eaux usées installées par l'APC durant cet été, aux frais des habitants (30 000 DA chacun) n'ont pas résisté. Elles sont toutes endommagées et refoulent des eaux noirâtres, dégageant une forte odeur nauséabonde. Ces eaux en furie ont également envahi la zone industrielle, dont les égouts ont éclaté pour transformer ce quartier nouvellement aménagé en une immense piscine impossible à traverser. Akrouf Omar, habitant de la cité, n'arrive plus à contenir sa consternation. « Regardez, ils ont dépensé des sommes colossales pour des canalisations qui ne répondent pas aux normes et n'ont pas résisté aux flux des eaux. Les responsables de l'APC ont de tout temps été absents. Pour éclairer le quartier, nous étions obligés de recourir à des manifestations violentes et aujourd'hui nous serons également contraints à couper la route nationale pour les faire venir afin de nous sortir de l'isolement. Les commerçants qui louent ici bénéficient de la complicité des responsables de la mairie, dans le but de laisser le quartier privé des conditions d'une vie décente pour éviter que les services du fisc ne viennent contrôler la marchandise informelle qu'ils stockent ici », déclare Omar. Pour lui, comme d'ailleurs pour ses voisins, le vote « est un leurre destiné aux plus naïfs des citoyens ».